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Quand les béton-villes envahissent l'Algérie

par Me Amira Tsaki1

1,5 million! Tel est le nombre de logements construits entre 2005 et 2012 en Algérie2 . Ce nombre, qui ferait rêver bon nombre de pays africains ou européens, est le fruit d'un programme pharaonique lancé par l'Etat constructeur afin d'endiguer le manque de logements, résorber l'habitat précaire et éradiquer les bidonvilles qui gangrènent les villes algériennes. Toutefois, construire des logements est une chose, concevoir et aménager des villes en est une autre.

Dans l'édition 2014 du rapport sur les perspectives de l'urbanisation, l'ONU indiquait en 2010 que « 54% de la population mondiale vit dans les zones urbaines », cette proportion devrait « passer à 66% en 2050 ». Selon la Banque Mondiale, la population urbaine en Algérie est passée de 60% en 2000 et à 70% en 2014. La France quant à elle est passée, pour la même période, d'un taux de 76% à 79%. Face à la métropolisation accrue des cités, il est important de concevoir des villes sûres, résilientes, respectueuses de la mixité sociale et créatrice d'une économie égalitaire. Cet engouement pour la vile n'est que récent, en effet, le « phénomène urbain » tel que nous le connaissons est extrêmement contemporain.

Bien que l'apparition de la ville remonte entre 8000 et 5000 ans avant J-C, c'est grâce au développement de l'agriculture et à la sédentarisation que la révolution urbaine est devenue possible. Tout au long de l'évolution historique des villes, ces dernières ont toujours été des lieux où se concentraient pouvoirs et économie. Leurs architectures (existence de remparts ou murs d'enceinte avec fermeture des accès à la ville une fois la nuit tombée) permettait de les préserver des intrus et criminels (sens large du terme) qui sévissaient alors surtout dans les campagnes. L'architecture ainsi que l'aménagement des villes ayant évolué en fonction des sociétés, la ville se veut aujourd'hui ouverte au monde et engloutie tout ce qui s'en approche. En effet, la révolution industrielle a induit un étalement urbain sans précédent. Les guerres, les crises économiques et l'insécurité dans certains cas, ont mené à un exode rural tel que nos campagnes se désertifient au bénéfice des zones urbaines.

Les villes algériennes ont évolué au rythme des occupations. Romaines et byzantines pour les plus anciennes, ottomane, espagnole et française pour les plus récentes. Les villes algériennes sont aujourd'hui le témoin d'un brassage culturel et se démarquent les unes des autres par leurs singularités. Les villes françaises ont une évolution différente des villes algériennes. Moins métissées et marquées par le culte chrétien, elles s'articulent souvent autour de cathédrales, basiliques et autre lieux de culte. La période de la renaissance marquera une rupture avec la conception de la ville moyenâgeuse et la ville préindustrielle. Fastueuses et emprises d'esthétisme, elles étaient conçues pour les classes supérieures. Suite à la Première et Seconde Guerre mondiale, l'Etat français se trouvant dans l'obligation de loger ses populations plus ou moins précarisées, entrepris de construire vite, beaucoup et à moindre coût, si possible. De grands chantiers ont vu le jour et les premières cités dans lesquelles les immeubles étaient en formes de barres et de tours, que l'on qualifiera à peine 30 ans après leur construction de cités-dortoirs, s'érigeaient aux périphéries des villes. Bien que ces constructions qui se voulaient à l'époque, modernes et conceptuellement révolutionnaires, elles contenaient une densité de population extrêmement importante et étaient géographiquement isolées de la ville-mère. C'est ainsi que ces villes nouvelles, dépendantes de la ville-mère, avaient en réalité de simple rôle de satellites.

En Algérie, sur le plan de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire - en nous référant à une période très proche, à partir de 1830 - les lois françaises étaient appliquées. Durant les années 1950, des cités de recasement ont vu le jour afin d'y loger la population qui fuyait les campagnes ; et en 1958, le Plan de Constantine envisageait la construction de 200 000 logements afin de réduire les inégalités entre musulmans et européens. Ces constructions, ou « cités de recasement », étaient similaires, sur le plan architectural et conceptuel, aux banlieues françaises construites en périphérie des villes. Ces banlieues françaises, considérées au départ comme révolutionnaires sont devenues, durant les années 1970, le lieu de nombreuses émeutes urbaines. En réponses à ces violences, la circulaire Guichard (1973) a mis un terme aux constructions en formes de barres et de tours, considérées comme « peu conforme aux aspirations des habitants et sans justification économique sérieuse ». En 1977, le comité d'études sur la violence, la criminalité et la délinquance rendait un rapport dans lequel il considérait qu'il « existe une corrélation significative entre violence et type d'habitat », le rapport ira même jusqu'à considérer que « les grands ensembles secrètent violence et insécurité que seul un nouvel urbanisme pourra résorber ».

