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Les hydrocarbures, talon d'Achille de l'économie algérienne

par Ammar Koroghli

Suite et fin

Qu'en était-il en réalité ?

Prenons le cas de l'habitat, point crucial s'il en faut, notamment au regard de l'«explosion démographique» (la population algérienne s'est accrue de 50 % en 12 ans). Les bidonvilles se faisant indiscrets et les campagnes s'étant progressivement dépeuplées de leur sève humaine qui est venue s'adjoindre aux citadins pour composer cette unité nouvelle que feu Lacheraf a qualifiée de « rurbains ». On sait malheureusement que la stratégie de développement algérienne n'a pas cru bon d'intégrer ce paramètre dans ses objectifs, ou peu. Ainsi, ce qu'il a été convenu d'appeler crise de logement étalait au grand jour l'incapacité de l'Etat à résorber ce problème (le million de logements promis se réalisera-t-il ?). Cette situation s'accompagna d'une négligence délibérée du secteur locatif public ; situation à laquelle s'ajouta la braderie des biens de l'Etat. Comment s'étonner, dans ces conditions, des différenciations sociales qui s'aiguisaient au quotidien ? A cela s'ajoutaient l'inefficacité de la politique de l'Etat en la matière et la spéculation immobilière : vente de terrains et de logements. Voilà donc quelques éléments de la NEP algérienne concoctée par l'oligarchie au pouvoir appelée, tour à tour, « camarilla » et « mafia politico-financière ».

 Ainsi, le bilan du pouvoir algérien fait ressortir les incohérences d'une stratégie et son coût social, la croissance des dépenses improductives, la non-maîtrise de l'appareil productif, la formation de féodalités économiques et politiques (techno-bureaucratie civile et militaire), les dangers de l'extraversion et le mépris des masses en prime. Ainsi, ni l'autogestion et le « gouvernement par le parti » ni les « industries industrialisantes » n'ont produit la matrice nécessaire au décollage économique. Ni même le « libéralisme » tant vanté. De même, le caractère d'exploitation qui découle de la confusion entre formes juridiques de propriété et rapports de production n'a pas été supprimé.

L'« après-pétrole » étant devenu le leitmotiv de la stratégie politique du pays, avec pour toile de fond la réorientation de la doctrine économique. Les grands axes en sont : la transformation des grandes entreprises (type Sonatrach), l'appel au secteur privé et au capital étranger et la relance de l'agriculture par la remise des terres nationalisées à leurs propriétaires. Cette nouvelle vision de l'économie conduit à une remise en cause au niveau des alliances. L'affairisme d'Etat favorable aux couches bourgeoises sert de soubassement à cette réorientation. Se profilent donc, comme en 1986, des mesures destinées à réduire les achats à l'extérieur (importation) et un programme d'austérité en matière de dépenses publiques (touchera-t-on aux fameuses subventions ?). Par ailleurs, la faible rentabilité du parc industriel - devenu un secret de Polichinelle car tournant à environ 30 % de ses capacités - s'accompagna d'une baisse sensible de la production agricole nationale. Contrairement à la Tunisie et au Maroc, l'Algérie a peu d'arboriculture fruitière, et l'élevage reste une activité traditionnelle et cantonnée aux nomades ou semi-nomades des Hauts-Plateaux et du Sud. De la même manière, un domaine aussi vital que l'habitat est abandonné au pouvoir de l'argent alors que, du fait du dépeuplement des campagnes, le taux de croissance annuel de la population urbaine continue d'être important.

Après « octobre 88 », le pouvoir en place s'est doté d'un arsenal juridique en vue d'asseoir, d'une manière durable, une économie de marché qui constitue l'infrastructure de ses réformes. La principale de ces lois concerne la monnaie et le crédit qui introduit la possibilité pour les entreprises de transformer leurs obligations provenant de dettes ou de créances en actions. En outre, la convertibilité du dinar comme préalable à la relance économique devait « rendre à la monnaie nationale sa valeur réelle », sachant que la sphère informelle détenait alors « près de 70 milliards de dinars échappant totalement au circuit bancaire » (aujourd'hui, on parle de 3700 milliards). Privilégiant la politique monétaire, l'objectif fondamental des réformes devait concerner « la réduction de la masse monétaire dont les instruments principaux sont le flottement du dinar, l'inflation et le drainage de l'épargne par une réorganisation du dispositif bancaire ». La traduction de cette politique économique a poussé le pouvoir à mettre en place un marché financier et une Bourse, à la refonte du code de commerce relativement à l'émission des valeurs mobilières, à libérer plus de 90 % des prix et à pousser les dirigeants des banques et des entreprises à jouer le rôle de propriétaires en économie de marché.

Depuis 1999, hormis les laudateurs qui pratiquent la langue de courtisanerie, peu parmi les Algériens sérieux pourraient aligner quelques éléments crédibles aux plans économique et politique pour justifier que l'Algérie est sur le point d'émerger avec à la clé l'assurance de la sécurité alimentaire, d'une industrie florissante, d'une école et une université préparant à l'esprit scientifique et culturel nécessaire à l'émergence de pôles d'excellence, d'un système de santé qui met fin au recours à l'étranger des «personnalités» gravitant autour des centres de pouvoir, d'un habitat décent pour tous avec un urbanisme digne d'un pays ayant 53 ans d'indépendance?

