Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Hommage à Sid Ahmed Serri : Un monument de l'andalou s'en va

par Ghania Oukazi

Maître incontesté de la sanaâ d'Alger, Sid Ahmed Serri vient de nous quitter à l'âge de 89 ans, laissant derrière lui un immense patrimoine de la musique andalouse.

Il y a trois ans de cela, nous l'avions rencontré à la Maison de la culture Abdelkader Alloula de Tlemcen. Il était heureux de se voir rendre un hommage appuyé par ses élèves, ses amis, des artistes, des spécialistes de la musique andalouse et autres, ses fans. Tout le monde lui vouait un profond respect. C'était en septembre 2011 lorsque Tlemcen dans son élan de capitale de la culture arabe, l'avait choisi parmi tant d'autres pour rappeler son œuvre à la mémoire collective mais surtout pour la préserver comme patrimoine national, héritage de toutes les générations à venir. (Voir le Quotidien d'Oran du 24 septembre 2011).

 Serri s'est plu ce jour là, à s'arrêter devant les grands portraits des maîtres des trois écoles, sanâa de Tlemcen, d'Alger et de Malouf de Constantine, accrochés dans la salle Nouba. « Son temps d'arrêt fût long devant les photos des frères Fakhardji, Mohamed et Abderezak. Ce fût un long moment de méditation. « C'est mon maître ! Incontestablement ! ,» a-t-il dit avec une profonde conviction, de Abderazek Fakhardji. «Abderezak Fakhardji , maître et éminent chef d'orchestre m'a légué ce qu'il savait avec la suprême générosité qui lui était connu, » nous avait-il dit avec une grande fierté. Bien qu'il tenait toujours à préciser que c'est Abderezak qui a été son maître, il déclarait avec la même conviction son profond respect à son frère Mohamed qui, nous a-t-il fait savoir « m'a permis d'acquérir la notion de rigueur et les principes de conservation sans lesquels l'héritage de nos grands maîtres auraient subi de graves altérations. » Le grand maître a été ainsi pétri par le travail de ces deux grands virtuoses desquels il garde un souvenir éternel. Serri parlera aussi de Si Ahmida Kateb, celui qui a été le 1er secrétaire général de l'association El Mocilia, en 1932. Si Ahmida Kateb a fait, selon Serri, un travail « qui a servi à la confection des 3 tomes des mouwachahate et el Azdjel édité par l'institut national de musique. » Mahieddine Kamel Malti est cet autre personnage qui a côtoyé de très près, Si Ahmed Serri pendant son apprentissage de la musique andalouse. « Mahieddine Kamel Malti a suivi mon évolution en toutes circonstances, » nous avait-il précisé.

Etant enfant, ses parents avaient choisi de l'inscrire à l'école coranique même s'ils l'avaient très souvent surpris entrain d'apprécier avec amour, les sons des instruments des musiciens qui se produisaient dans les fêtes de la Casbah algéroise. Ses cours à l'école coranique lui avaient permis d'être à peine à l'âge de 10 ans, le muézin de Djamaa El Kbir d'Alger. « Tout petit, il fallait que je monte 124 marches pour que je puisse le faire, il n'y avait pas de haut parleur à cette époque, » nous racontait-il. « Je me devais de jouer de mes cordes vocales pour faire entendre mon appel aussi loin que possible, » avait-il ajouté.

Cet instant de l'appel à la prière, Serri s'appliquait à le vivre sur le mode zidane. D'ailleurs, plusieurs générations ont eu le bonheur de l'écouter comme muezzin sur les médias audiovisuels publics pendant de longues années.

S'il a baigné dés son jeune âge dans la vie artistique avec un grand -père paternel qui était le guide des Aissaoua, Si Ahmed Serri n'a commencé l'apprentissage de la musique qu'à 19 ans. « Tard, » regrettait-il.

«IL FAUT CASSER LES RIGIDITES ENTRE LES TROIS ECOLES»

Mais il s'en imprégnera jusqu'au plus profond de son âme. Ses premiers pas, il les avait fait dans l'association Andaloussia puis à El Hayat mais il ne sera pas satisfait du résultat. « Je n'ai rien appris, je me devais donc de chercher un autre moyen pour y arriver, » nous avait-il avoué. Son ami Youcef Khodja viendra à son secours et l'admettra dans El Djazaïria. « C'était le 5 juillet 46, j'y suis resté jusqu'en 47, on était obligé d'arrêter parce qu'on ne recevait plus les aides dont on avait besoin pour continuer de travailler, » avait-il expliqué. Serri et ses compagnons avaient trouvé comme seuls endroits pour continuer à apprendre la musique andalouse, les caves des cafés. « El DjazaIria a fait fusion avec El Mocilia en 1955, » avait-il noté pour ajouter « j'ai quitté El Mocilia en 1988.» Serri avait enseigné la musique andalouse de 1952 à 1988. Après son départ d'El Mocilia, il a crée une autre association sous le nom d'El Djazaïria-Ethaâlibia.

