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QUI A DIT QUE LES ALGERIENS N’ETAIENT PAS CONTENTS DE LA QUALITE DE LEUR SYSTEME EDUCATIF ?

par Ahmed Bouyacoub*

Cette question peut paraître absurde à un moment où le débat s’est focalisé, non pas sur les moyens et méthodes d’introduction des nouvelles technologies d’information et de communication dans l’enseignement primaire, mais sur le recours à la darija pour initier nos enfants à l’apprentissage de l’école moderne.
Pourtant, cette question semble avoir été réglée dans la loi du 23 janvier 2008 portant loi d’orientation sur l’éducation nationale dès le chapitre 2 relatif aux missions de l’école qui définit la place et le rôle de la langue arabe, de la langue tamazight et des langues étrangères.

Dans un alinéa de l’article 4, la loi précise les missions de l’école en soulignant qu’elle doit notamment:

«*assurer la maîtrise de la langue arabe, en sa qualité de langue nationale et officielle, en tant qu’instrument d’acquisition du savoir à tous les niveaux d’enseignement, moyen de communication sociale, outil de travail et de production intellectuelle; (c’est l’auteur qui souligne); *promouvoir la langue tamazight et étendre son enseignement; *permettre la maîtrise d’au moins deux langues étrangères en tant qu’ouverture sur le monde et moyen d’accès à la documentation et aux échanges avec les cultures et les civilisations étrangères». La situation et l’image de l’école seront-elles rehaussées par le recours à la darija ?

Trois remarques préalables, essentielles à notre sens, sont à faire à ce propos:

1. Les tenants du courant «darijiste» mobilisent souvent l’argument soi-disant «des recommandations de l’Unesco» sur les langues maternelles, alors que cette expérience, de l’avis de penseurs maghrébins comme Abdallah Laroui, interpellé sur la même question par cette même institution, n’a concerné qu’un très petit nombre de pays d’Afrique subsaharienne en butte avec un taux de scolarisation très faible. Cet auteur, dans un débat sur la même question, au Maroc, en 2013-2014, a montré que les deux ou trois pays qui ont recouru aux langues maternelles, en Afrique, l’ont regretté puisque quelques années après, ils ont constaté que ces enfants ne pouvaient continuer leurs études sans la maîtrise d’une langue universelle. Mais notre propos ne concerne pas la langue, qui a déjà fait l’objet d’une multitude d’interventions de toutes sortes de spécialistes et d’idéologues.

2. Le débat technique sur l’école algérienne semble se dérouler, comme d’habitude, en
vase clos entre différents acteurs du système éducatif, et les solutions aux questions posées sont presque toujours conçues de manière informelle et sur la base de rapports de force. Y a-t-il eu débat pour supprimer l’enseignement technique des lycées, par exemple ? Quelles sont les données objectives mettant en cause la non-maîtrise des langues dans l’échec scolaire ? La langue arabe et les autres langues ont-elles le statut qu’elles méritent dans l’enseignement ? D’autres questions plus importantes encore peuvent être posées…

D’un autre côté, la mythification des mathématiques dans l’enseignement, depuis déjà plusieurs décennies, a abouti, non seulement à une dégradation de l’image des enseignants des langues, mais aussi, chose paradoxale, à une baisse continue du niveau des mathématiques des élèves à tous les cycles, selon des spécialistes.

Mais l’école algérienne n’est pas le fruit du néant, ni de l’imagination fertile de quelques démiurges aidés de coopérants venus des quatre coins du monde, au cours des deux décennies qui ont suivi l’indépendance de notre pays. Elle est le résultat d’un héritage historique, d’une série d’expériences et d’un processus continu d’investissements. C’est ce qui lui a permis de passer d’un taux de scolarisation des enfants de plus de 6 ans de 43% en 1966 à plus de 98% en 2014.

C’est aussi ce qui a permis de passer de 1.763 bacheliers en juin 1965 à 363.141 bacheliers en juin 2015. En cinquante ans, le nombre de bacheliers sortis de l’école algérienne a été multiplié par 206 fois. Très peu d’autres productions peuvent aligner une croissance pareille. Seule la production de l’électricité, en multipliant par 60 fois le niveau de 1965, vient en seconde position. Et dire que certains «spécialistes» passent leur temps à dénigrer cette école ! Peut-être parce qu’elle a ouvert ses portes à toutes les couches de la population… Mais, il s’agit là d’une autre question…

3. Pour rester au plan général, il est étonnant de ne pas demander l’avis des citoyens

sur la qualité de leur école, et de continuer à colporter l’image que «l’école est sinistrée». Et quand des réponses existent sur cette question, des spécialistes, parlant au nom de l’école, semblent totalement l’ignorer. Mais de nombreux «experts» ont pris l’habitude de ne citer les études internationales que lorsqu’elles présentent une image négative du pays.

