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Riyad retire ses fonds, Doha rassure

par Akram Belkaïd, Paris

C’est un thème classique qui a inspiré nombre de romans d’espionnage ou d’anticipation économique. Que fera le monde occidental si, d’aventure, l’argent des monarchies pétrolières du Golfe quittait les grandes places financières comme New York, Londres, Francfort, Paris, Zurich ou Tokyo ? Souvent, cette interrogation intervient quand les Bourses mondiales connaissent quelques fortes turbulences ou encore quand les prix de l’or noir sont orientés à la baisse. En tout état de cause, c’est ce qui est en train de se passer, certes de manière peu brutale mais la tendance mérite d’être suivie de près.

LE QATAR INVESTIT AUX ETATS-UNIS

Il y a d’abord l’Arabie Saoudite qui doit compenser la perte de ses revenus pétroliers et qui, dans le même temps, doit financer son effort de guerre au Yémen. Selon les calculs du Financial Times et de l’Agence Bloomberg, l’Agence monétaire saoudienne (Sama, Saudi Arabian Monetary Agency) a rapatrié pour près de 72 milliards de dollars en les retirant de différents placements à l’étranger qu’elle gère. Un mouvement qui inquiète beaucoup l’industrie mondiale de la gestion de fonds et qui contribue aussi à accentuer la tendance baissière sur les marchés boursiers. Cette crainte est d’autant plus vive que les prix du pétrole ne semblent pas près de remonter tandis que le conflit au Yémen est loin d’être terminé. Bien au contraire, la perspective d’une action terrestre de la coalition menée par Riyad pourrait augmenter la facture de cette intervention.

En 2008, en pleine tourmente boursière et financière, les autorités américaines avaient discrètement fait pression sur les monarchies du Golfe pour qu’elles maintiennent leurs investissements. A l’époque, «l’argent arabe» ne devait absolument pas fuir les marchés. On se souvient même que ces pays avaient été invités à investir via leurs fonds souverains dans le capital d’entreprises désargentées ou déstabilisées par le choc. Ce fut le cas notamment pour les banques. On peut penser qu’un tel schéma va se reproduire même si les relations entre Riyad et Washington ne sont pas au beau fixe. La Sama va-t-elle continuer à retirer ses fonds et jusqu’à quel point ? Ce sujet devra être suivi de près au cours des prochaines semaines.

En attendant, c’est le Qatar qui rassure. Dans les cinq années à venir, son fonds souverain, créé il y a dix ans et dont les actifs atteignent 250 milliards de dollars, va investir 35 milliards de dollars aux Etats-Unis (actuellement ses avoirs américains sont de 7 milliards de dollars). C’est donc un signe fort de Doha d’autant que l’émirat vient pourtant d’enregistrer des pertes importantes au cours du troisième trimestre. En effet, son fonds souverain a vu fondre la valeur de ses avoirs d’un montant de 12 milliards de dollars. Certes, il ne s’agit pas de pertes définitives puisque le fonds reste actionnaire des valeurs ayant baissé mais il s’agit tout de même de moins-values potentielles. Volkswagen (- 8,4 milliards de dollars), Glencore (- 3,7 milliards de dollars) et Agricultural Bank of China (- 630 millions de dollars) sont les principales baisses du portefeuille boursier du fonds d’investissement.

BOURSE OU INVESTISSEMENT DIRECT ?

Les pertes boursières du Qatar illustrent les dilemmes qui accompagnent l’action d’un fonds souverain. Les investissements de ce dernier se font à long terme et l’émirat peut espérer que les valeurs qu’il possède vont tôt ou tard repartir à la hausse. Mais que se passera-t-il si Doha a un besoin urgent de liquidités ? Cela pose donc le problème du risque présenté par les placements boursiers. Longtemps considérés comme fiables à long terme, ces derniers sont de plus en plus critiqués en raison de la volatilité des marchés. Dès lors, on comprend pourquoi le Qatar veut privilégier des investissements directs aux Etats-Unis, notamment dans l’immobilier et les infrastructures.