En Algérie, après l'indépendance et suite à un important exode rural, le déséquilibre entre urbains et ruraux commençait sérieusement à se creuser. Des chantiers de construction de logements sont lancés alors que les constructions illicites se multipliaient. Le choc pétrolier des années 1970 a induit une crise économique mondiale qui n'a pas épargné l'Algérie. Toutefois, le plan quadriennal de 1974 - 1977 lance un programme de construction de ZHUN (Zone d'Habitat Urbain Nouvelle), semblables aux cités construites en France durant les années 1950 - 1970. Toutefois, le parc immobilier ne suivait pas la croissance démographique, d'ailleurs on enregistrait en 1977 un taux d'occupation de 8,3 personnes par logement. En 1988, l'Algérie atteint un taux d'urbanisation de 50%, les villes étaient ceinturées par de l'habitat informel, sans compter le parc de l'habitat colonial qui ne cessait de se dégrader. Quant à la France, les années 1980 sont ponctuées par émeutes qui se multiplient dans les cités. De nombreuses lois et plans ont été mis en place afin d'y mettre un terme. Le dernier projet étant la création de l'ANRU (Agence Nationale de Rénovation Urbaine) et le lancement du Projet National de Rénovation Urbaine. Ce programme qui touche 490 quartiers et près de 4 millions d'habitants a pour objectifs de « transformer en profondeur des quartiers classés en zones urbaines sensibles » et procéder à la rénovation urbaine pour faire évoluer les quartiers en espaces « ordinaires », permettant ainsi une attractivité résidentielle, améliorer les espaces publics, réduire l'enclavement et palier au déficit d'équipements, etc.

Parallèlement en Algérie, durant les années 1990, l'AADL (Agence nationale d'Amélioration du Logement) est créée, ainsi qu'un corpus de textes législatifs et réglementaires relatifs à l'occupation et l'utilisation du sol. Toutefois, le manque de logements se fait toujours sentir. En 1999, un chantier fort ambitieux est lancé afin de permettre la réalisation de millions de logements. Ce projet a permis la réalisation de 1,5 million de logements3 entre 2005 et 2012 et de lancer la construction de 2,2 millions de logements pour la même période. Afin de mettre un terme à la crise du logement, l'Etat envisage de construire 1,6 million de logement supplémentaires d'ici 20194 . Toutefois, la conception de ces logements pose, par ailleurs quelques nouveaux problèmes. En fait, le comparatif présenté en amont entre banlieues françaises et algériennes n'est pas anodin.

Le type de construction, le mode de réalisation, ainsi que la forme d'urbanisation que connaît aujourd'hui l'Algérie est similaire, pour ne pas dire identique à celle appliquée en France il y a 50 ans. En effet, des milliers de cités ont été construites aux abords des villes algériennes, le plus souvent selon un modèle répétitif de barres et de tours, inspiré des cités d'urgence réalisées ça et là en Europe, et bien particulièrement en France. Dès lors, il est intéressant de se demander comment vont évoluer les cités algériennes ?

Durant les années 1970, des études menées aux USA ont démontré qu'il existe une corrélation entre forme urbaine et criminalité urbaine et qu'une meilleure conception permettait de réduire la criminalité dans les villes. Durant les années 1980, le concept de la « prévention situationnelle» a été mis au point en Angleterre. Elle consiste en un ensemble de méthodes permettant la prise en compte de la sécurité lors de l'aménagement des espaces. Son objectif est de rendre les espace publics (ou privés) moins criminogènes. La France a inclus ce concept dans plusieurs lois et s'en est fortement inspiré dans divers programmes de rénovation et de réhabilitation de cités se trouvant dans des zones urbaines sensibles. En Algérie, bien que l'article 10 de la loi 06-06 portant loi d'orientation pour la ville évoque la « prévention de la délinquance urbaine », il semble que compte tenu du cadre architectural et urbain, les cités construites actuellement ne tiennent pas compte de cette disposition législative. Au surplus, aucune mesure réglementaire n'a succédé à cette loi afin de préciser comment la « prévention de la délinquance urbaine» devait être prise en compte dans l'élaboration des projets urbains.

Il est aujourd'hui indispensable que le législateur prenne des mesures nécessaires afin d'imposer la prise en compte de la sécurité lors de la conception de programmes d'aménagement et de construction. L'urbanisme criminogène est, hélas, une réalité qui doit obligatoirement être prise en compte lors de l'élaboration de projets urbains à court et à long terme, afin que les immenses efforts financiers et humains, consentis par l'Etat, ne soient pas vains dans son objectif premier qui est de créer de nouveaux espaces de vie accueillants et sécurisés.

1- Spécialisée en droit de la construction et de l'urbanisme

2- http://www.mhuv.gov.dz/statistique.asp

3- Tous types de programmes confondus : LPL, LSP, Location Vente, Promotionnel, auto construction, Rural.

4- http://www.lexpressiondz.com/actualite/207914-le-plan-de-rigueur-ne-touchera-pas-le-logement.html