Pourtant, une institution internationale comme le PNUD s’intéresse depuis 2013 à la question du taux de satisfaction des citoyens concernant la qualité de l’éducation de leur pays. Et, à travers un sondage opéré dans les 187 pays du monde concernés par le Rapport sur le développement humain, publié annuellement, les réponses par pays sont édifiantes et les comparaisons sont encore plus intéressantes.

A. En effet, le dernier Rapport sur le développement humain 2014, intitulé «Pérenniser le progrès humain: réduire les vulnérabilités et renforcer la résilience», a consacré une série d’indicateurs aux perceptions du bien-être. Parmi ces indicateurs, le taux de satisfaction sur la qualité de l’éducation.

Pour 2012, année de l’enquête, on apprend que 64% des Algériens sont satisfaits de la qualité de leur système éducatif. Ce taux est nettement supérieur à la moyenne des pays arabes qui ne dépasse pas les 48%. Le taux algérien est comparable à celui des pays à développement humain très élevé, car il dépasse largement celui des pays du Maghreb dont le taux de satisfaction semble nettement plus faible. Au Maroc, le taux de satisfaction est de 41%, en Tunisie 44% et en Egypte 40%.

Si dans le monde arabe, les Algériens sont parmi les plus satisfaits de la qualité de leur système éducatif, est-ce par masochisme collectif ou par prétention délibérée ?

A titre indicatif, pour 2012, la Malaisie se trouve en tête (2e) des pays et affiche le taux de satisfaction de 91%. L’Algérie, avec son taux de 64%, occupe la 63e position.

Le PNUD a réalisé deux enquêtes puisque ces données existent depuis plus de deux années. Pour l’année 2011, le Rapport 2013 a également publié les résultats concernant le taux de satisfaction. On peut ainsi opérer une comparaison entre les deux années.

En 2011, les Algériens étaient à 67,1% satisfaits de leur système éducatif. Entre 2011 et 2012, le taux de satisfaction a donc perdu 3,1 points. Les pays arabes, dans leur ensemble ont perdu deux points. Si au Maroc, la situation est relativement stable avec un taux de 41,6%, par contre, en Tunisie, le taux de satisfaction a connu un effondrement. Il est passé de 54,8 % à 44%. Est-ce un simple effet de la libération de la parole due au «printemps arabe» ?

Ces données indiquent clairement que, contrairement à une idée répandue, l’image de l’école, dans la société, n’est pas aussi négative qu’on l’affirme. Ce constat peut être conforté par un autre indicateur que la même institution calcule en matière d’éducation.

B. Il s’agit du taux de décrochage dans l’enseignement primaire. Le Rapport du PNUD le calcule en 2014, pour la période 2003-2012. Ce taux concerne le pourcentage des enfants qui sortent du cycle primaire sans le terminer. Les défenseurs de la darija ont avancé, en ce qui concerne l’Algérie, plusieurs taux élevés (10% et plus), en incriminant la langue comme facteur explicatif. La publication des taux par wilaya aurait fortement éclairé le débat.

En fait, le taux de décrochage pour l’Algérie est de 7,2% pour la période 2003-2012. Pour la période précédente (2002-2011), ce taux ne dépassait pas 5%. Pour cet indicateur, l’Algérie semble enregistrer un certain recul, comme pour le précédent indicateur. S’agit-il d’une tendance de fond qui s’annonce ? Là aussi, que disent les données nationales ? La tendance est-elle à la hausse ? Pour l’instant, l’Algérie semble afficher un taux qui reste inférieur à la moyenne des pays à développement humain élevé auquel elle appartient avec 8,1%.

La moyenne des pays arabes est de 5,8%. Dans ce domaine encore, l’Algérie se distingue de la majorité des pays arabes. La Tunisie affiche le taux de 5,3%, mais le Maroc affiche un taux élevé avec 8,4 %. Ces taux sont encore relativement faibles quand on les compare à la moyenne des pays de l’Afrique subsaharienne qui affiche 37,8%. Les pays à développement humain très élevé affichent des taux inférieurs à 1%, sauf pour les Etats-Unis d’Amérique qui affichent un taux de 6,9% ou l’Allemagne qui affiche 4,4%. Quant à la Malaisie, qu’on a évoquée précédemment, elle affiche un taux de 0,8%.

