Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Contribution au débat sur la Constitution : quelques leçons indiennes ?

par Mouloud Madoun*

1ère partie

Le gouvernement algérien vient de divulguer son projet de constitution. Enfin la montagne accouche d'une souris, pourrait-on dire.

L'adage selon lequel «plus ça change, plus c'est la même chose» est confirmé, avec brio, par ce projet de constitution qui vient d'être rendu public. Inutile de revenir sur les dimensions techniques, bien analysées par plusieurs spécialistes et experts. La lecture de ce projet de constitution révèle deux choses:

L'immobilisme du régime algérien: Depuis 62, les gouvernements successifs ont démontré leur incapacité à proposer des changements significatifs, à la hauteur des enjeux et des défis que le pays connaît, aujourd'hui. Avec ce type de constitution, l'Algérie continuera à donner l'image d'un pays figé, voire rétrograde. Mais le plus important est ailleurs: c'est l'état d'esprit même des dirigeants qui constitue le problème-clé : Depuis 62, les équipes qui se sont succédé fonctionnent en vase clos et ne permettent aucune proposition d'où qu'elle vienne : aucune écoute de la société, des acteurs politiques, des intellectuels n'a été affichée jusque-là. Or, avant de changer quoi que ce soit, il faudrait d'abord se mettre en question et changer cet état d'esprit, arrogant et dominateur. Sans une prise de conscience de la nécessité d'écouter les autres et s'ouvrir aux propositions diverses, il y a peu de chance d'être pris au sérieux et de s'engager dans un processus crédible et efficace de développement et de démocratisation. L'esprit autoritaire qui anime ces équipes est le vrai obstacle à une évolution sereine, sérieuse et efficace du pays, de l'Etat et de la société de façon générale. Proposer une constitution est, somme toute, à la portée de n'importe qui: l'Arabie Saoudite, le Qatar, les Emirats, la Syrie, le Gabon, et d'autres dictatures d'un autre âge se sont, tous dotés, d'une constitution; même le FLN avait réussi à «pondre» une constitution, en 63, dans une salle de cinéma, qui plus est. La discussion autour de la constitution semble ignorer un élément non négligeable : C'est le lien entre le contenu et la forme de toute constitution ; il y a une cohérence entre le contenu et la manière de concevoir et d'élaborer une constitution.

Il est important d'aborder, aussi, les questions de fond : Quel projet de société voulons-nous pour le pays et quelle démarche pour élaborer cette constitution ? Pour étayer ces propos, je souhaite proposer à la réflexion et partager l'expérience indienne : L'inde célèbre le 65ème anniversaire de sa constitution, promulguée le 26 janvier 1950 ; elle instaura une République laïque et démocratique. Bien évidemment, plusieurs amendements ont été introduits, depuis, mais toujours dans le sens des progrès, c'est-à-dire des ajustements nécessaires pour répondre aux exigences nationales et internationales et mieux satisfaire les demandes des citoyens.

Quelles leçons pourrions-nous tirer de l'expérience indienne ?

Pourquoi l'Inde?

1 - Nous faisons partie d'un monde globalisé dans lequel on s'inscrit; il existe des expériences multiples qui pourraient nous inspirer, plus ou moins proches de nôtre « spécificité». Sur le plan mental, il faut bien comprendre que l'on ne «réinventera pas la roue» et que l'apprentissage des autres n'a rien d'humiliant, bien au contraire, il révèle l'esprit d'humilité qui est plus que nécessaire. Bien que l'Inde ait été victime de mille ans de colonisation musulmane, puis hollandaise, portugaise, française et 200 ans de domination britannique, elle s`est résolument, engagée dans un processus de développement qui produit des progrès, dans tous les domaines et reconnus mondialement. L'Inde s'est inspirée d'un grand nombre d'expériences qu'elle a adaptées à son projet de développement avec les résultats que chacun peut observer.

