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Sous l'égide de l'ONU : Signature d'un accord interlibyen? contesté

par Jalal AL Makhfi Et Rim Taher De L'afp

Des députés et des hommes politiques libyens ont signé jeudi au Maroc un accord parrainé par l'ONU prévoyant un gouvernement d'union nationale pour sortir le pays du chaos, malgré l'objection des deux Parlements rivaux qui l'ont rejeté d'avance. S'inquiétant de la progression du groupe djihadiste Etat islamique (Daech) en Libye et de la porosité des frontières permettant le départ de milliers de migrants vers l'Europe, la communauté internationale a fait le forcing pour obtenir cet accord, dont la mise en application semble cependant loin d'être acquise. La France, la Grande-Bretagne, l'Union européenne et l'Otan ont salué l'accord, fruit des efforts de l'ONU déployés depuis le début de l'année. Depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est plongée dans la tourmente avec des combats entre milices armées et deux Parlements et gouvernements se disputant le pouvoir. "C'est un jour historique pour la Libye", s'est félicité l'émissaire de l'ONU Martin Kobler, lors de la signature en présence de diplomates et ministres des Affaires étrangères arabes et européens à Skhirat, près de Rabat. L'accord a été signé par des membres des Parlements rivaux -l'Assemblée basée à Tobrouk et reconnue par la communauté internationale et le Congrès général national (CGN) siégeant à Tripoli- ainsi que par des hommes politiques et des représentants de la société civile, selon un journaliste de l'AFP sur place.

Selon des participants, environ 80 des 188 membres du Parlement de Tobrouk et 50 des 136 députés du CGN ont signé cet accord, outre l'émissaire de l'ONU Kobler. L'ambassadeur de France en Libye, Antoine Sivan, a pour sa part précisé qu'environ 100 membres du Parlement reconnu et quelque 70 du CGN avaient signé l'accord. L'accord prévoit la mise en place d'un gouvernement d'union nationale basé à Tripoli, dirigé par l'homme d'affaires Fayez el-Sarraj et composé de 17 ministres dont deux femmes. Il stipule aussi l'établissement d'un conseil présidentiel pour une période de transition de deux ans qui devra s'achever par des élections législatives.

Le diplomate allemand a notamment appelé le nouveau gouvernement "à s'attaquer d'urgence aux préoccupations des parties qui se sentent marginalisées". L'un des signataires de l'accord, Saleh el-Makhzoum, qui s'est présenté comme un représentant du CGN, a parlé "d'un tournant décisif (...) sur la voie de la construction de l'Etat", et d'un "premier pas vers le rétablissement de la stabilité". "La porte est toujours ouverte pour tous ceux qui n'étaient pas ici aujourd'hui", a déclaré M. Kobler, en référence à ceux qui s'opposent à l'accord. Lors d'une réunion mardi à Malte, le président du CGN, Nouri Abou Sahmein, et le chef du Parlement reconnu, Aguila Saleh, avaient en effet affirmé, lors d'une rencontre inédite, que ceux qui signeraient l'accord à Skhirat ne le feraient qu'à titre individuel et non au nom de leur Parlement respectif. Les chefs des deux assemblées rivales poussent pour une "déclaration de principes" sur un gouvernement d'union, signée début décembre à Tunis, un processus alternatif à celui de l'ONU. L'accord "ne fera que compliquer la situation", a déclaré à l'AFP Mahmoud Abdelaziz, membre du CGN, hostile à l'accord.

TROIS GOUVERNEMENTS ?

Il y a "deux gouvernements et deux Parlements. Maintenant, nous allons nous doter d'un troisième gouvernement au lieu de réunir les deux autorités rivales", a-t-il déploré.

Dans un communiqué, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a reconnu que "la route sera difficile" mais il a assuré que "les Nations unies continueront à accompagner le processus et soutenir le gouvernement". Pour M. Kobler, l'accord va favoriser une assistance étrangère à la Libye pour l'aider à lutter contre le terrorisme. "Une levée de l'embargo sur l'armement requiert un (seul) gouvernement". L'ambassadeur de France a de son côté indiqué dans un communiqué que le Conseil de sécurité de l'ONU devait adopter dans les prochains jours "une résolution reconnaissant ce gouvernement, comme seul gouvernement légitime de Libye". Le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius a estimé qu'un gouvernement d'union nationale était "la condition pour faire reculer le terrorisme". Le Premier ministre britannique David Cameron a pour sa part affirmé que "la communauté internationale pouvait désormais traiter avec un seul gouvernement représentatif (...) dans la lutte contre Daech et les trafiquants de migrants". Le secrétaire général de l'Otan a salué "un pas important sur la voie de la stabilité et la paix", alors que la chef de la diplomatie européenne Federica Mogherini a exprimé l'espoir de voir "tous les représentants libyens se joindre très prochainement à l'accord".