Dans le Rapport sur le développement humain de 2014, l’Algérie est non seulement classée depuis trois années dans le groupe des pays à développement humain élevé, ce qui suppose de bons indicateurs dans les domaines de l’éducation, de la santé et celui des revenus des ménages, mais aussi l’image de la qualité de son système éducatif est relativement bonne.

Son classement mondial sur le développement humain, comme la qualité de son système éducatif avec seulement les deux indicateurs affichés, placent l’Algérie bien au-dessus de la moyenne du monde arabe. La disponibilité des ressources financières n’explique pas, à elle seule, cette situation puisque les Emirats arabes unis, par exemple, affichent un taux de satisfaction de 90% mais aussi un taux de décrochage dans l’enseignement primaire de 15,6%.

C. Bien entendu, ces résultats sont le fruit d’énormes investissements, menés de manière ininterrompue depuis l’indépendance du pays, notamment dans la formation des personnels et la construction des équipements socio-éducatifs. L’Algérie affiche un taux de dépenses pour son système éducatif de 4,3% du PIB pour la période 2005-2012. Le groupe de pays à développement humain très élevé a consacré en moyenne 5,3% de leur PIB (très élevé par ailleurs) à leur système éducatif. En revanche, par rapport au groupe auquel elle appartient (développement humain élevé), l’Algérie reste en deçà de la moyenne de 4,6%. Cette petite différence n’est pas à négliger car elle concernerait un peu plus de 50 milliards de dinars… De quoi moderniser largement des centaines d’écoles et leur mobilier se trouvant dans une situation non attrayante pour de jeunes élèves…

La modernisation et la mise à niveau des «lieux d’enseignement» restent à l’ordre du jour, notamment dans les territoires déshérités, et ne peuvent être occultées ni par le refus de transparence sur les résultats de fin d’année, ni par un faux débat sur la darija.

D. Car le système éducatif de notre pays est au moins:
1. un système de ressources réparties ( ?) dans un vaste territoire, entre 1.541 communes, à niveaux de développement très différents, et dont il faut définir les modalités et les règles de répartition,
2. une organisation dont il faut rechercher les optimums,
3. des acteurs à identifier et dont les rôles doivent être définis,
4. des performances avec des critères à définir à différents niveaux,
5. des expériences mondiales et un environnement international qui évolue très vite et dont il faut connaître, comprendre et intégrer les principaux paramètres,
6. une société qui doit définir les missions de l’école, assurer le contrôle de son fonctionnement et surveiller la réalisation du principe d’équité.
Plus fondamentalement, pour rendre performant son système éducatif, un pays a besoin d’un minimum de consensus et de transparence sur l’ensemble des éléments qui le composent. Il ne s’agit nullement d’un simple travail d’experts.

*Université d’Oran 2

NOTES :
Journal officiel n° 04 du 27 janvier 2008, p.8.
Voir l'intervention de Abdallah Laroui in www.yabiladi.com/articles/details/.../darija-contre-langue-arabe-grand.ht...
Le Programme des Nations unies pour le développement publie annuellement un Rapport sur le développement humain (HDR)
Satisfaction à l'égard de la qualité de l'éducation: pourcentage de personnes interrogées répondant "satisfait" à la question posée par l'institut de sondage Gallup dans le cadre d'une enquête mondiale: "Etes-vous satisfait de votre système éducatif ?", notes, page 185, in HDR 2013, PNUD.
"Taux de décrochage dans l'enseignement primaire: pourcentage d'élèves d'un groupe donné inscrits à l'école primaire, mais ayant abandonné avant la dernière année. Il est calculé en soustrayant de 100 le taux de survie à l'entrée en dernière année d'école primaire et en supposant que les flux constatés ne changent pas au long de la vie du groupe et que les élèves qui ont abandonné ne reviennent pas à l'école", selon les données de l'Institut de statistique de l'Unesco (2012). In HDR 2014,
"Dépenses en éducation: dépenses publiques totales (courantes et en capital) en matière d'éducation, en pourcentage du PIB" in HDR 2014.
Selon notre hypothèse, il y aurait une forte corrélation entre les résultats scolaires et le niveau de développement des wilayate.