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La loi de finances consacre l'immobilisme

par Abed Charef

Double échec. Non seulement la loi de finances 2016 confirme l'immobilisme, mais le gouvernement gaspille inutilement ses munitions.

Les débats parlementaires sur le projet de loi de finances 2016 ont pris une curieuse tournure. Le gouvernement, supposé avoir décidé des augmentations de prix de certains produits de large consommation en vue de tenter de combler partiellement le gouffre budgétaire qui se profile, s'est finalement rétracté pour se limiter à une révision de quelques taxes insignifiantes. Avait-il peur de la rue ? S'est-il plié aux orientations du président Abdelaziz Bouteflika qui veut éviter coûte que coûte une nouvelle flambée sur le front social ? Souffre-t-il toujours d'un manque d'imagination et de courage qui l'obligent à gérer sans aucun cap ? Veut-il éviter d'engager un vrai débat économique de peur d'avoir à trancher sur des questions délicates, ou est-il tout simplement inapte à le faire ? Toujours est-il que tout a convergé pour maintenir un statu quo meurtrier.

L'attitude du gouvernement a toutefois fini par le servir. Face à un exécutif très timoré, les députés ont été amenés à se mobiliser pour, selon eux, contrer la politique antisociale du gouvernement. Or, celui-ci n'avait pas l'intention de toucher aux « acquis sociaux », un concept qui n'a plus de sens. Les parlementaires se sont engouffrés dans ce qu'ils ont considéré comme une brèche, chargeant un ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa, sans pouvoir réel et sans capacité d'influer sur le cours des choses. Mais ce faisant, les députés ont logiquement dérivé vers un électoralisme teinté de populisme primaire, ce qui occultait les questions de fond qui se posent à l'économie algérienne.

MALADRESSES

Par ses maladresses apparentes, le gouvernement a un peu aidé les députés à faire de la surenchère, un terrain sur lequel le Parti des Travailleurs excelle. Etait-il délibéré, cet amateurisme remarqué dont a fait preuve le ministre des Finances ? M. Benkhalfa a en effet introduit un article 71 qui a concentré une partie de la colère des députés. Face à l'incertitude qui pèse sur les recettes budgétaires, le ministère des Finances a voulu se donner la possibilité de transférer des budgets d'un secteur à un autre, ce qui constitue une entorse aux pratiques élémentaires. Les députés ont saisi l'opportunité pour tirer à boulets rouges sur le ministre et lui reprocher de vouloir passer outre les règles constitutionnelles. C'est de bonne guerre.

Une fois l'engrenage lancé, il était difficile de l'arrêter. Et c'est ainsi que la polémique s'est limitée à deux grands thèmes : des questions de procédure et des attaques en règle contre le scandale que constitueraient les atteintes aux couches les plus défavorisées. Comme si le prix actuel du pain, avec les gaspillages qu'il génère, ne constituait pas un immense scandale ; ou comme si le prix du carburant, générateur de tant de gaspillages et de trafics aux frontières, ne constituait pas une aberration économique.

Ceci ne veut pas dire que les responsabilités sont équitablement partagées. Bien au contraire. Il est de la vocation naturelle de l'opposition de s'opposer, de trouver les arguments les plus variées pour contrer le gouvernement et d'utiliser toutes les armes à sa disposition pour entraver la politique de l'exécutif.

RESPONSABILITES DE L'EXECUTIF

Par contre, il est de l'obligation du gouvernement de faire preuve de plus de discernement, de clairvoyance, et d'orienter les débats sur les bons thèmes. Et sur ce terrain, le gouvernement a failli. Incapable de concevoir et de mener une politique alternative, il s'accroche à des concepts d'un autre âge.

Des membres du gouvernement eux-mêmes ne croient pas à ce qu'ils font. En privé, nombre d'entre eux l'admettent. Mais en public, et dans la gestion des affaires du pays, ils tiennent un autre discours. Ils continuent à manipuler des chiffres qu'ils savent faux ; ils présentent des projets qu'ils savent impossibles à réaliser. Et ils sont ravis quand ils réussissent à mener le débat sur des pistes inutiles, ou sur des terrains où ils sont très forts.

Le débat sur le projet de loi de finances l'a confirmé, avec une agitation qui occulte les vrais problèmes : aucune mesure économique ne peut avoir une portée quelconque aujourd'hui sans une refonte globale du fonctionnement de l'économie algérienne. Augmenter le prix du carburant peut avoir un sens s'il est accompagné d'une relance de la croissance, d'une action sur la parité du dinar, d'une politique des transports différente, et d'une aide ciblée aux couches qui vont le plus en souffrir. Mais augmenter le prix du carburant juste pour combler le déficit budgétaire équivaut à gaspiller une cartouche pour rien. Autant la laisser à un autre gouvernement qui aura, peut-être, un peu plus de cohérence.