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Taubira, le business, la Palestine et les autres

par Salim Metref

Éjectée du casting gouvernemental, Christiane Taubira, l'ex garde des Sceaux française qui a eu, au cours d'un récent déplacement à Alger, à réserver à la presse algérienne la primauté de ses déclarations à propos de la déchéance de la nationalité, sujet extrêmement polémique révélateur des dissensions qui existent au sein du gouvernement français, est la énième représentante de ce qui reste de gauche dans le gouvernement français à s'en aller. Ce départ ôtera en tous les cas définitivement cette marque de fabrique à un exécutif qui navigue désormais à vue tant le top départ pour la mêlée de 2017 est imminent.

Les couteaux sont déjà tirés et chacun accorde son action gouvernementale au diapason de cet événement majeur de la politique française qui devra compter aussi avec la probable implosion de l'establishment que provoquera le phénomène lepéniste. Inspirée sans doute par l'un de ses mentors, Jean Pierre Chevènement qui un jour professa qu'un ministre doit se taire ou partir, Christiane Taubira en poétesse soixante-huitarde a tweeté un slogan plutôt soft, résister c'est rester, résister c'est partir. Tout un programme. En tous les cas la guyanaise s'en va et tant pis si la représentation des DOM-TOM en prend un coup. Les indépendantistes de tout bord se frotteront certainement les mains et apprécieront.

Ce départ fracassant mais néanmoins prévisible éclaircit cependant l'horizon de ceux qui ne supportent plus la contradiction et encore moins la désobéissance. Et qui ne s'embarrassent plus de principes et encore moins de dogmes. Un premier ministre qui rêve d'un destin national et un président en exercice qui entretient le suspense et ne dit pas encore s'il veut rempiler.

Le premier pourra compter sur le soutient du lobby juif à qui il voue une profonde affection alors que le second jouit de l'indéfectible et ancienne amitié qui le lie à Benjamin Netanyahu. Le plaidoyer pour la création de l'Etat palestinien a subitement disparu des propos de la diplomatie française qui préfère, semble-t-il, emboîter le pas sans le dire au discours de Tzipi Hotovely. Cette dernière a dés sa nomination au poste de ministre adjointe israélienne des affaires étrangères affirmé que la Palestine appartenait entièrement au peuple juif, du Jourdain à la Méditerranée invitant par la même occasion le peuple palestinien à se trouver une terre de rechange. Elle a notamment déclaré au cours d'une visite qu'elle a effectuée à Paris en décembre 2015 qu'il «est important de dire que cette terre est la nôtre, toute cette terre. Nous n'avons pas à nous excuser d'être venus ici», ignorant ainsi et comme tous ses prédécesseurs toutes les résolutions internationales concernant la question palestinienne et notamment celle prévoyant la création d'un Etat palestinien constitué de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, dans les limites territoriales de 1967.

Contrairement à l'autre Tzipi, Livni plutôt laïque, Hotolovy cite à chaque occasion des écrits religieux comme nouveaux principes conducteurs de la politique étrangère qu'elle compte mettre en œuvre. Elle emboîte ainsi le pas à son Premier ministre qui a fait du rejet de la création de l'état palestinien et de la défense du grand Israël le seul et unique projet politique à promouvoir à travers le monde. La récente réaction violente de Netanyahu aux propos du Secrétaire Général des Nations Unies qui a condamné l'extrême violence de l'extension de nouvelles colonies de peuplement sur les terres palestiniennes est là pour confirmer ce nouveau plan mis en œuvre pour liquider définitivement la question palestinienne.

Aucun commentaire officiel du côté français n'a été enregistré depuis ces déclarations. Et l'affirmation de l'Etat palestinien s'est depuis estompée tant dans le discours du Premier ministre que de celui du président français. Et le peuple palestinien a plus que jamais besoin de compter sur son unité retrouvée et ses propres forces pour faire valoir ses droits légitimes. Quant au monde arabe, miné par les conflits et l'égo de ses dirigeants, il contemple malgré de puissants moyens financiers une partition qui se joue sans lui.

Christiane Taubira avait déjà scellé son sort en s'attirant les foudres des milieux conservateurs et de la droite catholique française. Impopulaire, victime expiatoire des milieux racistes, cette démission sera certainement pour elle une véritable délivrance.

Mais cet événement en cache en réalité plusieurs autres. D'abord les errements de la politique étrangère française continuent au gré des opportunités économiques et des conjonctures géopolitiques. Après avoir convenu de relations profondes avec l'Arabie Saoudite, après le Qatar, la France a vite opéré un spectaculaire recentrage au profit de l'Iran après avoir sans doute constaté que les crises passagères entre les Etats-Unis et le Royaume Wahhabite ne sont que poudre aux yeux et que s'agissant des gros contrats commerciaux les entreprises américaines continuent de jouir des faveurs de Riad. Mais quel incroyable ballet diplomatique se déploie devant l'opinion internationale. Le président iranien devait certainement jubiler en son fort intérieur sur les Invalides flanqué à sa gauche par celui qui a été l'un des plus grands défenseurs des sanctions économiques contre son pays et fervent partisan des frappes militaires contre ses sites sensibles. Après avoir conclu un accord avec l'Occident sans faire de véritables concessions et sans rien céder sur l'essentiel, la puissance ré émergente perse se réjouit de ces nouveaux courtisans européens qui se disputent pour obtenir ses faveurs. En tous les cas cet événement révèle que le fil conducteur de la politique extérieure occidentale s'accroche là où existent des opportunités commerciales. Après le pragmatisme économique et une politique étrangère à géométrie variable, la quête personnelle de soutiens pour l'avenir fait aussi rage. Ainsi, Alger est devenu un passage obligé pour tous ceux et peut-être celles qui aspirent à conquérir l'Elysée.

Cette situation change un petit peu de la perception et de la dénonciation de la réelle ingérence ininterrompue des milieux politiques français dans les affaires internes de l'Algérie et notamment de la supposée influence qui leur est attribuée dans la mise en œuvre des grands projets d'avenir de ce pays. Ainsi après la bénédiction semble-t-il apportée par Alger à l'actuel locataire de l'Elysée dans le cas où il se représenterait à sa propre succession, la fin de non-recevoir signifiée à Sarkozy qui ne cesse depuis de multiplier d'intempestives déclarations à l'endroit de l'Algérie, la capitale algérienne accueille la prochaine visite de celui qui est considéré comme un véritable outsider, devenu depuis quelque temps le chouchou des sondages, et qui s'est forgé à l'ombre de Jacques Chirac.

Discret, extrêmement compétent et connu pour la mesure de son propos, Alain Juppé sera peut-être celui qui affrontera au second tour de l'élection présidentielle française de 2017 Marine Le Pen. Et comme il est connu que tout candidat doit changer de posture en revêtant l'habit de présidentiable, parions qu'à l'avenir cette dernière fera une visite de ce coté-ci de la Méditerranée pour nous expliquer au moins ce que sera sa politique étrangère, sa politique intérieure étant déjà connue et ne nous regardant absolument pas. Finalement, en France et partout ailleurs dans le monde, la politique étrangère est désormais engagements, reniements et changements au gré des conjonctures. Et plus que jamais les promesses n'engagent que ceux qui y croient.