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L'agroalimentaire : L'immense gâchis

par Abed Charef



Produire du concentré de tomate exige une technologie banale. Pourtant, l'Algérie n'arrive pas à satisfaire ses besoins pour ce produit, ni à se doter d'une industrie agroalimentaire digne de ce nom.

Sur le marché de gros, le prix de la tomate est descendu, cet été, à un niveau très bas, jusqu'à frôler les dix dinars. La pomme de terre, quant à elle, a franchi ce seuil, pour être cédée à un prix qui assure moins de la moitié de son coût. La salade verte, elle, ne trouvait, tout simplement, pas acheteur. Le prix de vente ne couvrait même plus le coût de la main-d'oeuvre nécessaire pour la récole. Les fellahs étaient contraints de transformer leurs champs en pâturage.

Ces prix très bas, enregistrés sur les marchés de gros, ont ruiné de nombreux fellahs, mais ils n'ont pas été répercutés sur le marché du détail. Les consommateurs n'en ont pas, pleinement, profité, en raison du décalage qui persiste entre marché de gros et de détail.

 Le retournement du marché enregistré plus tard, à la mi-septembre, a pourtant laissé une impression inverse. A l'approche de l'Aïd el-Adha, une hausse générale des prix a été enregistrée, avec quelques produits phares qui ont atteint des sommets. Et au final, ce que retient le consommateur, de cet été 2015, c'est une flambée des prix, symbolisée par deux produits qui ont dépassé le seuil des 200 dinars : la salade verte et le navet, et un troisième, le citron, qui a atteint le prix inimaginable de 400 dinars le kilo. Il s'agit, certes, de produits secondaires, ne faisant pas partie de ce qui est considéré comme essentiel pour l'alimentation des Algériens, mais la publicité faite autour d'eux a laissé une fausse impression de cherté, alors que l'année a été plutôt bonne, avec même un niveau des prix très bas, en été, ce qui constitue une garantie sur le plan social, en mesure de contrebalancer la hausse attendue des produits importés.

PRIORITES

Cette aubaine a été mal exploitée, aussi bien par l'administration que par l'économie algérienne. Le gouvernement avait les yeux rivés sur les prix du pétrole, et se souciait d'abord de passer un Ramadhan et un été calmes, en attendant la rentrée, pour laquelle, il a préparé de gros moyens. Mais entre temps, le débat économique a peu avancé, économie encore moins. Austérité ou rigueur, restrictions ou simples aménagements, abandon de projets ou révision de leur échelonnement, dans le temps, la polémique a enflé, mais elle n'a mené nulle part. Assailli de toutes parts, le gouvernement cherchait à trouver de l'argent pour combler les déficits prévisibles, mais il n'a pas encore trouvé le moyen d'inciter à l'investissement et de présenter les pistes les plus prometteuses.

Parmi celle-ci, figure, précisément, l'industrie de transformation. La filière agro-alimentaire demeure, étonnamment, faible, alors que le potentiel est énorme. Le schéma est simple.

Certains produits, comme la purée de pomme de terre, le concentré de tomate, les confitures et les produits de conserve de toutes sortes, offrent des débouchés prometteurs. M. Abdelouahab Ziani, président d'une confédération patronale, plaide, souvent, au profit de cette filière, sans arriver à faire bouger les lignes.

 Pourtant, tout le monde serait gagnant dans le développement de ces activités. Les sites de production sont connus. On sait où est produite la tomate, où est cultivée la pomme de terre, on sait quelles sont les meilleurs terres pour la vigne et quelles sont celles qui conviennent pour d'autres fruits. On connaît, très bien, les fluctuations des prix : la pomme de terre atteint des sommets en septembre-octobre, une baisse entre novembre et février, une nouvelle flambée entre mars et avril, avant une nouvelle chute de juin jusqu'à la rentrée. Le cycle de la tomate est aussi bien maîtrisé.

PRODUIRE DU DISCOURS

Investir dans ces créneaux offre de nombreux avantages. Cela offre d'abord un débouché raisonnable pour la surproduction de saison. C'est une garantie de revenu pour les fellahs, probablement, meilleure que le Syrpalac (système de régulation de la pomme de terre), qui a montré ses limites. Dans le même temps, une régulation des prix encourage les fellahs, qui seront incités à produire, encore plus. Pour l'économie du pays, cette formule va booster la production, et offre une véritable opportunité de substitution aux importations : comment un pays comme l'Algérie peut-il continuer à importer des produits aussi primaires que le concentré de tomate, les produits conditionnés dans de simples emballages ou encore le la purée de pomme de terre ? Ce constat est d'autant plus choquant que la technologie utilisée dans l'agro-alimentaire a cet avantage d'être relativement simple, à la portée d'entreprises très moyennes, comme le sont la plupart des entreprises algériennes.

Mais ces entreprises n'arrivent pas, encore, à se lancer dans l'aventure. Et s'il fallait résumer les causes de leur échec, on pourrait en citer trois : le gouvernement algérien s'intéresse d'abord à la distribution, non à la production ; le taux de change du dinar et les accords commerciaux empêchent l'émergence d'une industrie locale ; enfin, collecter l'épargne, la transformer en investissements et en richesse est une tâche au-dessus de la capacité des autorités algériennes.

Car celles-ci se contentent de produire du discours économique, elles ne veulent pas produire une politique économique.