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Système national de santé : Un colosse aux pieds d'argile

par Farouk Zahi

Notre système de santé, objet de fierté jadis, semble subir les contre coups d'un gigantisme infrastructurel au détriment de l'acte de soin lui-même. Il y a, déjà, près de quarante ans que la Conférence internationale d'Alma Ata (septembre 1978) dans l'ex. Union soviétique, jetait les bases d'une approche sanitaire globale, intégrée et peu dispendieuse, pour tous les pays et au sein de ces mêmes pays.

Sans beaucoup de ressources, aussi bien humaines que budgétaires, notre pays s'est inscrit presque, naturellement, dans ce processus universel. Avons-nous échoué ? Pas si sûr, car l'Organisation mondiale de la Santé, elle-même, dans un de ses rapports constate ceci :

« La Déclaration d'Alma-Ata de 1978 a été révolutionnaire, en ce sens, qu'elle a relié l'approche de la santé fondée sur les droits à une stratégie viable pour y parvenir. La déclaration issue des travaux de la Conférence internationale sur les soins de santé primaires a identifié les soins de santé primaires comme étant la clé de la réduction des inégalités, en matière de santé entre les pays et en leur sein, ce qui contribue à la réalisation de l'objectif ambitieux mais non encore atteint de « La santé pour tous » à l'horizon 2000. »

Et c'est, certainement, devant ce semi-échec, que l'Organisation des Nations unies a, dans sa séance plénière, regroupant les chefs d'Etat et de gouvernement, de septembre 2000, recommandé ce qui s'appellera les ODM (Objectifs du millénaire) qui reprennent trois (3) objectifs de santé sur les huit (8) que comprend la Déclaration. A savoir :

4 /Réduire la mortalité infantile.

5/ Améliorer la santé maternelle.

6/Combattre le VIH/sida et d'autres maladies.

Mais en ce qui concerne notre pays, eu égard aux efforts soutenus de développement, en matière d'éducation et de santé, beaucoup reste à faire. Largement à notre portée, les axes de travail, notamment, ceux relatifs à la mère et à l'enfant, auraient pu obtenir de meilleures performances. La mortalité infantile évaluée, à l'orée des années 1970 à 142/000 a décroché en 2008 à 25/000. Quant à la mortalité maternelle, son taux évalué à 230/100.000 naissances vivantes en 1989 est estimé actuellement à 57,8/100.000 soit presque la cible de 57,5/100.000, proposée par les ODM. (PNUD : 2ème rapport du gouvernement algérien). On peut dire, en paraphrasant un maître d'école : « Résultats encourageants mais peut mieux faire ! ».

Quant à combattre le VIH/sida et les autres maladies, la lutte sera plus âpre, compte tenu de la transition épidémiologique que subit la communauté nationale. Transition qui se caractérise par le changement radical du profil morbide. Relativement jeune, au lendemain de l'indépendance et sujette aux carences nutritionnelles et maladies infectieuses ou épidémiques, la population dont l'espérance de vie à la naissance tournait autour des 60 ans est estimée actuellement à 75 ans. Elle est, à présent, sous l'emprise de maladies non transmissibles, donc non contrôlables par la seule vaccination, conséquemment lourdes, dans leur prise en charge. L'effort d'adaptation à la nouvelle donne induit, obligatoirement, une formation ciblée et une mise à niveau pérenne.

Où est donc la cassure ? Elle se trouve, certainement, dans ce délabrement structurel et programmatique induit par la démence terroriste qui a ensanglanté le pays et pendant plus d'une décennie. La préoccupation majeure des staffs sanitaires, mis sous la pression du qui-vive, était braquée sur tout ce qui était urgent et dommageable, à la vie des personnes. Des médecins, sage-femmes et paramédicaux payèrent de leur vie pour avoir, seulement, refusé de se soumettre au diktat répressif des hordes sanguinaires. La campagne paya lourdement le tribut de la désertion forcée des services publics. La paix revenue, peu à peu, la lente résilience ne put, rapidement, venir à bout du retard cumulé au fil des ans. Un indicateur révélateur, cependant, est la hausse de la prévalence de la tuberculose qui était, pratiquement, contrôlée et par la vaccination intégrée et le dépistage des cracheurs positifs. Cette pathologie dont le taux de prévalence était de 46 cas/100.000 hab. en 1990, a fait un rebond significatif pour atteindre le taux de 58,6 en 2008. ( chiffres/Programme national anti tuberculeux/ MSPRH).

En outre, le baby boom semblable à celui de la post indépendance, qui s'est produit à partir de l'année 2001, ne sera pas, sans conséquences, sur l'offre de soins. Le nombre de naissances vivantes qui dépassait à peine les 600.000, a atteint celui de 1.014.000, en 2014. (chiffres publiés par l'ONS). Cette courbe ascensionnelle fulgurante mettant à mal le programme de maîtrise de la croissance démographique, impactera, défavorablement, et sans nul doute, les programmes sociaux nationaux.

