Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Droit syndical, quelles protections pour quels délégués syndicaux ?

par M.Benkrama *

ETAT DE LA LEGISLATION

Les réformes politiques et économiques mises en place à partir des années 1990, notamment en matière d'exercice du droit syndical favorisent-elles l'émergence de la représentation démocratique des partenaires sociaux et la promotion du dialogue social à l'intérieur de l'entreprise?

A ce titre, la loi 90-14 du 2 juin 1990 qui, en concrétisation notamment de l'article 53 de la constitution, vient préciser les modalités d'exercice du droit syndical (modifiée et complétée)

En dépit des dispositions générales de la dite loi, et plus particulièrement en ce qui concerne les dispositions qui ont pour effet de protéger, à travers la protection des délégués syndicaux, la liberté syndicale, et en guise de contributions aux débats engagés en prévision du nouveau code du travail les observations et les remarques suivantes peuvent être formulées :

QUI EST CONCERNE PAR LA PROTECTION LEGALE?

Les dispositions protectrices de l'article 53 concernent tout délégué syndical : qui est délégué syndical ? Le procès-verbal d'installation de la structure syndicale établi et remis à l'employeur, par l'organisation syndicale concernée fait-il foi? Par contre Les dispositions protectrices de l'article 53 bis ne concernent que le membre d'un organe exécutif de direction au sein de la structure syndicale représentative.

Qui a la qualité de délégué syndical ?

L'organisation syndicale représentative au sens des articles 35 et 35 de la même loi crée la structure syndicale au sein de l'organisme employeur (art 40), cette opération est sanctionnée par l'établissement d'un procès-verbal d'installation, la représentation à travers la structure légalement constituée, doit œuvrer à la syndicalisation du maximum de travailleurs pour prétendre à la représentativité des travailleurs.

Lorsqu'elle regroupe au moins 20% de l'effectif total des travailleurs couverts par leur statut, elle doit transmettre à l'employeur les éléments d'appréciation de leur représentativité et désigne conformément aux dispositions de l'article 41, le ou les délégués syndicaux chargés de la représenter auprès de l'employeur.

Autrement dit et concrètement, on peut enregistrer deux cas de figure :

1er cas de figure: une structure syndicale peut être composée uniquement de délégués syndicaux désignés entre eux. Dans ce cas, le nombre des membres de la dite structure est conforme aux limites et proportions fixé par la loi,

2° cas de figure: une structure syndicale peut être composée de délégués syndicaux désignés et du reste des membres qui n'ont pas été désignés. Dans ce cas, le nombre des membres de la dite structure est nécessairement supérieur aux limites et proportions fixé par la loi.

A cet effet il y a lieu de remarquer que la procédure de désignation des délégués syndicaux chargés de représenter la structure syndicale auprès de l'employeur, conformément aux dispositions de l'article 41 de la loi 90-14, n'est pas précisée (on ne fait pas cas des modalités d'organisation de cette opération, notamment qui encadre cette réunion et le document devant sanctionner la réunion). Ces précisions permettront de trancher tout litige éventuel autour de la liste des délégués syndicaux désignés.

En ce qui concerne la protection prévue par l'article 53 bis, elle concerne qui ? Deux interprétations peuvent être soulevées à savoir :

Première lecture : L'organe exécutif de direction dont il est question, est composé de l'ensemble des délégués syndicaux; dans ce cas l'article 53 bis n'a aucune signification, étant donné que la couverture était déjà garantie par l'article 53,

Deuxième lecture: Il y aura une partie des membres de la structure syndicale qui n'aurons pas la couverture, et par voie de conséquence le nouveau article 53 bis trouverai toute sa signification, il vise la limitation de la protection aux seuls membres de l'organe exécutif de direction d'une structure syndicale représentative.

De même et eu égard aux prérogatives confiées par l'article 38 de la même loi, à la structure syndicale représentative au sein de chaque organisme employeur, on relèvera que cet organe syndical exécutif de direction dont fait état l'article 53 bis, se trouverai au niveau du siège social qui abrite les structures centrales de l'organe décideur de l'entreprise où s'exerce justement le pouvoir de décision (le vis-à-vis).

La protection des membres de la structure syndicale représentative installée au niveau du siège social, et qui ne sont pas membre de l'organe exécutif, soulève des interrogations comme expliqué plus haut, que serait-il alors la situation de tous les membres des structures installées au niveau des lieux distincts ? Pour ces derniers, la question reste toute entière : quelles missions ont les membres des ces structures syndicales installées par référence à l'article 40 de la même loi, au titre de la représentation ?

