Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Accord d'association avec l'UE : Les reproches d'Alger

par Ghania Oukazi

Le gouvernement vient de rappeler, encore une fois, à l'Union européenne qu'elle a failli à ses engagements, envers l'Algérie, conformément à l'accord d'association qui lie les deux parties depuis 2005, date de son entrée en vigueur.

C'est le ministre du Commerce, fraîchement installé, qui s'est chargé de faire parvenir à l'Union européenne (UE), des reproches officiels sous forme d'un véritable rappel à l'ordre. Bakhti Belaïb a, en effet, reçu mardi au siège de son ministère, l'ambassadeur de l'UE en poste à Alger. Belaïb s'est entretenu, pendant plus d'une heure, avec Marek Skolil, un temps suffisant pour rappeler au premier représentant de l'UE, à Alger que « les choses n'évoluent, toujours pas selon ce que prévoit l'accord d'association, paraphé entre l'Algérie et l'UE, en décembre 2001 à Bruxelles. » L'Algérie n'est pas à sa première bouderie vis-à-vis de l'UE. L'une des premières grosses tirades officielles, dans ce sens, a été exprimée, publiquement, par Abdelaziz Belkhadem, alors ministre des Affaires étrangères.

Pourtant, à l'entrée en vigueur de cet accord, ce responsable a généreusement plaidé son efficacité pour l'Economie algérienne, une fois que toutes ses dispositions devaient être mises en œuvre. Il est clair que des voix contradictoires ont commencé à se faire entendre, dès sa signature, en raison de l'évidence de son déséquilibre, en matière d'échanges et de déficit de la balance commerciale qui allaient, inévitablement, s'afficher en défaveur de l'Algérie, dès les premières phases de son application. Celle du patronat privé national en a été une et parfois très bruyante.

Mais l'on reproche à ses hommes d'affaires de n'avoir réagi qu'après coup, alors qu'ils étaient «mis au parfum» au fur et à mesure que sa négociation avançait. Mais tous les contradicteurs avaient compris, en 2001, que les décideurs ont voulu que le politique prime sur l'économique, au grand risque de faire laisser des plumes au pays.

C'est ainsi que dès sa prise de fonction, en tant que président de la République, Bouteflika avait tenu, à vite, parapher l'accord en question sans considérer les inquiétudes qu'il avait suscité, avant même que sa négociation n'aboutisse.

Depuis l'établissement de cette «alliance» entre l'Algérie et l'Union européenne, c'est une relation en dents de scie qui en a découlé. Les deux parties soufflent, très souvent, le chaud et le froid, à chaque fois que l'une ou l'autre sent qu'elle se fait flouée. Une relation dont la stabilité et l'épanouissement ne sont pas garantis, tant que l'accord d'association continue de profiter aux seuls pays membres de l'UE.

Ancien locataire du ministère du Commerce, donc bien au fait des maigres résultats de cet accord sur le secteur en particulier et sur l'Economie nationale en général, Belaïb a, sans aucun doute, rappelé à l'ambassadeur européen que l'UE a failli à son engagement « d'apporter une assistance technique et un soutien politique à l'Algérie. »

