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L'économie algérienne livrée à «Bellahmar»

par Abed Charef

La rentrée sociale n'apporte pas d'innovation économique en Algérie, à part les incantations et les prières pour que le prix du pétrole se redresse.

L'Algérie n'a toujours pas décidé si elle est en crise ou pas.

Alors que les exportations d'hydrocarbures, source quasi unique de devises, devraient baisser de moitié en 2015, le Premier ministre et son ministre des Finances continuent d'affirmer que le pays est à l'abri. Etalant des objectifs totalement irréalistes, pour ne pas dire farfelus, préconisant une chose et son contraire, ils continuent de naviguer sans boussole.

Abdelmalek Sellal et Abderrahmane Benkhalfa jouent en fait une partition très complexe, sans rapport avec la situation économique du pays. Leur rôle n'est pas d'élaborer une démarche d'envergure pour relancer l'économie, ni même de faire face à la crise. Ils sont simplement chargés de trouver le ton juste pour dire qu'il y a des difficultés, mais sans alarmer les Algériens ; de préparer le terrain à des mesures délicates si la situation l'impose, mais sans inquiéter la population outre mesure. L'équation est compliquée, mais comme le gouvernement manie mieux les mots que les concepts économiques, il a des chances de s'en tirer. D'autant plus que le système politique algérien ne prévoit aucune sanction en cas d'échec.

Pourquoi le gouvernement ne peut pas reconnaître que la situation est difficile ? Parce que cela équivaudrait à reconnaître que les trois mandants du président Bouteflika n'ont pas permis de mettre sur pied une économique performante. Après quinze ans de pouvoir, M. Bouteflika ne peut rejeter la responsabilité ni sur le FMI, ni sur le terrorisme, ni sur Chadli Bendjedid. Il a eu le temps et l'argent nécessaires pour bâtir quelque chose. Il est passé à côté. Il n'y a rien à ajouter.

PRIORITES

Mais M. Sellal ne peut pas se contenter de ce constat. Il a un rôle à assumer dans l'architecture du pouvoir algérien. A défaut de vendre du rêve et des ambitions, il distribue des mots et promet des chimères. Il promet, par exemple, une croissance de 4.6%. Faut-il prendre un tel objectif au sérieux, quand dans le même temps le gouvernement annonce une baisse de six pour cent des investissements publics, sachant que la croissance est tirée essentiellement par les investissements publics ? Comment assurer 4.6% de croissance quand, dans des conditions nettement meilleures, avec les mêmes outils et les mêmes méthodes, le pays a difficilement dépassé le cap des 3% de croissance ?

En réalité, les annonces gouvernementales ne traduisent pas des objectifs et des programmes économiques, mais expriment en premier lieu des soucis politiques. M. Benkhalfa les a parfaitement exprimés. Les efforts de « rationalisation » -le mot austérité est banni- toucheront l'investissement, mais pas les salaires assure-t-il. Tout gouvernement sérieux ferait l'inverse : il maintiendrait l'effort d'investissement, quitte à écraser momentanément les revenus des ménages, en pariant qu'à terme, la croissance finira par rétablir le pouvoir d'achat. Mais le gouvernement Sellal n'a pas pour tâche de prévoir sur le long terme. Il est juste chargé de rassurer, de maintenir la paix sociale, avec une pensée secrète : le prix du pétrole se rétablira avant l'épuisement des réserves de change.

EN ATTENDANT «BELLAHMAR»

Fort de cette nouvelle théorie économique, basée sur la prière pour que le prix du pétrole remonte, le gouvernement peut s'installer dans une situation d'attente. Il limite son rôle à celui de pompier : éteindre une émeute avec un peu d'argent, distribuer de la rente pour atténuer les effets trop violents d'une pénurie, maintenir un flux minimum d'importations pour s'assurer que l'approvisionnement du marché ne connaisse pas de dérive grave. Si, avec tous cela, le gouvernement réussit à contracter un peu les importations pour réduire le déficit de la balance de paiements, ce sera un bonus. Et là, les choses sont faciles. Il suffit de laisser glisser le dinar pour que les importations subissent un surenchérissement en douceur, quitte à supporter une inflation imprévue. C'est ce que fait la Banque d'Algérie, avec un dinar qui a perdu près de 20% de sa valeur face aux principales monnaies.

Ce tableau de la rentrée sociale 2015 est-il si différent de celui de l'année précédente ? Non. Le pays est dans le même schéma. A peine si la baisse des revenus extérieurs, amorcée il y a un an, s'est confirmée aujourd'hui. Mais sur une question fondamentale, le pays n'a pas changé. Il continue à croire que la crise est liée à la baisse des revenus extérieurs, alors qu'elle est liée à l'organisation générale de l'économie. Et quand on fait un diagnostic erroné, il est exclu d'apporter le bon remède. D'où le retour aux incantations, et aux « Bellahmar » de l'économie, dont la politique est basée sur la prière pour que le prix du pétrole se redresse.