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La Chine, sa croissance et ses statistiques

par Akram Belkaïd, Paris

C’est l’interminable et constant feuilleton de l’économie mondiale. Où en est la Chine ? Lundi 19 octobre, le bureau national des statistiques à Pékin a dévoilé les chiffres de la croissance du Produit intérieur brut (PIB) pour le troisième trimestre. Le chiffre est tombé comme un couperet : 6,9%. C’est-à-dire quelques poussières en dessous de l’objectif officiel de 7%. En somme, rien de bouleversant. Le gouvernement chinois ne peut pavoiser en revendiquant un retour plus vigoureux de l’activité mais il peut aussi dire sa tranquillité puisque les performances de la deuxième économie du monde (ou la troisième selon les calculs) reste dans les clous.

UNE CROISSANCE SUREVALUEE ?

Sur les marchés internationaux, la nouvelle a été diversement commentée. Les uns se sont inquiétés de cette « stagnation », d’autres ont, au contraire, salué la « résistance » de l’économie chinoise. Plus discrets, certains analystes ont essayé de relativiser l’emprise immédiate de la statistique chinoise pour dégager des perspectives à moyen terme. Selon eux, Pékin ne peut pas accepter que le taux de croissance demeure aussi « moyen » en comparaison des performances passées (celles où la création de richesses dépassait les 10% de progression annuelle).

Car, en Chine, plus qu’ailleurs, le taux de croissance fait partie du contrat entre pouvoir et peuple. D’un côté la richesse et donc les emplois et la réduction de la pauvreté. Et, de l’autre, la stabilité politique et l’acceptation de l’ordre imposé par le Parti communiste chinois.

Certes, comme le relève le célèbre artiste chinois Ai Weiwei en parlant de son pays « on ne peut pas développer un pays où l’on propose comme seul but aux gens de s’enrichir » (*), mais pour l’heure cela marche assez bien. Le problème risque d’apparaître si cette perspective de gagner de l’argent s’amenuise. Or, c’est ce qu’affirment certains experts. Pour eux, les statistiques chinoises sont mensongères et les taux de croissance annoncés ne sont pas réels. Ils seraient juste gonflés afin de ne pas inquiéter la population et de ne pas semer la panique sur les marchés locaux et internationaux. Pékin craint ainsi qu’une baisse de la croissance ne provoque une aggravation de la fuite de capitaux que subit la Chine actuellement.

Il reste à savoir de combien la croissance chinoise est surévaluée. Une lecture de la presse économique montre que la fourchette haute table sur un taux de 5% quand d’autres analystes n’hésitent pas à avancer le chiffre de 4% soit à peine plus que l’économie américaine. Pour mémoire, même quand la Chine annonçait des taux à deux chiffres, il s’est toujours trouvé des économistes pour les réviser à la baisse de plusieurs points. Le débat n’est donc pas nouveau. Et l’argument des sceptiques est toujours le même : quand on fait la somme des PIB de chaque province on arrive à un résultat différent du PIB national ! Une anomalie qui permet toutes les interprétations. Soit les provinces gonflent leurs chiffres et le gouvernement central ajuste à la baisse. Soit c’est l’inverse.

L’IMPORTANCE D’EXPERTISES MULTIPLES

Cette réalité illustre l’enjeu autour des organismes de statistiques. Si ces derniers sont sous le contrôle du pouvoir politique, les risques de manipulation sont importants.

Dans le même temps, le cas de la Grèce et de ses chiffres maquillés a montré que même un organisme indépendant voire un organisme régional peut se laisser abuser par des manipulations en amont. Du coup, c’est l’abondance de l’expertise, autrement dit l’existence de plusieurs sources d’analyse et de retraitement, qui peut faire la différence et permettre de se faire une idée objective de la situation. A condition que ces sources ne sombrent pas dans des comportements moutonniers comme c’est trop souvent le cas en matière d’analyse économique.

(*) L’Obs, 24 septembre 2015