Et sont-ils concernés par la protection légale?

Dans le même ordre d'idée, il est constaté que les proportions fixées par exemple dans le statut de l'UGTA sont plus élevées par rapport à celles fixées par la loi. La différence positive du nombre pose également les mêmes questionnements.

Ainsi la lecture combinée des articles suscités fait état de quatre catégories de membres :

1- Le délégué syndical de la structure syndicale représentative de l'entreprise (nombre du PV d'installation égal nombre de personnes désignés égal nombre fixé par la loi), art : 53,

2- Le membre d'une structure syndicale représentative de l'entreprise (nombre du PV d'installation supérieur au nombre de personnes désignés selon la loi), art : 41,

3- Le membre désigné d'un organe exécutif de direction d'une structure syndicale représentative) (proportions fixées par la loi), art : 53 bis,

4- Le membre d'une structure syndicale n'ayant pas la représentativité, art : 35 et 37 bis.

Il est stipulé par ailleurs, dans les dispositions finales de la loi 90-14 notamment au niveau de son article 62 : que toute organisation régulièrement constituée à la date de la promulgation de la présente loi est tenu, avant le 31 décembre 1990, de mettre ses statuts en conformité avec les dispositions de la présente loi.

En tout état de cause, seuls le ou les délégués syndicaux (sorte de bureau syndical) désignés par la structure syndicale représentative sont habilités à représenter la structure syndicale auprès de l'employeur et à exercer les prérogatives principales définies à l'article 38 de la même loi.       

Ces délégués syndicaux dont le nombre est défini par la loi en fonction de l'effectif total de l'organisme employeur et dont la liste doit être notifiée à l'employeur et à l'inspecteur du travail, sont seuls à disposer des facilités et protections prévues par la loi.

En conclusion de cette première partie, on doit retenir les deux éléments majeurs qui posent problème à savoir:

1er Elément :

La représentation syndicale (selon les statuts de l'organisation syndicale) au niveau des lieux distincts instituée par référence à l'article 40 modifié de la loi 90-14, qui doit être différentiée de la représentativité syndicale (selon les conditions légales) auprès de l'organisme employeur en termes de missions et d'organisation:

a/Missions : La structure syndicale de l'organisme employeur (communément appelé syndicat d'entreprise) a les prérogatives définies par l'article 38 de la loi 90-14. Cependant les prérogatives des structures syndicales installées au niveau des lieux distincts restent à déterminer et à circonscrire (à l'image des prérogatives du comité de participation et celles des délégués du personnel) en aucun cas, elles ne pourront avoir les mêmes attributions,

b/Organisation : La structure syndicale de l'organisme employeur doit être l'émanation des représentations de l'ensemble des lieux distincts de travail. La structure syndicale installée au niveau du siège social, par les travailleurs exerçant en son sein, ne peut en aucun cas se substituer à la structure syndicale de l'organisme employeur devant représenter tous les travailleurs adhérents de l'entreprise.

2eme Elément:

Les proportions des membres à installer au sein des structures syndicales par leur organisation syndicale respective, doivent être conformes à celles fixées par la loi :

Des remarques par rapport aux proportions arrêtées par le statut de l'UGTA:

Le nombre doit être impair, pour avoir au moins la possibilité à l'occasion des opérations de vote d'avoir une majorité simple,

Le nombre exact n'est pas fixé comme dans la loi, l'absence de critères objectif préétablis et précis peut supposer toute possibilité de partialité ou même d'abus, au moment de la détermination du nombre fixe, d'ailleurs comment justifier l'octroi de 7 sièges pour un effectif de 150, alors que pour un autre effectif de 151, il n'est octroyé que 5 sièges. L'exemple peut être généralisé pour toutes les fourchettes arrêtées.

Si le statut ne tranche pas ses situations à conflits certains qui va pouvoir les régler et sur quelle base ?

L'exemple suivant illustre clairement les conséquences subies par rapport à ces fourchettes :

Si on applique les proportions définies par l'article 79 du statut de l'UGTA pour une entreprise employant un effectif global de 1000 travailleurs répartis entre les quatre lieux distincts qu'elle comporte à savoir:

Résultats: pour les quatre structures syndicales créées au niveau des quatre lieux distincts, 32 membres ont été installés pour un effectif global de 1000travailleurs, alors que légalement, le nombre fixé est de cinq (05) délégués syndicaux, soit une différence de 27 membres

En application de l'article 41, les 32 membres doivent se réunir pour désigner les 05 délégués syndicaux devant représenter les 04 structures syndicales existantes partant de l'hypothèse que le nombre d'adhérant est égal au moins à 20% de l'effectif couvert par leur statut, soit: 200.