Les engagements, toujours, non honorés de l'Europe

ourtant promis par l'UE, l'expertise, la compétence, le transfert de connaissances et de technologies n'ont jamais été donnés à l'Algérie, au rythme et surtout avec les moyens qu'il faut. « Rien que les désastreuses conséquences du démantèlement tarifaire à elles seules, doivent obliger les gouvernants algériens à suspendre l'accord pour en revoir les dispositions ou alors attendre que ses retombées, qualifiées de positives par la Communauté européenne et ses Etats membres, soient concrètement pesées au niveau des différents segments économiques, » nous dit un cadre du secteur du Commerce. « Si on continue sur ce rythme, et comme tout le monde sait que ce démantèlement sera global et définitif d'ici à 2020, les quelques avancées de l'Economie nationale seront réduites à néant, » nous dit un autre responsable. Le déséquilibre de la balance commerciale continue d'être flagrant. Mis à part les hydrocarbures, l'Algérie n'exporte vers l'Europe que des broutilles alors que les pays membres de l'UE inondent le marché local (à hauteur de 80%) en produits de tous genres et de toutes gammes. En parallèle, l'UE ne se gène pas d'exiger de l'Algérie la levée des subventions sur les carburants mais surtout sur le gaz utilisé dans les industries locales. L'UE ne déploie, non plus, aucun effort pour permettre à l'Algérie de bénéficier de ses IDE. Ce constat « désastreux » selon des responsables, laisse l'Algérie sceptique quant à sa coopération avec l'UE. «L'Algérie est un acteur énergétique et politique important pour l'UE sans compter l'importance de son marché, c'est donc un partenaire stratégique pour l'Europe, soutiennent les Européens, mais il faut que ces caractéristiques apparaissent dans nos relations avec l'Europe, » expliquent nos interlocuteurs. «C'est loin d'être le cas, » affirment-ils.

La dimension humaine, une exigence de l'Algérie

Pour les Européens qui pensent que «les Algériens n'ont pas réussi à relancer leur économie, le tort leur incombe,» les responsables algériens répondent « ça ne peut se faire, du jour au lendemain, l'accord d'association n'a pas apporté l'aide promise et qu'il faut, dans ce sens, que les Européens mettent de l'argent, investissent, participent à la modernisation de nos infrastructures, notre coopération exige un accompagnement européen soutenu à notre économie pour qu'elle puisse se diversifier, s'industrialiser et se moderniser. »

L'Algérie revendique, en même temps, « la consécration de la dimension humaine » dans ses rapports avec l'UE. En ces temps où le déferlement des migrants clandestins ébranle les piliers des droits de l'Homme de l'Europe, l'Algérie continue de soutenir que le respect de la clause «libre circulation des personnes» contenue dans l'accord d'association peut, grandement, aider à atténuer de l'ampleur de ce phénomène. «Permettre et faciliter ce qu'ils appellent mobilité et que nous, nous appelons libre circulation des personnes, est la meilleure solution pour lutter contre l'émigration cland'intensification de l'intégration économique, d'amélioration de la mobilité et de renforcement des contacts entre les peuples des deux rives afin soutiennent-ils de promouvoir la prospérité, la stabilité et la sécurité de leurs frontières,» rappellent-ils. C'est l'esprit même de la PEV (Politique européenne de voisinage) qui prévoit, en plus des accords de coopération et de commerce, « un engagement mutuel, en faveur de valeurs communes, comme la démocratie, les droits de l'Homme, l'Etat de droit, la bonne gouvernance, les principes de l'économie de marché? » Aux Européens qui insistent, cependant, auprès de l'Algérie pour qu'elle accepte, rapidement, le plan d'action qu'elle négocie, depuis quelque temps avec l'UE, dans le cadre de la PEV, nos interlocuteurs estiment que « cette politique est certes audacieuse mais avant, il faut en peser les pertes et les profits, il faut d'abord qu'il y ait un rattrapage du gap énorme que l'Algérie accuse dans tous les domaines d'échanges avec l'Europe. » L'équilibre des intérêts est avancé comme « enjeu » dans la redéfinition de la relation Algérie-UE. «C'est ce qui nous ramène vers les insuffisances de l'accord d'association et le non respect, par l'Europe, de ses engagements envers l'Algérie, » notent nos sources. Et ce qui rappelle inévitablement l'OMC dont les négociations avec l'Algérie sont loin d'être au point. Le ministre du Commerce a, dès son installation en tant que tel, fait savoir que l'adhésion de l'Algérie à l'OMC n'est pas une fin en soi. « Attendons de voir comment rétablir l'ordre, dans notre économie, en particulier dans notre industrie et notre commerce pour aller à l'OMC, ce n'est pas une urgence, » soutiennent des cadres du secteur.