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L'homme ne vit pas que de pain

par Zahir Farès *

L'on s'entête à considérer les politiques économiques comme un instrument dont les principaux axes sont immuables et qu'il suffit de quelques reformes pour que l'économie se remette en mouvement et que la croissance du PIB soit au bout du chemin, comme par le passé.

Il est temps d'ouvrir le débat sur le modèle actuel de croissance en posant les questions liées à la réalité de notre modèle de croissance avec comme exigence : « avons-nous un modèle de croissance? » Nous avions un modèle de croissance qui était défini par un Ministère de la planification lequel fut dissous au mois de juin 1987.

Des équipes de jeunes cadres ont été formés et ont instauré une concertation sur les grands équilibres qui devaient être respectés par les différents acteurs économiques.la décision a priori, fut prise, en considérant que la libéralisation souhaitée par certains cercles ne pouvait cohabiter avec une administration planificatrice. L'on retiendra que les activités d'autorisations des programmes (AP) et les crédits de paiement (CP) se trouvaient sans structures et ont été rattachés au ministère des finances consacrant ainsi la vision comptables du développement.

Pour ce qui concerne notre pays, pour compenser la perte de recettes pétrolières estimées à 35 milliards de dollars. L'on recherche la décélération en matière de dépenses publiques or ce que l'on omet c'est la question fondamentale du contenu de la croissance que nous avons eu de 1965 à 2015 et qui nous a conduit à la situation actuelle, dans laquelle nous enregistrons de plein fouet la chute drastique de nos recettes en hydrocarbures. En 50 ans ou en deux générations, nous n'avons pas su créer une production nationale et les dernières années ont consacrées la substitution des importations à la production nationale.

La principale illusion de notre époque est que le Statu Quo peut être réformé ou sauvé. Il suffit de (du moins c'est ce qu'on nous dit) : Ce qui ne va pas dans le Statu Quo est systémique.

Rien que de la bonne gouvernance, rien que de la prudence, rien que du nécessaire. Mais aucune de ces réformes - ni aucune des autres petites modifications de bonne gouvernance habituellement promues par la gauche, la droite, le centre et les libertaires - ne peut sauver le Statu Quo. Car ce qui ne va pas dans le Statu Quo est systémique ! Modifier légèrement les règles et limiter les excès pourrait nous faire croire que nous avons réalisé quelque chose d'utile, mais ce sentiment est illusoire.

Le problème est que le Statu Quo ne fonctionne que dans un monde qui a la possibilité de se développer de façon illimitée ? un monde de ressources naturelles vierges, prêtes à être exploitées (, je veux dire pour être développées), une énergie abondante facile à extraire et une population en croissance avec une productivité en hausse et peu de dette. Dans ce monde-là, tous les domaines peuvent connaître l'expansion : l'extraction des ressources, la consommation d'énergie, la population, la productivité, le revenu et la dette. C'était un monde optimisé pour la croissance : il y a tant de matériaux et de main-d'œuvre disponible, que d'énormes quantités peuvent être dilapidées dans les mauvais investissements, les excès des élites et le gaspillage pur et simple.

LES LIMITES DU MODELE DE CROISSANCE « ILLIMITEE »

Le monde était optimisé pour la croissance commence avec peu ou pas de dette. La dette, comme nous le savons, est une façon de consommer aujourd'hui les revenus futurs. Si d'un revenu d'un dollar on peut tirer 10 $ de dette, le travailleur qui gagne un dollar peut consommer 10 $ de biens et de services aujourd'hui ou acheter 10 $ d'actifs.

Le monde optimisé pour la croissance l'était également optimisé pour les banques et les Etats centraux. Les banques gagnent de l'argent à mesure que la dette augmente et les rentrées fiscales du gouvernement explosent à mesure que la population, les bénéfices, la productivité, le commerce et les bénéfices augmentent.

Le monde réel a des limites, tout comme le monde de la dette, de l'intérêt et des taxes.

La croissance a été optimisée pour un monde de croissance illimitée. Seul petit problème : le monde réel a des limites, tout comme le monde de la dette, de l'intérêt et des taxes.

Cela ressemble-t-il à un monde où tout peut s'étendre ?

Que penser de cela ? Cela ressemble-t-il à un monde mûr pour une expansion illimitée de la dette dans le but d'alimenter une croissance illimitée de la consommation ?

PREPAREZ-VOUS «CAR LES TEMPS SONT DURS»

Tel est le problème : lorsque le monde pour lequel le Statu Quo a été optimisé ne peut plus s'étendre, rechercher à sauvegarder le modèle de croissance pour les pays qui ont un tel modèle est devenu dangereux car « la préservation du modèle de croissance » a un coût qui n'est plus supportable.

C'est que ce coût ne se contente pas de ralentir, le développement économique et social - il implose, et remet en cause les fondamentaux propre à chaque pays. Un processus s'engage alors : les revenus cessent d'augmenter, la dette finit par cesser d'augmenter, ce qui signifie que la consommation (c'est-à-dire la «croissance») cesse d'augmenter.

Les fondamentaux d'un système de croissance qui qui a toujours besoin de plus pour se maintenir.

Lorsque la dette et la consommation qu'elle alimente cessent d'augmenter, le système implose parce qu'il est basé sur une directive simple :

Le système a toujours besoin de plus pour se maintenir. Plus de ménages et d'entreprises empruntant plus d'argent pour consommer/produire plus, et payant plus d'impôts à mesure que le commerce, la consommation et la dette augmentent.

Il n'est pas prévu que l'on fasse moins en termes de production d'achat, de consommation et d'emprunt, ni que le nombre de travailleurs et de consommateurs ne diminue. Le système n'est pas juste optimisé pour la croissance, il est entièrement dépendant de l'expansion de tout pour sa survie.

Une fois que le nombre de travailleurs commence à décliner, la sécurité sociale/le système de retraite implose.

Une fois que les ménages et les entreprises cessent d'emprunter plus et commencent à faire défaut sur la dette existante, le secteur bancaire implose.

Une fois que la consommation des ménages commence à décliner, le secteur du commerce de détail implose.

Une fois que les recettes fiscales se sont effondrées et que les Etats-nations détruisent leur monnaie par des emprunts excessifs et/ou de l'impression monétaire, les Etats-nations implosent.

Le monde est en train de passer d'une croissance illimitée à des limites et à la décroissance. Le Statu Quo qui dépend entièrement de la croissance est condamné-une implosion qu'aucune réforme ne permettra d'éviter. C'est bien là la situation de notre économie et les perspectives qui sont décrites appellent un nouveau paradigme. C'est ainsi que l'on orientera la réflexion sur la croissance et c'est en ces termes que doit être posée la question essentielle de la finalité de la croissance sous tous ses aspects et si l'on veut ne pas rater encore une fois le train d'un développement à visage humain.

C'est en posant les termes du débat sur la croissance et son contenu que l'on pourra sortir de l'illusion du maintien d'un modèle de croissance dont les fondamentaux sont en contradiction avec les finalités. Un tel débat doit associer toutes les couches sociales afin d'aboutir à un vrai pacte social et de dépasser l'approche exclusivement comptable de la croissance. Cela implique :

-une planification des grands équilibres,

-un Etat qui anime et tranche les choix économiques sociaux et culturels,

 -que les structures de planification soient l'outil de préservation du pouvoir d'achat des citoyens Mais ceci est une autre histoire.

* Economiste ex Chef de cabinet du Ministère de la Planification et de l'aménagement du territoire