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Tunisie : le 5e anniversaire de la révolution dans la morosité

par Akim Rezgui Et Inès Bel Aiba De L'afp

La Tunisie a marqué jeudi sans faste le cinquième anniversaire du déclenchement de la révolution qui a renversé la dictature de Ben Ali et marqué le point de départ du « Printemps arabe», bouleversant le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. "La Tunisie a définitivement rompu avec la tyrannie, sans retour possible", a dit dans un communiqué le Premier ministre tunisien Habib Essid.

Le 17 décembre 2010, un vendeur ambulant de 26 ans, Mohamed Bouazizi, excédé par la précarité et les brimades policières, s'immolait par le feu à Sidi Bouzid, dans le centre défavorisé du pays. Le geste du jeune homme, qui allait décéder le 4 janvier 2011, avait provoqué une onde de choc. Des manifestations réprimées par le régime (plus de 300 morts en un mois) s'étaient propagées à toute la Tunisie, pour culminer le 14 janvier 2011 avec la chute, après 23 ans au pouvoir, du président Zine El Abidine Ben Ali. Ce dernier s'était alors envolé pour l'Arabie saoudite, où il est toujours exilé. L'euphorie post-révolutionnaire est toutefois loin. En raison de la morosité ambiante, notamment due à la persistance du chômage et de la misère ainsi qu'à la menace djihadiste, de modestes festivités ont été organisées à Sidi Bouzid, sous forte protection.

'BEAUCOUP RESTE A FAIRE'

Un spectacle équestre s'est déroulé en centre-ville devant un public clairsemé. La ministre de la Culture Latifa Lakhdhar a annoncé qu'un musée de la révolution serait construit en ville et a inauguré un Institut régional de la musique ainsi qu'une bibliothèque municipale.

Quelques dizaines de personnes ont manifesté devant le siège du gouvernorat en scandant "Travail, liberté, dignité nationale", un des slogans phare de la révolution. "Cinq ans ont passé et nos revendications n'ont pas été réalisées", a dit avec amertume à l'AFP Ramzi Hamzaoui, en tête de cortège, reflétant la désillusion et le ressentiment de nombreux habitants. "Nous sommes passés par une période très difficile, on gérait le quotidien", a justifié le gouverneur de la région, Mourad Mahjoubi. "Maintenant, on a mis (en place) une stratégie de développement et on va travailler. C'est difficile mais les jeunes doivent être patients", a-t-il enchaîné.

En 2012, le président de l'époque, Moncef Marzouki, avait été chassé des commémorations par une foule en colère, et l'année suivante les dirigeants tunisiens n'étaient pas venus.

La Tunisie fait malgré tout figure de rescapée du « Printemps arabe». Alors que la Syrie, le Yémen et la Libye se débattent dans la guerre ou le chaos et que l'Egypte réprime toute opposition, elle a organisé des élections libres (2011 et 2014) et adopté une nouvelle Constitution l'an dernier. Le Prix Nobel de la paix 2015 a en outre été décerné à un quartette d'organisations tunisiennes pour avoir sauvé la transition démocratique par le dialogue. En visite jeudi à Sidi Bouzid, Houcine Abassi, le secrétaire général du syndicat UGTT, un des lauréats du Nobel, a lui-même déploré qu'"à part la liberté, aucun des slogans des jeunes de Sidi Bouzid ne s'est concrétisé". "Cinq ans (après), Sidi Bouzid souffre encore de la pauvreté et de l'injustice", a-t-il regretté.

'EN GUERRE'

"La liberté, notre acquis majeur", s'est pour sa part félicité le quotidien La Presse. Mais "si la révolution a consacré liberté d'expression, démocratie et participation à la chose publique, beaucoup reste à faire pour assurer une paix sociale durable et une croissance économique soutenue". L'économie tunisienne est en grande difficulté, affectée par l'instabilité qui a suivi la révolution, les mouvements sociaux et une progression de la mouvance djihadiste, qui a notamment atteint les investissements et le tourisme. Des dizaines de personnes, en majorité des policiers, des militaires et des touristes étrangers, ont été tuées depuis 2011 par des djihadistes. Le groupe Etat islamique (Daech) a revendiqué trois attentats majeurs cette année. Le dernier, le 24 novembre, a tué 12 agents de la garde présidentielle en plein Tunis. "Notre patrie fait face aujourd'hui à d'énormes défis et de nombreux dangers, en premier lieu celui du terrorisme", a averti le Premier ministre. "Nous menons une guerre féroce contre ce fléau, ce qui impose de s'attacher à l'union nationale sacrée", a-t-il ajouté. Dans la foulée de l'attaque du 24 novembre, l'état d'urgence a été proclamé pour la deuxième fois en 2015. Plusieurs ONG ont appelé la Tunisie à garantir les droits de l'Homme malgré cette situation d'exception, notamment après des centaines de descentes policières souvent musclées.