Ainsi, le quinquennat de 1999 à 2004 a été pour l'essentiel consacré aux problèmes de la sécurité du pays davantage qu'aux problèmes découlant de la sphère socio-économique : investissements pour le développement, mesures pour réduire le chômage endémique et l'inflation galopante, desserrer sérieusement l'étau de la spirale infernale de la dette extérieure, programmes hardis pour résorber au maximum la question du logement? Depuis, une autre élection présidentielle a eu lieu en avril 2004. Lors de son second mandat, le pouvoir en place prône une politique dite de la réconciliation nationale ; mandat au cours duquel le président annonce des réformes économiques encadrées par un Plan complémentaire de soutien à la croissance (PCSC) dont le coût avoisinerait les 55 milliards de dollars (environ 45,4 milliards d'euros).

Ce Plan proposa de « relancer la croissance par la dépense publique » à réaliser grâce aux revenus provenant des hydrocarbures (donc pas de recours à l'emprunt). A cet égard, il vaut de noter que le budget de l'Etat a été établi alors sur la base de 19 $ le baril (celui-ci atteignant jusqu'à 60 $ et à certaines périodes plus de 100 $) et que quelque vingt milliards de dollars « dormaient » dans les caisses des banques publiques (sans doute plus). Les réalisations visées par ce Plan devraient concerner notamment le logement (avec l'objectif déclaré de 1 million de logements), le transport et les infrastructures (construction de l'autoroute Est-ouest, métro d'Alger et rénovation de 1200 kilomètres de voies ferrés).

Cependant, certains économistes algériens émirent des réserves, voire des doutes quant à cette ambition volontariste du pouvoir, l'expérience algérienne des Plans triennaux, quadriennaux et quinquennaux est pourtant édifiante quant aux limites de plans de ce type. Ainsi, M. Abdelatif Benchenhou -réputé alors proche de l'actuel président de la République- semble avoir fait les frais de son « opposition » à cette vision toute présidentielle en n'étant pas reconduit dans ses fonctions suite au dernier remaniement ministériel. De même, à en croire un autre économiste algérien, M. Mohamed Chérif Belmihoub : « On finance le statu quo au lieu de financer les réformes »? (Le Monde du 24.06.05).

Il est vrai que le pays a bénéficié de conditions plus favorables qu'auparavant en vue de résoudre ses problèmes les plus flagrants. Ainsi, l'Algérie a disposé de recettes pétrolières exceptionnelles (les réserves de change étant égales ou supérieures à plus de cent milliards de dollars avec des liquidités dans les banques estimées à quelques milliards de dollars avec 95% des avoirs et des prêts bancaires des établissements publics). Cependant, l'Algérie a été secouée par des scandales financiers dont l'affaire Khalifa est la plus retentissante dès lors qu'elle a entraîné la ruine de nombreux épargnants. La société Khalifa (banque, compagnie aérienne, pharmacie, télévision) a été liquidée.

A cet égard, en vue de l'entrée en vigueur de l'accord d'association avec l'Union européenne et de l'adhésion de l'Algérie à l'Organisation mondiale du commerce, il a été suggéré une amélioration du système bancaire par l'adaptation des banques publiques aux normes internationales. De même, la question du jour semble être : comment sortir l'économie nationale de la spirale d'endettement. En effet, parmi les contraintes au développement du secteur privé, « la Banque mondiale relève les difficultés de financement, un accès limité à l'information, une insuffisance de la réglementation du travail conjuguée au manque de travailleurs qualifiés, des infrastructures inadéquates, un système juridique peu efficace, ainsi que des barrières administratives fortes », ce, outre les difficultés d'accès du secteur privé au foncier industriel.

AUSTERITE ET PREDATION

En tout état de cause, face à l'austérité frappant de plein fouet la société algérienne, une partie de la solution au redémarrage sérieux de l'économie ne consisterait-elle pas d'abord à tenter de mobiliser l'épargne interne et la drainer vers des activités utiles à la collectivité nationale ? Certes, cette tentative n'est pas une sinécure à côté de la négociation avec les experts du FMI rompus à l'effet d'amener les économies dépendantes à la périphérie des économies informatisées. Il est vrai aussi que l'Algérie s'est trop gargarisée d'illusions. Pour le défunt Aboubakr Belkaïd qui fut ministre de la Culture et de la Communication : « Nous demeurons convaincus que c'est par la démocratie que nous pourrons redynamiser la société et lui permettre d'accéder le plus rapidement possible à une modernité universelle. » Hélas, que de vocables, une fois de plus, livrés en pâture à la conscience algérienne meurtrie. En tout état de cause, en l'absence d'une politique économique crédible, la question se pose de savoir si l'option mise sur les hydrocarbures, les rééchelonnements (aujourd'hui le recours de nouveau au FMI et autres institutions financières internationales) et l'opération de privatisation d'alors ont constitué un atout certain en vue d'aboutir à une situation assainie de l'économie algérienne. La question se pose avec d'autant plus d'acuité aujourd'hui que d'autres pays ayant tenté l'aventure du « tout privatisable » ont seulement permis à des « professionnels de l'économie de l'ombre » de prospérer et de mettre leurs pays en coupe réglée. Ainsi, dans le cas de la Russie, « ils sont 7 prédateurs à s'être partagés la Russie. 7 barons dont on murmure qu'ils font et défont les lois, nomment les ministres, quand ce n'est pas le président lui-même. Il y a 2 ans, ils ont contribué à la réélection de Boris Eltsine », ces nouveaux magnats russes qui contrôlent plus de 250 sociétés et ont construit en un temps record des fortunes colossales, à la limite de la légalité. Pétrole, médias, télécoms, métaux, mines, automobile, en 5 ans, les secteurs les plus juteux ont été soigneusement quadrillés, le gâteau méthodiquement partagé avec la complicité de vieilles amitiés, quand ce n'est pas d'intérêts mafieux (Le Nouvel Economiste du 27/2/98). L'Algérie connaîtra-t-elle cette situation ?