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Algérie ? Iran : Téhéran veut une alliance avec Alger pour contrer le «complot du pétrole»

par Ghania Oukazi

La République islamique d'Iran suggère une alliance à l'Algérie en vue de «déjouer le complot fomenté par quelques pays, dont des musulmans, pour provoquer la chute du prix du baril de pétrole.»

La demande a été exprimée par le vice-président de la République islamique d'Iran, Ishak Jahangari qui a consacré deux jours, mercredi et jeudi derniers, à l'Algérie pour l'inciter par la même occasion, à «faire des affaires » avec son pays. Il a fait part de la volonté des plus hautes autorités iraniennes de créer des partenariats dans les secteurs de l'électricité, du ciment, des mines, de l'acier, des infrastructures de base, des routes, des équipements médicaux, de l'industrie automobile et autres, architecture et urbanisme. Un accord a déjà été signé jeudi, entre le groupe Tahkout et une entreprise iranienne pour le montage de véhicules utilitaires et la fabrication de pièces détachées diverses. Les signataires ont d'ores et déjà assuré que le prix du véhicule monté en Algérie sera « à la portée de tous ». Ils voient même grand en affirmant que les véhicules seront produits pour le marché local durant la 1ère et la 2ème année du lancement du projet et, dès la troisième année, ils seront, tout autant que les pièces détachées, destinés à l'exportation.

Le 1er ministre a lui aussi fait part de l'intention des autorités algériennes de booster les partenariats avec l'Iran parce qu'ils sont « une nécessité » pour renforcer les relations économiques bilatérales. « Les relations politiques sont bonnes et les positions des deux pays convergent largement à propos des grandes questions régionales et internationales, » a-t-il précisé. Sellal a demandé aux Iraniens d'investir notamment dans l'industrie, les mines, les TIC, l'agriculture.

DES ECHANGES DE? 100 MILLIONS DE DOLLARS

Le 1er ministre n'a pas hésité à leur faire savoir que « notre économie s'est rétrécie. » Il demande alors de «s'unir pour créer une nouvelle dynamique à nos relations économiques en fonction de nos intérêts mutuels (?).» Il en appelle à l'adoption d'une politique crédible de coopération entre les deux pays, susceptible de leur destiner l'Afrique comme marché économique probant. « On va ensemble vers l'Afrique et on en a les moyens, » a-t-il dit. « Bienvenue à vous, enfants de la Perse, chez nous, en Algérie la Révolution,» a conclu le 1er ministre.

Les ministres algériens et iraniens de divers secteurs, les présidents des chambres de commerce et d'industrie des deux pays ont renchéri sur la nécessité des partenariats entre «deux pays influents, l'un en Afrique et l'autre en Asie.» Les gouvernements algérien et iranien promettent ainsi d'assurer la couverture politique aux hommes d'affaires des deux pays aux fins de créer des partenariats d'envergure économique importante. Il est clair que le discours politique ne suffit pas à lui seul, pour promouvoir des relations économiques entretenues depuis longtemps par seulement 100 millions de dollars. Une balance commerciale qui penche totalement du côté iranien par l'exportation vers l'Algérie de fruits secs, des produits semi-finis et aussi des véhicules du groupe industriel Khodro importés par le groupe Rahmoune.

UNE ALLIANCE POUR «CONTRER LE COMPLOT DE PETROLE»

Le président de la chambre iranienne de commerce et d'industrie, Jalal Poor, a assuré qu'en créant de grands partenariats entre les deux pays, ce volume d'échanges atteindra en peu de temps, un milliard de dollars.

Pour l'instant, les deux pays sont liés par une haute commission mixte qu'ils ont mise sur pied en 2010 mais qui se réunit quand elle peut. Jeudi, ils ont conclu 5 programmes exécutifs pour différents secteurs et 3 mémorandums d'entente.

La déclaration du vice-président de la République islamique d'Iran relative à une alliance de son pays avec l'Algérie pour « contrer le complot fomenté par quelques pays dont des musulmans pour provoquer la chute du prix du pétrole », pourrait être la plus « juste » dans tout ce qui a été dit pendant les deux jours d'échanges entre Algériens et Iraniens. Une telle alliance est, selon le responsable iranien, nécessaire pour aussi empêcher les cours de descendre plus bas que ce qu'ils le sont.» D'autant que la République islamique est persuadée qu'il y a, dit son vice-président, «toujours le danger de l'embargo qui ne permettra pas, du moins pour un temps, au pétrole iranien d'intégrer le marché pétrolier mondial.»

