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Accord d'association avec l'Europe : Le désastre expliqué par un des négociateurs

par Abed Charef

L'explication de Abdelhalim Benatallah est limpide. L'ancien ambassadeur explique comment un accord prometteur, mais mal conçu, mais appliqué, mal accompagné, débouche sur une catastrophe économique.

De mauvais choix au départ, des erreurs en cascade ensuite, couronnées par une incompétence crasse dans l'exécution de l'accord: Abdelhalim Benatallah, ancien ambassadeur à Bruxelles, ancien secrétaire d'Etat, négociateur attitré de l'accord d'association avec l'Union européenne, a révélé l'ampleur du désastre qu'a constitué cet accord, ruineux pour l'économie algérienne et révélateur des dysfonctionnements devenus la marque de fabrique des institutions du pays.

Dès le départ, le choix était erroné sur au moins deux aspects. L'accord d'association n'a pas été conçu de manière à servir l'économie algérienne, mais c'était clairement un cadeau offert à l'Europe. Certes, M. Benatallah utilise un vocabulaire très élaboré, pour éviter de le dire de manière aussi crue, mais personne ne s'y trompe. Le président Abdelaziz Bouteflika a décidé, seul ou avec son premier cercle, de parapher l'accord d'association en pensant que c'était le prix à payer pour sortir l'Algérie de l'isolement dans lequel elle était cantonnée au tournant du siècle.

L'économie algérienne était alors exsangue. Elle sortait d'une décennie de violence, doublée d'un démantèlement mené au pas de charge par Ahmed Ouyahia, sous le regard vigilant du Fonds Monétaire International. L'industrie algérienne n'avait rien à exporter, en dehors des produits énergétiques. Cela signifiait clairement que l'industrie qui devait naître était mise en compétition avec celle de l'Allemagne, de la France et de la Grande Bretagne !

MAUVAIS TIMING

Seconde erreur, avouée par M. Benatallah : la raison aurait voulu que l'Algérie négocie son adhésion à l'OMC avant d'aller à l'accord d'association avec l'Europe. Le cadre global qu'offre l'OMC aurait grandement facilité la conclusion de l'accord avec l'Europe. Mais c'est l'inverse qui a été fait, avec un curieux résultat : l'Algérie se trouve à appliquer la plupart des règles de l'OMC, mais elle n'en est toujours pas membre. Elle en subit donc les contraintes, mais n'en tire aucun profit.

D'autre part, l'accord d'association appelait naturellement de profondes réformes de l'économie algérienne. Celles-ci n'ont jamais eu lieu. Le gouvernement se contentait de déclarations d'intention, mais il n'avait ni la volonté politique ni l'ingénierie pour réformer quoi que ce soit. La hausse des prix du pétrole, et l'embellie financière qui a suivi, ont achevé les quelques bribes de volonté de réforme.

Des budgets faramineux, en dinars mais aussi en devises sur des fonds européens, étaient débloqués pour encourager la réforme. Le taux de consommation atteignait un seuil ridicule, selon les chiffres fournis par M. Benatallah : cinq pour cent seulement sur les quatre milliards de dinars.

Une décennie après la signature de l'accord d'association, le résultat est particulièrement sévère pour l'Algérie. Les importations ont explosé, le pays a désappris à produire, il ne sait plus attirer les investissements étrangers. Pire : un système économique favorisant la fraude et les exportations massives de devises de manière illicite s'est mis en place, alors que la partie européenne engrange des profits immenses de cette situation.

L'accord « fonctionne comme une minuterie qui n'est plus contrôlée », selon la formule de M. Benatallah. L'ancien ambassadeur souligne aussi que la partie algérienne veut renégocier l'accord, que l'Union européenne a donné son aval, mais que l'Algérie n'a toujours pas de cap, pas de stratégie. Selon quelle logique négocier, pour atteindre quels objectifs, avec quels moyens ? Nul ne le sait.

Ce qui pose évidemment la question centrale, dont l'accord d'association avec l'UE ne constitue qu'un alinéa : la question politique. L'accord a échoué parce que le système de décision du pays n'est pas bon. Il n'y a pas eu suffisamment de concertation, au sein des institutions et de la classe politique, pour aller à ce choix. Le parlement et les partis ont été ignorés. Certains négociateurs du premier accord avaient des doutes, d'autres étaient réservés, voire hostiles, mais ils avaient suivi les instructions du président Bouteflika, qui n'a de comptes à rendre à personne.

UN GROUPE CHASSE UN AUTRE

Malgré ce désastre, non seulement le système politique algérien n'est pas en mesure de désigner des responsables ou des coupables, mais il n'est même pas en mesure de garantir que le pays ne tombera pas dans les mêmes erreurs. M. Benatallah insiste: « sans réforme, par de salut pour l'accord d'association », dit-il crûment, ajoutant: ni l'accord d'association ni l'économie du pays « n'ont d'avenir sans des réformes économiques».

Qui mènera cette réforme ? Le système de décision en place lors de la signature de l'accord d'association est toujours en place. Il s'est même dégradé, avec des dirigeants ayant moins d'épaisseur et moins de crédit. Ce qui montre que l'Algérie, qui a plongé dans le quatrième mandat, peut parfaitement rééditer les mêmes erreurs, et renégocier un accord encore plus dangereux. A moins d'un miracle qui pousserait le groupe Abdelmalek Sellal, Ali Haddad, Saïd Bouteflika et Abderrahmane Benkhalfa à faire mieux que Abdlaziz Belkhadem, Mourad Benachenou, Abdelhamid Temmar et Chakib Khelil.