Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Un prix pour le bon sens

par Akram Belkaïd, Paris

Il arrive parfois que les sciences économiques fassent entrer en concordance leur ésotérisme mathématique et le bon sens... Cette année, c’est d’ailleurs ce dernier que vient de récompenser le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel. Un prix que, par un raccourci regrettable (on le répète chaque année), on continue de désigner par l’expression fausse de Prix Nobel d’Economie (Le « vrai » prix Nobel, décerné en Norvège, ne récompense que la médecine, la littérature, la physique, la chimie et la paix).
 
LA CROISSANCE NE GARANTIT PAS LE DEVELOPPEMENT
 
Cette année, le Prix des sciences économiques a été attribué à Angus Deaton. Enseignant à l’université de Princeton, cet américano-britannique de 69 ans (il est né en Ecosse) a été récompensé pour ses travaux sur « l’analyse de la consommation, de la pauvreté et du bien-être ». D’une certaine manière, les travaux de Deaton tendent à remettre en cause nombre d’idées défendues par les grandes organisations internationales et les tenants du consensus néolibéral. Ainsi, il a pointé un élément fondamental concernant la croissance du Produit intérieur brut (PIB). Qu’on le veuille ou non, cette dernière, même si elle est forte, ne suffit pas toujours à juguler la pauvreté ou à faire sortir du sous-développement. Cela fait des années que cette réalité est connue, notamment en Afrique où la croissance ne crée que des poches de développement (d’où l’émergence du concept de « croissance inclusive », autrement dit, qui concerne tout le monde). Angus Deaton a aussi beaucoup travaillé sur l’Inde et relevé que l’accroissement des richesses n’y résout pas tout.

De même, ses travaux rappellent qu’il serait illusoire de rattraper plusieurs siècles de sous-développement ou, plus encore, de retard de développement. De manière explicite, cela repose la question de l’efficacité de l’aide internationale qui, trop souvent, ne contribue qu’à maintenir ses bénéficiaires à flot sans pour autant les engager dans un cycle de transformation structurelle. Pour être clair et ne pas ouvrir la voie à d’autres interprétations, il ne s’agit pas de ne plus donner mais bien de donner plus pour créer les conditions du développement. Et ce « plus » passe par le capital humain. Des domaines comme la santé, autrement dit le prix des médicaments et des installations sanitaires et de l’éducation, soit la formation de cadres, y compris à l’étranger, sont jugées prioritaires par Angus Deaton. A ce titre, ce dernier est favorable à une plus grande souplesse en matière de circulations migratoires, estimant que les jeunes diplômés qui rentrent dans leurs pays peuvent aider à son développement.
 
QUAND REVENUS ET BIEN-ETRE DIVERGENT
 
Par ailleurs, les travaux de l’économiste sur le bien-être méritent d’être signalés dans un monde où l’on confond trop souvent richesse et bonheur. Certes, l’économiste ne nie pas que l’argent est nécessaire et ses travaux montrent que le bien-être croit avec la richesse. Mais ils prouvent aussi que ce n’est vrai que jusqu’à un certain point. Ainsi, dans les sociétés riches, la courbe du bonheur en fonction des revenus devient plate après 75.000 dollars de ressources annuelles. A partir de là, d’autres facteurs entrent en jeu qui conditionnent le bien-être dont ces fameux éléments non-quantifiables (générosité, rôle social, philanthropie, bénévolat…). Mais il ne faut pas oublier non plus l’existence de certaines caractéristiques humaines comme cette insatisfaction qui peut naître du fait que l’on n’arrive pas à gagner plus que celui qui a la même rémunération…