Les choses ne sont donc pas simples pour un pays qui a été mis sous embargo par les Américains, pendant plus de 40 ans. Ces derniers ne sont toujours pas disposés à procéder effectivement à «la main levée» sur tout ce qui pourrait donner un nouveau souffle à un pays qui leur a tenu tête en voulant être une force nucléaire quel qu'en soit le prix. L'Iran cherche à reconstituer la force d'influence de l'empire perse qu'il a été. Malgré les assassinats de ses éminents chercheurs et les proscriptions occidentales qui pèsent lourdement sur son économie, l'Iran est resté fort.

UNE GUERRE A 1 CONTRE 5+1

C'est le seul pays qui a négocié son dossier nucléaire à 1 contre 5+1, les pays les plus puissants du monde. Et il a gagné en concluant l'été dernier, un accord historique avec ses détracteurs. Pas seulement. Sous embargo, il produit plus que tous les pays arabes réunis. Il a depuis de longues années, une industrie automobile au vrai sens du terme, pas de montage. Il diffuse son influence politique et militaire sur une partie de l'Asie, du proche et du Moyen-Orient et même au delà. Il contrôle la région du Golfe malgré une main mise américaine. Il a son mot à dire dans les plus gros conflits comme celui syrien et yéménite. Abdelmalek Sellal a affirmé, jeudi dernier, devant une forte assistance à la résidence El Mithak, que l'Algérie et l'Iran ont des points de vue convergents sur d'importantes questions régionales et internationales. En tant que membre du Forum des pays producteurs du gaz, l'Algérie a certainement besoin d'un Iran qui se place à ses côtés pour faire remonter les prix du pétrole sur le marché ou par exemple « œuvrer » pour créer une OPEP du gaz. Sur ce tableau géopolitique, les deux pays se trouvent bien des accointances pour, par exemple, un règlement de la crise syrienne avec Bachar El Assad et non en dehors. Et bien que le président Bouteflika penche vers l'Arabie Saoudite pour avoir vécu dans les pays du Golfe pendant de longues années, il n'a jamais été contre l'approfondissement du dialogue politique et de la concertation entre l'Algérie et l'Iran.

En ces temps de destruction programmée des pays membres du Front de refus comme la Syrie ou l'Irak, Alger n'a pas de grands choix d'alliances géostratégiques.

Seulement, il est connu que le Maghreb et par la même l'Afrique, évoluent sous les influences françaises, américaines et même britanniques, allemandes et italiennes. Mais pas iraniennes. Algériens et Iraniens doivent certainement garder à l'esprit cet état de fait parce que Paris et Washington ne lâcheront pas prise. Leurs intérêts sont trop importants dans la région et croissent au rythme effréné de la redéfinition de l'ordre mondial. C'est peut-être pour cela qu'Alger et Téhéran n'ont jamais fait dans l'urgence de pousser les choses à fond pour faire « converger » leurs économies. « Créer des partenariats, des sociétés mixtes ou investir l'un chez l'autre, ne peut être possible que par une action volontariste, » nous disait, jeudi dernier, un haut responsable algérien. « Les politiques, d'un côté comme d'un autre, peuvent convaincre les entreprises publiques de s'allier pour produire ensemble, ça pourrait créer une dynamique économique, » a-t-il expliqué.

QUAND L'IRAN VEUT FEDERER LE MONDE MUSULMAN

Le vice-président de la République islamique d'Iran est venu à Alger accompagné de 15 holdings, « chacune avec un portefeuille de près d'une centaine d'entreprises,» nous assure un responsable iranien. Les hommes d'affaires iraniens veulent arracher et exécuter des projets de grande envergure. La volonté iranienne de concourir dans l'exécution du programme quinquennal 2014-2019 ne fait pas de doute. C'est donc une opération de marketing conjoncturelle qui ne risque pas d'avoir un effet d'entraînement durable. Alger ne s'est d'ailleurs jamais précipité pour répondre à la demande persistante de Téhéran d'ouverture d'une ligne aérienne reliant directement les deux pays.

L'appel répété à l'unification du monde musulman lancé par le guide suprême, l'Ayatollah Ali Khamenei, réitéré aussi par le président iranien, Hassan Rohani, donne de l'urticaire à des pays comme la Turquie, encore plus aux pays du Golfe avec à leur tête l'Arabie Saoudite. L'intervention directe de la République islamique dans la crise en Syrie, au Yémen, en Irak, en Palestine occupée, au Liban, contre la Turquie, sa grande ambition de fédérer les musulmans à travers le monde, cachent mal ses profondes velléités de dominer pour un temps, une grande partie de l'Asie et le monde arabe.

L'islam chiite prôné par l'Iran est très craint par les Maghrébins, même s'ils reconnaissent à ce pays la puissance politique, la grandeur civilisationnelle, l'intelligence et l'esprit créateur. L'Algérie en fait, en évidence, partie. Mais «elle a tout intérêt à en tirer profit pour adouber et renforcer son statut de leader dans la région et en Afrique et pour apprendre à réanimer son économie, » estime le haut responsable.