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Pékin et la main invisible du marché

par Akram Belkaïd, Paris

On connaît la rengaine des néo-libéraux. Dérégulation, encore la dérégulation, toujours plus de dérégulation. Ou encore, le marché, encore le marché, toujours le marché… A les entendre, la seule force susceptible d’agir de manière cohérente et logique serait celle qui résulte de la confrontation entre l’offre et la demande. Autrement dit, la fameuse « main invisible » chère à Adam Smith serait capable à elle seule d’ordonnancer une économie et de lui permettre de se développer.

MINI-KRACH ET COUPE-CIRCUIT

C’est en poussant ce jugement jusqu’au bout que des économistes ont estimé que les Etats occidentaux commettaient une erreur majeure en volant au secours des banques emportées par la tourmente de la crise des subprimes en 2008. Selon eux, il aurait fallu laisser la loi du marché aller jusqu’au bout de façon à ce que la situation soit clarifiée et que place nette soit faite fût-ce au prix de milliers de faillites et de millions de licenciements.

Ces mêmes voix, dont celle du quotidien The Financial Times –l’hebdomadaire The Economist ne va pas tarder à se manifester lui aussi – se sont encore fait entendre à propos de la situation boursière en Chine. Rappelons à ce sujet que les Bourses de Shanghai et de Shenzhen ont connu récemment deux mini-krachs en moins d’une semaine. A chaque fois, le même scénario s’est déroulé selon la séquence suivante : d’abord, une baisse vertigineuse des cours en raison de mauvaises nouvelles économiques (ou supposées telles) et, ensuite, un arrêt des cotations en raison du déclenchement d’un « coupe-circuit » qui suspend les échanges si l’indice composite CSI300 a plongé de plus de 7%.

En clair, ce coupe-feu a empêché que la «vérité» du marché n’aille jusqu’à son terme. Autrement dit, c’est d’une certaine manière l’Etat chinois qui s’est substitué à la «main invisible» en empêchant que les Bourses ne s’effondrent totalement (et qu’elles ne transmettent la panique aux autres places mondiales). Voilà donc un exemple qui suffit à renvoyer les intégristes du marché à leurs études. L’efficience des Bourses n’est rien d’autre qu’un argument théorique que la réalité n’a aucun mal à balayer. Quelles que soient les puissances de calcul des ordinateurs en charge des transactions, quels que soient la pertinence des algorithmes, l’intervention humaine, symbolisée ici par un coupe-feu qui remet la décision de reprendre ou non les échanges entre les mains des autorités, est inévitable.

COMMUNISME ET MARCHE

On relèvera aussi que ce qui vient de se passer sur le marché chinois illustre à sa façon la contradiction qui existe entre le fait d’avoir un parti communiste (et unique) à la tête d’un pays et celui d’avoir une économie dite de marché. On insiste souvent sur l’opposition frontale entre l’absence de libertés politiques (et syndicales) et la nature capitaliste de l’économie. Un écart qui, pour l’heure, est assez bien géré par le Parti communiste chinois. Mais on ne dit jamais assez que ce capitalisme est celui d’un Etat qui demeure très influent et très puissant. Un Etat qui, visiblement, ne croit pas (encore) aux vertus de la main invisible du marché…