Pendant tout son séjour à Tlemcen, Serri était entouré de ses anciens élèves qui avaient pris soin de lui avec beaucoup d'amour et de respect. Il y avait Brahim Beladjreb, président de l'association El Fen El Acil de Koléa, Youcef Ouznadj, président de l'association El Anadil (les Rossignols) de Chéraga, Farid Bensarsa, président d'El Mocilia de Paris (Saint-Denis) et le musicien Mourad Ouamara. « Je me dois d'évoquer le travail d'abnégation de mes élèves dans la formation et la promotion des jeunes ainsi que leur ténacité à maintenir vivant l'héritage andalou, » nous avait souligné leur maître.

En 1989, Sid Ahmed Serri a été nommé président de l'association de promotion de la musique andalouse des trois écoles. « Les sources de transcription des textes n'ont pas donné grand-chose, elles n'avaient pas d'âme, » avait-il regretté encore. Il a été le premier maître à enregistrer son répertoire. « Je l'ai fait de 98 à 2002, ça m'a pris beaucoup de temps et exigé de grands efforts, je travaillais jusque tard dans la nuit », disait-il. Il a ainsi enregistré 441 pièces de mémoire dont 440 sont des mélodies uniques. « Tout ce que produit l'esprit humain est universel, » soutenait-il.

En septembre 2011, l'association Redouane Bensari de Tlemcen lui avait rendu un vibrant hommage en lui dédiant une soirée musicale andalouse ou fusionnaient les écoles tlemcienne et algéroise sous la baquette de Fayçal Benkalfat. « Je suis heureux d'écouter cette belle fusion, il faut casser les rigidités qui sclérosent les écoles et les enferment dans un carcan bien étroit, » avait lâché.

IL Y A TROIS ANS, SERRI ETAIT MONTE SUR SCENE

C'est à Tlemcen que Sid Ahmed Serri avait eu l'honneur et le plaisir de voir la consécration de son prestigieux travail sur une fabuleuse plate-forme multimédia. « L'idée de ce travail audiovisuel a été lancée en 2001, elle consiste à ouvrir un portail sur les anthologies des trois écoles, les œuvres nationales musicales et littéraires avec ce que cela exige comme transcriptions et manuscrits historiques, » nous avait expliqué Benkalfat. Le portail s'ouvre par l'œuvre de Sid Ahmed Serri parce que nous dit Benkalfat « c'est la plus complète que lui-même a enregistré, elle était déjà prête, nous ne devions de la prendre en premier. » Serri est filmé rappelant les premiers battements de son cœur pour la musique andalouse. L'on peut visiter ses 441 œuvres musicales, avec leur transcription, ses photos, ses manuscrits, ses 21 vidéos dont la première dévoile « le début d'une passion » et retrace ainsi le travail de reconstitution de son parcours artistique.

Serri s'en est allé cependant, sans pouvoir voyager à travers ce portail dont le lancement n'a pas encore vu le jour faute d'accord du ministère de la culture pour des raisons que seuls les concernés connaissent.

La dernière montée sur scène du maître, a été en mars 2010 à l'occasion du festival maghrébin qui s'était tenu à Koléa. Il avait aussi été appelé en 2011 à rejoindre la scène de la Maison de la culture Abdelkader Alloula de Tlemcen, pour fredonner pendant quelques minutes des paroles andalouses. Il ne quittera pas la scène sans remercier «du fond du cœur tous ceux qui m'ont soutenu dans les moments difficiles, avec une mention très particulière à ma merveilleuse et courageuse épouse. »

Maître incontesté du chant andalou, Sid Ahmed Serri est né en 1926 à la Casbah d'Alger. Il y a trois ans, il se plaisait à nous dire qu'il avait vieilli. Il nous a quittés hier à l'âge de 89 ans, avec l'âme paisible et l'esprit serein d'un artiste complet. «Je n'ai pas fait de folies, je n'étais pas adepte de soirées, j'ai préservé ma santé, » nous avait-il dit en riant. Il sera enterré aujourd'hui au cimetière de Sidi Yahia d'Alger. Adieu Maître. Puisse Dieu T'accueillir dans Son Vaste Paradis.