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Une ville, une culture, une architecture

par Slemnia Bendaoud

Une ville, une Histoire ! A chaque ville son architecture singulière et son style très particulier que le monde perçoit comme le produit de la culturede ceux qui l'ont pensée ou investie, façonnée ou projetée sur son site, savamment dressée et érigée, pour ensuite longtemps la peupler.

Entre l'homme et la ville, il existe ce lien ombilical et séculaire dont l'histoire en reproduit,à bon escient d'ailleurs, à chaque fois que de besoin, des séquences, des apparences, des vestiges, des indices, des facettes, des étiquettes, des reflets, des effets et des reliefs-clefs au travers desquels se reconnaissent ses bâtisseurs mais aussi leur ère, via leur culture et autres plus ou moins vieilles traditions.

Invention de l'homme, elle reste plutôt ce pur produit de l'histoire,où l'on croise le fer, au sein de laquelle elle joue un rôle de catalyseur d'une dominance humaine qui a le pouvoir d'imposer à ses semblables ses choix, ses lois, ses droits, sa Haute voix, son légendaire ou grand poids social, son violent gourdin et son virulent machin d'enfer envers tout récalcitrant ou amateur désobéissant ?

Erigée en véritable forteresse, bien souvent au sommet d'une impasse ou imposante colline, pour des raisons d'ordre sécuritaire et militaire, elle a le monde à ses pied, et dispose de tout un étoffé ou éventail de valetaille qui veille nuit et jour au grain, sur sa pérennité, sur sa virginité, à son unité et paternité sur tout un immense territoire d'où elle tire l'essentiel de sa réelle force, sa nécessaire nourriture et surtout grands effectifs pourvoyeurs de son armée royale.

Royale, elle est plutôt impériale, puisant dans une longévité historique la sève qui défraie la chronique et défie le temps, se mutant et se transmutant de dynastie en dynastie en un très long et plutôt interminable cycle de métamorphose qui impose au monde sa légendaire histoire et autres galons de sa véritable gloire.

Un jour bêtementconquise, un autre elle est de force ou de droit acquise ou reprise par ses ayants-droits à ses nouveaux assaillants. Souvent reconquise, elle servira toujours de théâtre à de grandes batailles en vue de sa parfois difficile réappropriation ou restitution à ses premiers maçons.

Maintes fois détruite, elle sera aussitôt à chaque fois reconstruite sur l'esplanade même du territoire de son tout premier site, dans le tracé de son plan de masse nuancé, celuipourvu deses venelles en vrais lacis.

De sa haute altitude ou sur le juché rocher de sa corniche marine sur lequel elle est perchée, elle surveille grâce ses hommes de veille tout son monde à la ronde, étrennant à travers le temps qui passe une attitude des plus sereines et affichant une fermeté à toute épreuve et des plus sévères quant au franchissement indu ou osé de ses conventionnelles ou déclarées frontières.

?uvre grandiose de l'être humain, elle a toujours été au cœur de ses rêves et au centre de ses fantasmes, ses fantastiques exploits et ses décisifs combats. Adepte du grand manège, elle fait tourner en rang ses nombreux conquérants.

A celui-ci elle lui attribue son nom comme gage de son parrainage ; et à celui-là, elle lui dit, folle de rage, carrément « dégage !», tournant ainsi une page de son histoire, une fois suffisamment rassurée sur sa légendaire tranquillité. Mais qui a donc fait l'autre ? L'homme ou la ville ? Sans tomber dans la question encore sans réponseau sujet de l'existence première de l'œuf ou de la poule, il est utile de préciser que l'œuvre produite ne s'arrête pas au stade de sa création puisqu'il est aussi question de la mettre en action et à l'épreuve du temps.

Qui a donc fait l'autre ? Cette sempiternelle question revient tel un véritable piège à au plus vite s'en débarrasser ou habilement le contourner ! Est-ce ce corps de pierre ou alors ce corps fait desang et de chair ? Cet espace puissant et très présent ou cet autre très créateur et bien penseur ?

Immense corps de pierre, étanche et très ferme, sinon à base de briques poreuses rouges ou écarlates, en forme d'un amphithéâtre à ciel ouvert bercé par le vent qui caresse le socle de sa colline, ou encore prise en sandwich dans le flux continu d'une plainefixée dans le caveau d'un fleuve architectural, gardée des deux côtés de ses rivages par deux hauts reliefs dressés en véritables sentinelles, la ville s'étend parfois à perte de vue pour exprimer toute sa grandeur, sa splendeur, et se répand en surface à la manière d'un gros ou démesuré serpent qui se détend en avançant vers l'horizon.