Les facilités et protections sont accordées aux 05 délégués syndicaux

LA PROTECTION LEGALE: C'EST QUOI ?

La loi bannit toute discrimination à l'encontre d'un travailleur en raison de ses activités syndicales notamment lors de l'embauchage, de la conduite et de la répartition du travail, de l'avancement et de la promotion dans la carrière, de la détermination de la rémunération ainsi qu'en matière de formation professionnelle et d'avantages sociaux.

De même, la loi interdit toutes pressions ou menaces exercés sur les travailleurs et allant à l'encontre de l'organisation syndicale et de ces activités.

En matière de relation de travail les délégués syndicaux sont soumis, dans l'exercice de leurs activités professionnelles, aux dispositions de la législation et de la règlementation du travail, au même titre que tous les travailleurs (art : 52), par conséquent une procédure disciplinaire peut donc être engagée à leurs encontre par leurs employeurs.

La protection des délégués syndicaux consiste en l'information préalable de leurs organisations syndicales de toute action disciplinaire engagée à l'encontre de tout délégué syndical (art : 54). Le non respect de cette pure formalité (l'information préalable) peut constituer une violation de la procédure.

S'agissant des protections garanties par la loi, il est relevé certes l'interdiction de tout licenciement, mutation ou sanction disciplinaire de quelque nature que ce soit du fait des activités syndicales, cependant toute la problématique est au niveau de la procédure à suivre en cas de manquements par les employeurs de ces droits garantis par la loi.

Aucune procédure n'est prévue en ce qui concerne toutes les sanctions susceptibles d'être infligées aux délégués syndicaux à l'exception de celle liée au licenciement (art : 56)

Ainsi pour le seul licenciement, la loi a confié à l'inspecteur du travail la mission de rétablir dans leurs droits les délégués syndicaux licenciés en violation des dispositions de la loi.

« L'intéressé est réintégré dans son poste de travail et rétabli dans ses droits sur demande de l'inspecteur du travail dès que l'infraction est confirmée par ce dernier. (Art 56)

En cas de refus manifeste de l'employeur de s'y conformer dans un délai de huit (8) jours, l'inspecteur du travail dresse un procès-verbal et en saisit la juridiction compétente qui statue par décision exécutoire dans un délai n'excédant pas les soixante (60) jours, nonobstant opposition ou appel. (Art 7 de l'ord 96-12) »

Admettant que l'inspection du travail dispose dans ce cas d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire pour constater les éléments matériels de la violation des dispositions de la loi, mais en aucun cas, il ne peut confirmer l'infraction.

Cela se traduira à permettre à l'administration de s'opposer aux licenciements qui constitueraient des atteintes au droit syndical.

La loi a pour objet d'instituer une protection particulière en faveur des délégués syndicaux qui en raison de leurs fonctions mêmes, pourraient être exposés à des mesures arbitraires de la part de l'employeur, mais cette protection sociale, confiée à l'inspection du travail, et qui comprend notamment la protection du droit syndical, ne peut légalement être exercée par l'administration à l'égard des attributions confiées par la loi 90-03 relative à l'inspection du travail, aux inspecteurs du travail et qui sont chargés de relever les infractions à la législation conformément au code de procédure pénale, c'est notamment aux seuls tribunaux de l'ordre judiciaire qu'il appartient de juger si un licenciement constitue, en fait, une atteinte au droit ou à la liberté syndicale et présente , comme tel ,un caractère abusif.

Ainsi donc la procédure prévue par l'article 56 de la loi 90-14 est inopérante pour les raisons évoquées plus haut mais également par rapport aux règles et procédures en vigueur au niveau des tribunaux. L'action pénale initiée par procès-verbal d'infraction de l'inspecteur du travail est adressée au procureur de la république à qui il appartient de juger d'engager la procédure de poursuite ou non, cette action est totalement indépendante de celle à engager par l'intéressé lui même, devant le tribunal siégeant en matière sociale. Ce dernier obéit à la procédure mise en place par la loi 90-04 relative au règlement des conflits individuels de travail.

* juriste