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Crédit mutuel rural : L'UNPA veut être «l'ordonnateur» principal de la nouvelle banque

par Ghania Oukazi

L'Union nationale des paysans algériens (UNPA) a demandé au gouvernement d'être «l'ordonnateur» principal de la nouvelle banque en voie de création qui sera chargée d'octroyer  «le crédit mutuel rural» aux petits agriculteurs.

C'est aujourd'hui que le Premier ministre se déplacera à Aïn Defla pour célébrer le 41ème anniversaire de la création de l'UNPA. «L'Etat a demandé aux responsables locaux de convoquer 40 personnes par wilaya pour marquer cet événement,» nous disent des responsables du ministère de l'Agriculture et de la Pêche. C'est, faut-il le signaler, la naissance d'une union qui a été mise en place pour les besoins de la révolution agraire en ces temps de libéralisation de l'économie. Il sera en effet question pour Abdelmalek Sellal, selon certains spécialistes du secteur, «d'affirmer le caractère libéral de l'agriculture et la libéralisation du secteur dans son ensemble.» Le fait n'est pas nouveau. «99% de la production agricole est privée, 80% de sa transformation se fait par les privés et 100% est commercialisée par le privé,» affirment les responsables. Il est évident qu'à Aïn Defla, le 1er ministre rappellera les dernières décisions prises pour le soutien financier de la filière lait. Mais «Sellal annoncera surtout la mise en place d'une banque pour les petits agriculteurs.» C'est un établissement financier en remplacement de celui qui a été géré par les soins de la CNMA dans les années 2000 mais qui a été gelé en 2008 après que sa gestion ait été éclaboussée par des scandales de détournements, de malversations et de corruption.

LE RAPPEL DES MALVERSATIONS ET DES DETOURNEMENTS

L'on rappelle que la CNMA a été autorisée en 2000 pour accorder des crédits aux petits agriculteurs. «C'était un établissement financier qui ne devait pas recevoir de dépôts mais accorder des crédits mutuels remboursables sans procédures précises,» nous expliquent des banquiers. Le gouvernement veut ainsi, selon nos sources, copier ce qui existe déjà ailleurs sous forme de microcrédits (Inde, Espagne, Canada?) et dont la gestion «mutuelle» revient aux agriculteurs. «Mais ailleurs, l'organisation de base existe avec la moralité qui va avec et les moyens de pressions qu'il lui faut,» nous explique-t-on. «Chez nous, c'est l'UNPA qui demande à être l'ordonnateur principal de la nouvelle banque,» affirment nos interlocuteurs. L'UNPA de Abdelkader Allioui veut, selon eux, que le crédit soit octroyé sur la base d'une simple présentation du titre de concession qui garantit l'exploitation de la terre durant une période de 40 ans renouvelables. L'Etat prévoit d'ailleurs de prendre des mesures pour faciliter l'acquisition des terres du sud du pays avec en arrière-pensée de permettre l'émergence d'industries agro-alimentaires. «Ce qui se fait depuis quelques années,» est-il noté.

LE CREDIT MUTUEL RURAL, «UN DOUBLANT»

L'on interroge alors sur les moyens de capitalisation de la nouvelle banque «des petits agriculteurs» dans une conjoncture où l'Etat doit compter ses sous. A moins, disent des banquiers que «c'est la CNMA qui doit le faire en puisant dans sa caisse d'assurances (personnes et dommages).» Mais là aussi, des conditions s'imposent selon eux. «Une banque peut donner des crédits quand elle a sous la main 10 milliards de dinars et plus mais la CNMA-assurances doit avoir à peine 4 ou 5 milliards, c'est peu pour assurer la capitalisation de la nouvelle banque,» soutiennent-ils. Le crédit mutuel rural n'a non plus rien d'une nouveauté. C'est un crédit sans intérêts au profit de l'ensemble des agriculteurs qui a été instauré par Rachid Benaissa alors ministre du secteur et qu'il a appelé Erfig. C'est un crédit de campagne qui permet aux agriculteurs qui n'ont pas de trésorerie d'acheter les intrants. Il y a aussi le crédit Ettahadi consacré lui, à l'investissement. «Le crédit mutuel rural est dans ce cas, un doublant, il ne fera pas plus de production que ceux précédents,» disent les spécialistes.

En procédant à la création d'une nouvelle banque, le gouvernement a définitivement bloqué une dynamique de spécialisation et de modernisation qui a été initiée au profit de la BADR et qui devait être mise en œuvre à la fin des années 2000. Il semble que le gouvernement veut la reprendre pour en tirer un nouvel établissement bancaire, mais pour le fonctionnement duquel il n'a encore déterminé ni seuil de solvabilité ni garantie. «Le dossier a été ficelé en 2000 avec l'aide de la Banque mondiale et mis en œuvre durant toutes ces années au niveau de la BADR pour qu'elle se spécialise dans l'octroi de crédits sur la base d'hypothèque des concessions, elle a un fond de garantie pour cela, des microcrédits pouvaient alors être donnés pour des agriculteurs qui existent professionnellement mais qui n'ont pas de garanties de solvabilité,» expliquent les banquiers.

«EVITER DE TOMBER DANS LES TRAVERS DES ESPRITS RENTIERS»

La BADR n'a pas pu camper ce rôle en raison des scandales qui avaient éclaté au niveau de la CNMA à la fin des années 2000.

L'on note que «c'est le président de la République en personne qui avait ordonné la dissolution de cet établissement financier régi par la CNMA mais il n'a été que gelé en raison des problèmes des surprimes qui avaient bouleversé les banques du monde.»

Aujourd'hui, les conditions financières et bancaires ne sont pas réunies pour prétendre à la création d'un nouvel établissement pour le secteur agricole. C'est en tout cas ce que pensent nos interlocuteurs qui estiment qu' «il faut créer les conditions nécessaires pour ne pas tomber dans les travers des esprits rentiers.» Ils comptent d'ailleurs beaucoup sur «la Banque d'Algérie qui doit édicter des règles claires pour en donner l'autorisation.» L'on apprend que le ministre des Finances a déjà attiré l'attention du gouvernement sur la nécessité d'établir clairement le niveau de solvabilité et d'amélioration de garanties de l'agriculteur avant de débloquer des crédits. Il faut surtout, soutiennent les professionnels, «réunir les conditions de gestion rationnelle et pragmatique d'un crédit mutuel rural par l'interprofession.» Ce qui signifie qu'il faut organiser la base à travers les organismes interprofessionnels déjà existants pour pouvoir rentabiliser toutes sortes de soutiens. En attendant, «l'UNPA veut accaparer la gestion du soutien parce qu'elle pense qu'il n'en est pas un si elle ne le commande pas,» nous affirment des responsables du ministère. Nos sources s'accordent en tout cas à dire qu'aujourd'hui, Aïn Defla abritera «une bonne rencontre, notamment de représentants administratifs du secteur, pour le compte de Allioui ; la réunion avec le 1er ministre permettra de ressusciter une organisation de masse dans une conjoncture de libéralisation de l'économie dont le seul garant doit être l'Etat de droit.»