Le paradoxe du développement socio-économique lancé à travers le Programme de la relance économique, initié à l'orée des années 2000, fit que les performances techniques obtenues, au moindre coût, jusqu'alors, perdirent, peu à peu, de leur efficience au profit d'actions, sans impact, sur les indicateurs sanitaires en décroissance notable. S'il était opportun de doter l'institution de ressources budgétaires conséquentes pour la réhabilitation et l'humanisation, notamment, des services hospitaliers, il n'en demeure pas moins que beaucoup d'actions de prestige l'ont emporté sur des priorités avérées. La démonopolisation du marché des équipements médico-techniques normalisés, jusque là, par le même monopole d'Etat, se fit à l'avantage d'un marché libéral dont les contours n'étaient pas, tout à fait, tracés et sur le plan des spécificités techniques que celui de la maintenance. Il est loin le temps, où un simple cabinet dentaire faisait l'objet d'une affectation centralisée après plusieurs arbitrages. Actuellement, l' hôpital dit de daïra peut acquérir un scanner de dernière génération et dont l'utilité est plus que hasardeuse. La pression environnementale (administration locale, assemblées électives et autres) mettra à mal une carte sanitaire quelque part aléatoire.

De promoteur de santé, l'administration sanitaire, est devenue constructeur et « équipementier ». Les partenaires et les acteurs, eux-mêmes, mis en marge des programmes de santé en ignorent souvent la teneur. Peu ou prou de professionnels de santé ont entendu parler de la Conférence de Alma Ata et de son contenu ; les Objectifs de développement du millénaire ont eu plus de bonheur relatif du fait de leur médiatisation, mais est ce que les 3 axes dévolus au système national de santé ont-ils fait l'objet d'une information en cascade ?

Pour l'organisation onusienne chargée de la santé, l'ultime objectif des soins de santé primaires est une meilleure santé pour tous. Dans la détermination des cinq éléments clés recensés, le cinquième point concerne, justement, l'optimisation de la participation des acteurs concernés. Faut-il, maintenant, se contenter des résultats jusqu'ici obtenus, en se gargarisant de satisfecit de rapports de conjoncture, techniquement élaborés ou bien ouvrir d'autres fronts, autrement, plus ardus, mais dont les dividendes, d'ici 2030, seront à la mesure des politiques publiques tracées pour notre souscription aux Objectifs du développement durable (ODD) et leurs 17 axes de travail qui prendront le relais des ODM, dès 2016 ?

Dans son rapport sur la santé dans le monde 2008, l'OMS préconise l'intitulé générique suivant : Les Soins de santé primaires : maintenant plus que jamais.

« Pourquoi un renouveau des soins de santé primaire (SSP) et pourquoi, maintenant plus que jamais ? La réponse immédiate est apportée par la demande palpable des Etats membres- pas seulement les professionnels de la santé, mais, également, des milieux politiques.

La mondialisation met à rude épreuve la cohésion sociale de nombreux pays, et les systèmes de santé, éléments clés de l'architecture des sociétés contemporaines, ne fonctionnent, manifestement pas, aussi bien qu'ils le pourraient et le devraient.

Les populations manifestent, de plus en plus, d'impatience face à l'incapacité des systèmes de santé, à assurer une couverture nationale répondant à des demandes précises et aux nouveaux besoins, ainsi qu'au fait que leurs prestations ne correspondent pas à leurs attentes. Que les systèmes de santé doivent relever mieux ? et plus rapidement ? les défis d'un monde en évolution, tout le monde en convient. Les SSP peuvent le faire. » (sic)

Cette analyse, aussi juste que pertinente, a le mérite d'être claire et sans équivoque. Mêmes les pays hyper développés, socialement, s'y inscrivent. Le dénuement socio sanitaire cantonné, précédemment, dans l'hémisphère sud, s'est répandu à la partie nord de la planète avec, sans doute, moins d'acuité et d'iniquité sociale. La migration humaine, induite par les conflits armés et le dérèglement climatique pèseront, durablement, sur un monde en déshérence socio-sanitaire des sociétés humaines.

Voilà, encore, une chance offerte à notre pays, pour recadrer sa politique sanitaire, à l'effet de rendre le soin, au plus près, du demandeur. La réhabilitation de la simple salle de soins, à elle seule, donnera le sentiment de sécurisation à une population désemparée. James P. Grant Dg de l'UNICEF disait, à juste titre : « Il faut arriver à mettre la diarrhée hors de l'hôpital ! ». Cette périphrase voulait simplement dire, que même cet épisode morbide qui entraînait souvent la mort chez la petite enfance, pouvait être prévenu et traité en dehors d'un service hospitalier. L'hospitalo-centrisme, développé au siècle dernier, au détriment des structures de proximité ouvertes sur leur environnement, devient, présentement, obsolète et ringard. Une structure légère dotée d'un minimum d'équipements requis, avec objectifs ciblés, correspondant à un profil morbide donné, débusquera plus de maladies, dites lourdes, socio économiquement en latence. Ainsi, nous restituerons aux centres de références, investis présentement, par le tout-venant, leur lustre perdu et leurs missions cardinales en matière de formation, recherche et d'ultime recours.