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Ni Club des Pins ni El Alia !

par Slemnia Bendaoud

Ni avion présidentiel ni obsèques officielles ? Ni cortège spécial ni funérailles super nationales ? Ni clan en accordéon ni l'auvent du Panthéon algérien ? Ni prétention personnelle à afficher ni dividende substantiel à en récupérer ? Ni le profil bas ni la soumission de la supposée réédition ?

Il n'est ni un homme à tutoyer ni une personnalité à pouvoir longtemps ignorer ? Ni même celui porté sur le costume de la honte de la basse besogne ni celui intéressé par les feux de la rampe ? Ni valet effacé ni utile courtisant ? Ni celui-ci exilé de choix ni celui-là sédentaire de droit ?

Il est celui très adroit dans les cibles qu'il vise et celui très subtil dans les mots qu'il utilise ! Il fut cette lueur d'espoir qui montre le bon chemin à suivre à son monde, cet éternel rebelle qui ne désarme jamais devant les dures épreuves à affronter et les terribles défis à relever.

Ni compromission ni capitulation ? Ni vraiment séduit par son égo ni surtout bien rassuré au sujet de l'avenir de l'Algérie ? L'Homme n'avait d'ailleurs pas à choisir entre « le choléra ou la peste » pour lui qui croyait dur comme fer en cette expression de grande rigueur et importante teneur : « Ni Etat policier ni Etat intégriste ». Ce fut donc juste sans rancune et sans récupération !

Il fut sa vie durant de ce tempérament en acier pur et dur qui ne craint jamais de dire vrai, de parler haut et fort, de proposer des solutions à hauteur des idéaux défendus, analysant finement ses interventions et peaufinant à la perfection les textes leur servant de support de communication.

Autant il dérangeait tout son monde de son vivant, autant il dérange encore et toujours après sa mort leur conscience ! Il ne pouvait justement les laisser tranquilles pour avoir toujours vécu dans la peau d'un vrai patriote et aussi inlassable guerrier.

Il est ainsi des Hommes de cette trempe, nés juste pour sincèrement écrire leur destin conjugué au nôtre et brillamment produire avec une grande page de l'Histoire de l'Algérie où fusionnent à merveille leur combat avec celui totalement consacré à la liberté de toute une Nation luttant à la peine pour son indépendance.

Sans vouloir vraiment diminuer du mérite à accorder à son vaillant combat ou même oser probablement l'affabuler, l'on ne peut finalement qu'être très admiratif devant le parcours tortueux et fort élogieux de celui qui fut l'un des véritables architectes de l'indépendance de l'Algérie.

L'Homme fort du congrès du PPA-MTLD de Zeddine (Ain-Defla) et de l'OS devait déjà en Décembre 1948 faire étalage d'un formidable savoir-faire et surtout preuve d'un très grand stratège, au vu du rapport conséquent qu'il devait piloter et ensuite présenter pour la circonstance, eu égard aux points si importants qu'il contenait, jugés tous comme très indispensables à la bonne conduite du combat et à la poursuite sans relâche de la lutte alors menée sur plusieurs fronts et surtout au maquis contre l'occupant français.

De l'OS au FLN, ses positions ?restées inchangées- ne faisaient finalement que se confirmer et très nettement s'enraciner, ses convictions que tout naturellement s'ancrer et très profondément se prolonger dans un schéma de lutte permanente pour le recouvrement sans condition de l'indépendance de l'Algérie.

Dans son long, éreintant et tonitruant combat, il fera la connaissance avec les pires exactions et autres difficiles privations des sombres geôles de l'occupant français mais aussi de celles non moins funestes de la prison algérienne d'où il avait réussi à pouvoir très spectaculairement s'évader un certain 1er Mai 1966.

Ce fut alors vêtu de l'uniforme d'un faux marin qu'il traversera la Méditerranée et quittera clandestinement Alger pour Marseille, avant de rejoindre Paris, et ensuite Lausanne (Suisse) ; après qu'il eut pu grâce à la complicité de ses amis quelques semaines plutôt s'évader en tenue féminine de la maison d'arrêt d'El Harrach.

Cependant, à chaque fois que sa patrie fut en danger ou filait du mauvais coton il répondit toujours présent, très disposé à contribuer à son salut et à favorablement accueillir ses sérieuses sollicitations : d'abord, à la fin des années quatre-vingts, et ensuite une décennie plus tard.

