Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Qu'en est-il des marchés parisiens ?

par Farouk Zahi

Illusoire promesse ou simple boutade parmi tant d'autres dont on nous a habitués ? On s'est surpris, un moment, à rêver de ces étals achalandés où l'on pouvait se côtoyer sans se bousculer en pataugeant dans des eaux noirâtres.

La cause en est la non gestion de l'avaloir, dont le simple et ingénieux système ne doit souffrir d'aucune obstruction. Les nombreux marchés urbains de jadis, sentant le thym et les herbes fines et flanqués de leur kiosque à fleurs sont réduits à leur plus simple expression. Encombrés par des objets hétéroclites et tumultueux où l'invective vociférante fait force de loi, ces espaces, anciennement conviviaux, n'incitent plus les ménages à les fréquenter. La régression féconde n'est, malheureusement pas au rendez-vous. Les poissonneries ou du moins ce qui en reste, ne sont plus cantonnées dans les espaces qui leur étaient destinés à portée d'un bloc de glace, mais à l'entrée des « souks » où les relents pestilentiels saisissent au nez au premier abord.

Arrosant abondamment d'une eau suspecte leurs produits de la pêche, composés généralement de faméliques sardines, d'épineux mafrons et livides chevrettes, les vendeurs occasionnels vantent la qualité de leur camelote par de fébriles criées qui ponctuent le brouhaha ambiant. La rixe, pour ne pas déroger à la règle, alimente souvent l'antagonisme mercantile dû, principalement, à l'hégémonie territoriale. Les agents chargés du maintien de l'ordre public regarderont ailleurs ou, dans le meilleur des cas, tenteront de jouer à l'apaisement. Quant au casier en plastique, cette autre promesse ministérielle, il faudrait donc repasser. Le sachet en polystyrène multicolore fera languir, pour longtemps encore, le sachet en papier biodégradable. Des étals de marchés, jadis prospères, cèdent de plus en plus la place à de la quincaillerie, breloques et lingerie féminine. On aura remarqué que ce dernier négoce est, paradoxalement, tenu par d'hirsutes barbus qui ne se privent pas de pourfendre à la moindre occasion, la gent féminine.

Les fruits et légumes sont carrément éjectés sur les trottoirs ou sur la chaussée même ; seule la boucherie résiste crânement pour des raisons évidentes de chaîne de froid. Quoique cet axiome n'est plus de mise depuis la création du marché à viande à ciel ouvert qui va de Douaouda à Tessala el Merdja. Que dire alors de ces troncs juchés sur des barils à fuel exhalant des fumées épaisses produit de grillade de pain de maïs. Et dire que ces amuse-gueules trouvent preneurs auprès d'une clientèle friande de mets dont la manipulation et la préparation sont plus que douteuses.

La culture de la camionnette chinoise a balayé toutes les règles commerciales. Ces petits engins regorgeant de produits de la terre investissent, tels des criquets, tout espace public et bords de route libres jusqu'à une date récente. Certains se sont spécialisés dans la vente d'un seul produit. De véritables marchés se sont spontanément crées, obligeant par endroits, la circulation routière à bouchonner. Les exemples sont malheureusement nombreux pour être tous cités ; on peut, toutefois, évoquer à titre illustratif ceux de Dirah (Sour El Ghozlane), Bouchaoui-centre ou encore l'axe Sidi Moussa-Bougara.

Heureux encore que ces engins acquis dans le cadre du dispositif d'insertion des jeunes soient d'une certaine utilité, car dans d'autres cas, le soutien bancaire de l'Etat a servi à d'autres desseins. Parmi ces « mini-truck », certains se sont spécialisés dans le transport des troupes folkloriques « Zorna » des cortèges nuptiaux ou dans les défilés des « hooligans sportifs » sauf que, dans la deuxième variante, la musette est remplacée par la trompette. Par contre, ces équipements mobiles auraient mieux servis dans la collecte des déchets ménagers qui jonchent nos villes et villages offrant la hideuse image d'un pays à l'abandon. Ceci nous aurait dispensés de cette idée burlesque qui confie le nettoiement à des jeunes rétribués par l'Agence de développement social (ADS) et affublés d'une tenue de travail « orange » rappelant le sinistre camp d'internement de Guantanamo. Mal outillés et ostracisés par une mentalité rétrograde, ces « jeunes damnés » feront tout pour s'éclipser au plus vite, du moment qu'ils auront été pointés par l'agent communal. Cette perdition de la collectivité communale remonterait au tout début des deux derniers mandats où un ancien ministre de l'Intérieur, annonçait, non sans légitime fierté, que plus de 65p/cent des élus locaux étaient détendeurs de diplômes universitaires. Le réveil est, malheureusement brutal. Une simple virée à l'université Saad Dahleb de Blida aurait suffi à dissuader toute comparaison entre le niveau intellectuel et l'entretien général de l'espace public.

Après cette digression, revenons au sujet qui nous préoccupe présentement. L'idée généreuse au départ de l'opération dite des « 100 » locaux a fait long feu dans certaines agglomérations. Non encore occupés, souvent par manque d'imagination ou de pertinence dans le choix de l'activité, beaucoup de ces locaux sont détournés à des fins qui ne sont pas les leurs. Portes éventrées, équipements vandalisés, ils geignent sous le regard indifférent des responsables locaux.

Le fardage, connu pour exposer à la vue, le meilleur profil du légume ou du tubercule était horizontal ; il est présentement vertical, ce qui enlève toute velléitaire tentative de choix. De véritables « murailles » de légumes, patiemment élaborées, se dressent devant la clientèle, l'obligeant à bien lever la tête pour parler au maître des lieux haut perché. Ainsi à moitié dissimulé, il n'échoit qu'à lui seul, de peser et de décréter la contre-valeur en numéraire. Penaud et réduit par la soumission, le consommateur marmonnera quelques remarques inaudibles pour enfin s'acquitter de son dû.

Les marchés de proximité déjà réalisés et dont il nous été donné de voir le modèle, ne semblent pas agréer les potentiels bénéficiaires. Situés pour la plupart à la périphérie des centres urbains, ils risquent fort de connaître la désaffection des bénéficiaires et des usagers à la fois. Le dispositif au soutien de l'Emploi des jeunes aurait été bien inspiré s'il avait canalisé ces ressources autant humaines et que financières pour leur mobilisation dans la petite et moyenne industrie (PMI) ou plus simplement dans l'activité artisanale afin de nous libérer de la dépendance, vis-à-vis de pays tiers en matière d'approvisionnement en produits domestiques tels que brosses, coton-tige, manches à balai, ciseaux et autres prosaïques ustensiles. Un pays qui aspire à fabriquer des drones doit obligatoirement se suffire en accessoires de la vie courante.