2 - On a besoin de sortir de la dépendance : Malgré l'indépendance, chèrement acquise, et malgré les efforts déployés et les ressources abondantes, l'Algérie est dans l'impasse. Cette impasse est économique, politique et culturelle ; cette dépendance est en fait mentale : l'organisation de l'Etat, des institutions nationales et locales est la photocopie dégénérée du modèle français, sur le plan culturel, le pays lorgne du côté des régimes les plus rétrogrades comme l'Arabie saoudite et autres fleurons de la démocratie comme le Qatar, la Syrie, l'Egypte. Pourtant, compte tenu des ressources humaines disponibles, des propositions plus intelligentes sont possibles. Cette dépendance est inquiétante : elle marginalise les ressources locales et engage le pays dans des voies sans avenir. Un exemple parmi d'autres : la construction d'une très coûteuse mosquée pour satisfaire l'ego disproportionné du président, au lieu de construire des hôpitaux et des institutions éducatives ; ou encore, les projets d'usines automobiles dont on s'interroge sur le bien-fondé et les effets bénéfiques que l'on pourrait tirer, y compris en termes d'emploi. Ainsi les leçons de la stratégie industrielle de Boumediene et son fiasco n'ont pas été retenues.

Et pour cause, l'état d'esprit autoritaire, le monopole de la pensée unique et l'absence totale d'humilité sont toujours en vigueur.

Pourtant, l'Algérie a tous les atouts pour s'en sortir et s'engager dans un processus de développement : des ressources abondantes, une population jeune et dynamique dont la taille est plutôt humaine. Il s'agit de savoir si nous sommes capables de faire évoluer notre état d'esprit, sortir de la dépendance, intégrer la diversité des opinions et faire confiance aux ressources locales.

Dans ce bref article, je souhaite proposer quelques éléments fondamentaux, en m'inspirant de l'expérience indienne.

Une expérience originale

L?exemple indien est intéressant car c?est le seul pays en développement à avoir réussi à élaborer une constitution démocratique, sans violence ; elle dure depuis 65 ans et tout le monde la respecte.

Si l'Inde, aujourd'hui, est devenue un acteur mondial, reconnue par toutes les puissances, c'est qu'elle s?est dotée des arguments qui lui procurent la crédibilité sur la scène mondiale. Elle s'est donnée les bases d'un pays développé et démocratique. L'industrialisation a permis à l'Inde de devenir une puissance industrielle, les révolutions verte et blanche lui ont permis de devenir autosuffisante et les nouvelles technologies lui permettent d'accélérer le développement et moderniser l'économie, tout en l'inscrivant, dans la durée et fidèle à ses traditions et sa culture d'ouverture et de grande tolérance.

La constitution : De quoi s'agit-il ?

La constitution est un socle pour tout développement, elle mérite un travail et une réflexion, en profondeur, que seule une participation, la plus large, peut permettre et rendre possible.

Un rappel des propos de Ambedkar, considéré comme le père fondateur de la constitution est utile pour le comprendre : «Une bonne constitution, disait-il, c'est d'abord un instrument au service du peuple, du projet social et du développement. Son efficacité dépendra de la façon dont elle est mise en œuvre. Ainsi, une très bonne constitution peut s'avérer médiocre si les personnes chargées de la faire respecter sont médiocres, incompétentes et corrompues. Par contre une constitution imparfaite peut être améliorée si ces mêmes personnes sont compétentes, honnêtes et au service du peuple». Une belle affirmation à méditer.

Il est important de réaffirmer le caractère universel de la constitution, comme loi fondamentale que se donnent les citoyens pour s?inscrire dans la modernité et s'engager dans le processus de développement. Elaborer une constitution est un travail trop sérieux pour le laisser au charlatanisme, aux improvisions et autres fantasmes idéologiques. C?est ce à quoi Daryush nous invite à réfléchir :

«L'influence de l'Occident et la modernité qui le sous-entend suscitent, de nos jours, dans le monde islamique des aires de résistances multiples, provoquant, tantôt une régression dans une mythologie des origines, censée résoudre, miraculeusement, toutes les misères morales et les inégalités sociales dont souffrent nos sociétés, tantôt une fuite en avant, vers des aventures, de plus en plus périlleuses, tantôt, enfin, un refus catégorique à relever les défis des temps nouveaux» Le regard mutilé, Daryush Shayegan.

A suivre

*Professeur visitant. Indian Institute of Management India. CCI Marseille