L'assassinat en direct de Mohamed Boudiaf, son compagnon de lutte pour l'indépendance de l'Algérie, le condamnera de nouveau à l'exil, craignant lui aussi pour sa vie dans ce climat devenu subitement confus et très compliqué.

Le retrait de sa candidature conjointement et solidairement avec les cinq autres candidats à la veille de la tenue de la très théâtrale présidentielle de 1999 marquera pratiquement la fin de sa carrière politique, même s'il continuait à toujours assurer la présidence du parti du Front des Forces Socialistes (FFS) jusqu'à sa démission en 2013.

Ce digne fils des Ait Yahia (Ain El Hammam) est aujourd'hui de retour au pays, non pas pour une quelconque visite familiale ou une toute nouvelle aventure politique à y tenter et y initier, mais plutôt pour ce voyage éternel qui le mènera dans l'au-delà, après un dernier hommage que lui rendront sur site les siens, en signe de reconnaissance à son long et valeureux combat des braves.

L'heure du repos pour ce guerrier et révolutionnaire de la première heure a donc sonné. Il y élira domicile au sein de ce refuge éternel, selon ses propres vœux, désirs et volontés, légués comme unique testament à ses proches et à tous les algériens. Cependant, la mort d'un pareil Héros et grand monument de la révolution nous interpelle tous au sujet de notre comportement envers cette figure de proue du long combat pour l'indépendance de l'Algérie.

Que signifie donc, entre autres, cette expression « Ni avion présidentiel ni obsèques officielles » ?

En dehors qu'elle soit un choix que tout le monde est tenu de respecter et d'exécuter à la lettre, la symbolique qu'elle véhicule mérite toutefois de lui accorder toute l'attention voulue.

Il y a, à la base, cette démarcation à faire entre le défunt et les tenants du pouvoir au plan de la philosophie de la lutte politique à mener et surtout au sujet de l'exercice d'un pouvoir réellement démocratique.

Deux points essentiels qui ont jalonné son long combat et surtout nettement distingué le disparu de ses frères de lutte pour le recouvrement de l'indépendance de l'Algérie, à des étapes différentes de sa gestation, réalisation et capitalisation.

Il voulait peut-être nous faire croire que l'homme politique national peut se concevoir bien autrement que celui qui habite Club des Pins et meurt à El Allia, que celui qui peut se transformer ou se convertir après son combat en un valet effacé et en un courtisant intéressé à l'aspect cupide et avide de menus strapontins.

Il aura, en revanche, réussi à incruster dans nos esprits (nous imposer serait plus juste) cette noble culture politique qui manque foncièrement à nos semblants de politiciens de la vingt-cinquième heure, ayant presque tous fondé un parti dont la mission n'est autre que d'appuyer les gens au pouvoir.

Son long combat sonne somme toute comme la marque indélébile du sceau et de l'écho d'une lutte politique probe, propre, sincère, juste et très engagée en faveur de l'expression des libertés et de la justice sociales qui sont les fondements d'une réelle pratique démocratique.

Son testament nous renvoie à ces nobles pratiques politiques qui ont complètement déserté le champ politique algérien depuis que la fraude électorale s'est érigée en ce rempart infranchissable contre l'expression libre des citoyens algérien.

Da l'Ho part désormais pour l'au-delà, finissant en apothéose son honorable combat, mené d'une main de maitre. Sa mort, symbolique à plus d'un titre, démontre -on ne peut mieux- qu'on peut éternellement reposer au sein du cimetière de son propre douar et trainer derrière soi l'inamovible symbole d'un Grand Héros de toute un Nation.

Voilà pourquoi Ait Ahmed a refusé le petit royaume de Club des Pins ! Et voilà pourquoi il a aussi refusé d'être enterré au très officiel carré des Martyrs d'El Allia !

Seule l'Histoire saura probablement nous confirmer, un jour, si son message a bien été perçu dans son sens stricto sensu par tous les algériens, et si la grande leçon de morale que véhicule son combat pour l'Algérie a, elle aussi, été assimilée et retenue par les tenants du pouvoir.

L'enfant du peuple retrouve les siens. Dans son ultime souhait et dernier souffle, il aura désiré rejoindre ces petites gens de sa contrée natale. Son histoire, se confondant celle de sa patrie, continuera leur combat commun. Modeste, digne et simple dans sa vie, il eut droit à cette mort exceptionnelle qui refait à sa manière l'Histoire du pays !