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Ryad verrouille le marché pétrolier

par Akram Belkaïd, Paris

Tout faire pour préserver la part de marché. C’est le crédo de l’Arabie Saoudite, premier vendeur mondial de brut. Une position de fer réaffirmée à moins d’un mois de la prochaine réunion de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), prévue le 4 décembre. Dans des déclarations à la presse occidentale, Khalid al-Falih, le président de l’Aramco, la compagnie pétrolière saoudienne, a ainsi confirmé que Ryad ne va pas réduire sa production d’or noir afin de favoriser la hausse des prix du baril.

LA CONCURRENCE CIBLEE

«La seule chose à faire est de laisser le marché jouer son rôle», a ainsi déclaré le responsable saoudien. Une manière de signifier que c’est la confrontation entre offre et demande, et elle seule, qui finira tôt ou tard par avoir une incidence sur les prix. Une décision politique et ô combien stratégique qui signifie que des pays comme l’Algérie ou le Venezuela ont peu de chances d’obtenir une réduction de la production du Cartel. En clair, le baril à 50 dollars est une réalité qui va durer. Au moins un ou deux ans, jugent les experts qui estiment qu’un retour au seuil de 80 dollars ne devrait pas intervenir avant 2018.

En attendant, l’Arabie Saoudite va devoir puiser dans ses réserves de change afin de financer un déficit public qui atteint 20% de son Produit intérieur brut (PIB). Pour les dirigeants du royaume wahhabite, c’est le prix à payer pour contenir la concurrence, notamment celle des producteurs d’hydrocarbures non-conventionnels. En effet, et toujours selon les déclarations d’al-Falih, les compagnies pétrolières spécialisées dans le pétrole de schiste et dans le pétrole ultra-lourd ne se sont développées au cours des dernières années que grâce à une conjoncture idéale marquée par un baril à 100 dollars. Avec les cours divisés de moitié, Ryad contribue donc à faire le ménage en écartant une foule de concurrents incapables d’assumer des investissements désormais risqués. Une démarche qui, même s’ils s’en défendent, fait aussi le bonheur des grandes compagnies pétrolières qui vont avoir l’embarras du choix en matière d’acquisitions possibles et cela afin d’augmenter leurs réserves prouvées.

Bien entendu, le pari est risqué. D’abord, préserver une part de marché à tout prix n’a d’intérêt que si l’on est sûr que les cours s’inverseront à moyen terme. Ensuite, il faut aussi financer cet effort. Or l’Arabie saoudite est confrontée à un conflit (Yémen) et à une demande sociale de plus en plus forte. La conséquence de cette austérité obligée est le report de grands projets d’infrastructures, à commencer par le métro de Ryad. De même, jamais le sort de l’Opep n’a semblé aussi incertain. Que se passera-t-il si le Cartel implose en étant fragilisé par le départ de certains de ses membres ? Mais tout cela a été pesé et le Royaume fait de la défense de sa part de marché un objectif fondamental.

AIDE A LA REPRISE MONDIALE

Enfin, on notera que Ryad rend un grand service aux économies industrialisées. Un pétrole bon marché, c’est une condition de plus pour une reprise plus vigoureuse. Voilà qui devrait empêcher les critiques contre le Royaume dans un contexte où ce dernier a besoin de soutiens dans la guerre par procuration qu’il mène contre l’Iran. Cela explique aussi pourquoi le « saudibashing », la critique virulente contre l’Arabie saoudite, menée dans les milieux républicains américains, a diminué d’intensité au cours des dernières semaines. Une fois encore, le premier exportateur mondial de brut démontre son poids incontournable en matière d’évolution du marché pétrolier.