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La Fed sonne la fin du bal

par Akram Belkaïd, Paris

Imaginez une grande fête avec un orchestre jouant une série de morceaux endiablés pour des danseurs bien alcoolisés. Dans ce genre d’ambiance, personne n’a intérêt à arrêter la musique. Mais la nuit est bien avancée et il faut bien que quelqu’un ordonne au barman de commencer à ranger verres et bouteilles. C’est le premier signe que la soirée, et ses excès, vont s’achever. Oh, pas tout de suite, il va y avoir encore quelques danses, des rappels, mais le processus est enclenché. Des musiciens vont s’éclipser et les rangs des fêtards se clairsemer, les derniers d’entre eux ayant du mal tout de même à réaliser que la fête est finie.
 
UNE HAUSSE DES TAUX ATTENDUE
 
La description qui précède est souvent utilisée pour décrire ce qui se passe quand une banque centrale se décide enfin à clore une politique monétaire accommodante et qu’elle resserre le crédit (les investisseurs des marchés, habitués à une abondance de liquidités, sont dans le rôle des fêtards). C’est ce qui vient de se passer aux Etats-Unis puisque la Réserve fédérale (Fed) a augmenté ses taux qui vont désormais évoluer dans une fourchette entre 0,25% et 0,5%. Certes, cela fait des semaines que cette hausse est annoncée par la communication ultra-prudente de Janet Yellen, la présidente de l’institution monétaire. Mais tout de même, ce relèvement signifie bel et bien qu’une époque se termine. Fini le temps de l’argent « gratuit », celui des 2.500 milliards de dollars injectés dans l’économie américaine pour atténuer les effets de la crise de 2008 et pour relancer l’activité.

Pour la Fed, il est donc temps de relever « graduellement » des taux que les économistes voient atteindre 3,5%, voire 4% d’ici 2020. Une hausse destinée à accompagner la montée en puissance de l’économie étasunienne et à contenir l’inflation. Surtout, la Fed a décidé qu’il était temps de se constituer une muraille de défense pour le futur. En effet, à l’heure actuelle, les taux étant très bas, l’institution monétaire n’a guère d’outils pour réagir à une nouvelle crise éventuelle. En relevant les taux à un rythme lent de façon à ne pas semer la panique sur les marchés, la banque centrale revient donc progressivement à une gestion orthodoxe de la politique monétaire. Pour autant, cela ne veut pas dire que cette démarche n’est pas risquée.

D’abord, les doutes subsistent quant à la santé de l’économie américaine. Bien sûr, le taux de croissance du produit intérieur brut dépasse les 3% en moyenne et le taux de chômage officiel est au plus bas (près de 5%). Mais il faut nuancer ce constat. Les salaires ne progressent plus, les emplois stables non plus et le taux de chômage réel, celui qui prend en compte les non-inscrits, les temps partiels et les postes peu rémunérés, serait de 11%. En clair, en remontant les taux, la Fed prend le risque de « tuer » une reprise que certains experts jugent fragile, pour ne pas dire à peine existante. La conséquence d’un mauvais jugement serait une violente récession, une hypothèse qui n’est pas à écarter.
 
RISQUE POUR LES EMERGENTS
 
Ensuite, et c’est plus connu, qui dit relèvement des taux américains dit risque de crise quelque part dans la sphère des pays émergents. On connaît le mécanisme. Quand la Fed relève ses taux, les placements aux Etats-Unis (et en dollars) deviennent plus attractifs. Du coup, les places émergentes subissent une sortie de capitaux quand, dans le même temps, les entreprises endettées en dollars voient leurs remboursements augmenter. Les possibilités de défauts et de faillite augmentent, ce qui met en péril les banques.
En décidant la fin du bal, Janet Yellen a tout de même pris le risque de provoquer à terme la panique chez les fêtards…