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Sahara occidental et Grand Maghreb : Le choc des utopies

par Zarrougui Abdelhak

Réagissant aux contributions publiées sur vos colonnes le 24 et 26 du mois en cours, je me permets d'énoncer quelques réflexions par rapport au sujet débattu. Les deux articles expriment deux positions au sein de l'opinion publique algérienne à savoir la croyance, car c'en est une, en le Grand Maghreb et l'importance du soutien à la lutte pour l'indépendance du peuple sahraoui. Ces deux positions se trouvent souvent associées. L'auteur du premier article, tout en déplorant que le « colis piégé » du conflit du Sahara occidental sera « légué aux futures générations maghrébines », prône la constitution salvatrice d'une union réelle entre les pays de la région.

LA PANACEE DU GRAND MAGHREB

L'aboutissement de ce projet entraînerait, selon l'auteur de la contribution, ipso facto le règlement de la question sahraouie. Recourant à la comparaison, il évoque le cas basque en Espagne et lie l'intégration de ce pays à l'Union européenne à l'abord du dossier conflictuel « sous un angle différent et moins « passionnel » ». Selon l'intervenant, l'organisation basque ETA a changé de stratégie suite à l'appartenance de l'Espagne à l'Europe. Une assertion loin de la réalité, car les raisons de ce revirement sont intrinsèques aussi bien à ETA qu'à l'Etat espagnol. L'organisation a annoncé, en octobre 2011, l'abandon définitif de la lutte armée et a promis, ce dernier juin, son auto-dissolution. Ceci est dû en premier lieu au mouvement des pacifistes basques qui désavouait, depuis 2001, l'action jugée inefficace des nationalistes armés. Aucun rapport avec Bruxelles n'est à évoquer dans le changement de cap du côté basque. La politique régionaliste espagnole y est pour beaucoup dans l'amélioration du paysage politique avec l'ensemble des minorités du pays. L'auteur passe ensuite à l'éloge de la construction de l'UMA. Pour lui, la formation d'une identité-mère ferait en sorte que « ces maudites frontières, objets de nos querelles incessantes et de nos soucis permanents, seront tout bonnement «gonflées», poussées vers l'extérieur du périmètre du Grand Maghreb ». L'auteur déplore l'échec des « antérieures tentatives d'unification » au sein du monde arabe et en donne les causes. Il invoque comme modèle de réussite l'Union européenne. Au-delà du fait que le projet européen tend à se transformer en une géante machine bureaucratique ne répondant pas aux aspirations démocratiques des peuples de l'union, il est utile de préciser qu'au sein de cette entité aucun pays n'accuse un autre de le déstabiliser. C'est le cas, hélas, dans le couple algéro-marocain. Le différend entre les deux pays touche à l'intégrité territoriale de l'un d'entre eux et non à des intérêts d'ordre secondaire. Le problème est si profond que toute comparaison avec d'autres cas à travers le monde devient insensée. Le Maroc accuse l'Algérie d'entretenir un groupe séparatiste et de prendre des citoyens marocains en otage dans les camps à Tindouf. Rien de moins !

UN MAGHREB A SIX !

Aucun pays ne se conçoit faisant partie d'une union avec une partie de lui en moins. Ce que semble négliger l'avocat sahraoui, auteur du deuxième article. Pour lui, « l'Union du Maghreb arabe se bâtira à six ». Il est dur, du moins pour moi, d'imaginer le roi chérifien sourire à côté du premier président de la République arabe sahraouie démocratique ?L'intervenant, comme celui à qui il a réagi, ne manque pas d'évoquer les exemples européens et celui du Conseil de coopération des pays du Golfe où « les grands pays sont appelés à respecter ceux de moindre importance par rapport à leur démographie ». L'assertion est pertinente s'il parle de la Tunisie qui reste, jusqu'à nouvel ordre, le plus petit du Maghreb. Car la RASD reste toujours une utopie comme, bien entendu, le Grand Maghreb. Dans une phrase pleine d'esprit, l'auteur décrète que l'indépendance du Sahara occidental « contribuera certainement au parachèvement de l'édification d'un Maghreb arabe fort »? Entre ces deux chimères, l'Algérie se trimballe. Entre ces deux projets « en construction qui s'éternise », l'Algérie se trouve broyée. L'implication de notre pays dans le conflit du Sahara occidental est un héritage direct de la guerre froide. Toute respectueuse des droits des peuples à disposer d'eux-mêmes, toute solidaire avec la volonté des peuples qui s'estiment colonisés, l'Algérie n'a pas à être plus sahraouie que les Sahraouis. Il importe de rappeler, comme l'a bien fait l'avocat sahraoui, que la question du Sahara occidental relève du champ d'application de la résolution 1514 (XV) portant ?'Déclaration d'octroi de l'indépendance aux peuples et pays coloniaux'', c'est-à-dire de la responsabilité directe de l'ONU. Cet organisme mondial a pour obligation, conformément à sa charte, « de mener à son terme le processus de décolonisation de ce territoire ». Entre-temps, quid des relations algéro-marocaines ? Faut-il s'accrocher à cette double utopie et perdre de vue ce qui est concret, à savoir l'existence de deux Etats voisins ? Il ne s'agit point de parler d'une normalisation urgente ni d'une ouverture impérative des frontières. L'objectif va plutôt dans le sens d'une prise de conscience des intérêts propres de l'Algérie loin des considérations volontaristes. La raison d'Etat impose l'étude froide et objective de nos besoins et de notre intérêt. La décision importe moins que ses motivations. Pacifique ou belliqueuse, l'attitude de l'Algérie doit servir ses intérêts et non ses convictions.