Vrai carrefour d'échange commercial, elle reste cette destination privilégiée des nomades et autres riverains à la recherche de gains substantiels à réaliser sur leurs produits ou en échange de ceux dits manufacturés, lesquels en vaquant à leurs occupations lui restituent son âme et tout son charme, perdus durant tous les autres jours de la semaine précédant le jour de son marché hebdomadaire. Et si à cette imposante masse rocailleuse qu'est la ville c'est plutôt l'homme qui lui insuffle l'âme qui lui donne surtout vie ; on ne put bien souvent s'empêcher de constater que c'est, au contraire, elle qui lui assure si généreusement cette postérité de l'Histoire, préférant en revanche l'accorder à celui qui la conquiert aux dépens de celui qui lui crée son acte de naissance, à celui qui l'envahit avec armes et bagages au détriment de celui qui l'a construite et longtemps édifiée, au profit dont elle est restée séduite bien plus qu'à celui dont elle a été pensée et construite, à celui qui la viole à répétition plutôt qu'à celui qui la défend et s'y sacrifie fort justement et bien malheureusement !

Ville d'art et d'Histoire ou ville de Bazard ? Ville-loisirs ou ville-fantôme ? Ville moderne ou ville-bidon ? Ville-plaisir et des Vizirs ou ville dortoir et vrai mouroir ? ville Dieu ou ville des gueux ? Ville des Stars ou ville cauchemar ? Ville martyr ou ville des vampires ? Ville sobre et propre ou ville sale et véritable dépôt d'ordures ? Ville des cénacles et de grands spectacles ou ville des miracles des dangereux tacles ?

Ville des prestiges, prodiges et hommes liges ou ville des bidonvilles et autres grabuges ? Ville très traditionnelle ou ville des futurologues? Ville de vieux turbans ou ville de nouveaux forbans ? Ville des racines ou ville machine ? Ville de la déesse Raison et des philosophes ou encore ville de l'utopie et du grand bluff?

Aujourd'hui, autant celle-ci que celle-là, la première comme la seconde, nous apostrophent, nous interpellent. Bien avant son Histoire, il y est question d'abord de cette culture qui dicte ou inspire à l'homme son architecture. Fille naturelle de l'exode, la ville est l'œuvre de l'homme, bien souvent celle toute indiquée de ses propres et tout légitimes fils.

Si le produit architectural de grande qualité, de façon remarquable, marquel'espace urbain, le texte bien agencé, cadencé, concis et précis, sensé et rythmé, marque, lui, l'esprit humain.

Dans le premier comme dans le second cas, l'œuvre est bien réussie. Et lorsque celui qui le réalise si bien en amant est celui-là même qui le perfectionne aussi en aval, c'est-à-dire à la fois architecte et poète, n'est-ce pas l'apothéose ?

Dans ce registre-là, deux noms s'imposent de force à tout leur monde, grâce à leurs œuvres de qualité et surtout grâce à leur pertinence et génie humain de lier l'art de construire à celui magique de bien le décrire.

Auteurs de titres vraiment de choix, évocateurs du bel art, superbes dans leur analyse et somptueux de par leur contenu, les écrits de Michel Ragon* et de Jean Jacques Deluz** scrutent intelligemment l'horizon du cadre bâti et auscultent habilement les éléments et tout réduits indices comme les masses et grands profils architecturaux de nos villes, mais aussi hypnotisent fermement l'attention de celui qui les lit et suit à travers leurs magnifiques textes transcris sur des feuilles blanches à la manière des plans architecturaux à traduire en de véritables reliefs de concrètes bâtisses ou villes d'avenir.

Leurs textes sont de magnifiques promenades. On y aspire à pleins poumons les effluves de ce parfum tonique cher au pays visité pour l'occasion, le temps de balayer des yeux les mots enchevêtrés qui le mettent en relief. Le premier-cité avoue cependant que ?'La ville est le produit de l'Histoire''. ?'Autant de civilisations, autant de villes'', renchérit-il. De Platon à Le Corbusier, ces deux plumes nous décrivent brillamment les villes, leurs coins et recoins, leur style et leur impact sur la vie de l'homme, tenant compte de leur culture et de leur architecture qui en font leur Histoire.

A eux cet honneur d'avoir si habilement et brillamment dessiné les contours et les atours de notre espace urbain, truffé de ses jardins luxurieux et imposants gratte-ciels. Et à nous ce privilège d'en disposer souvent à vie. Ceux ci-dessous cités sortent vraiment du lot pour avoir su également nous interpréter la touche magique du génie de leurs chefs-d'œuvre.

Car, autrefois tout comme de nos jours, «lorsqu'on voulait détruire une civilisation, on détruisait ses villes».