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La confiance ne se décrète pas

par Mohamed Mebtoul

Simmel, le sociologue allemand, avait montré que toute société définie par les interactions entre les individus, ne peut prétendre se constituer en tant que telle, que si la confiance, entre ses membres existe.

Dans l'enquête, menée sous la direction de Djabi (2015), 75% des Algériens ne se font pas confiance. C'est un chiffre important. La défiance se traduit par l'instauration de rapports tendus, conflictuels, opaques, dominés par des non-dits et la peur de l'étiquetage négatif (« Que dira-t-on sur moi »). La confiance ne peut pas exister dans la société quand ses propres membres évoquent ses immoralités, ses tensions, ses multiples stress, ses indifférences, ses perversions, ses rapines et sa saleté, etc.

La déchirure entre le dehors représenté par l'espace dit « public » ou l'environnement social perçu dans sa négativité, tout en « s'autorisant » à l'agresser, à le transgresser, à le déjouer, s'octroyant, par la force ou par la ruse, des espaces collectifs, et le dedans que sont les espaces domestiques ou intimes réappropriés, activement, par la majorité des membres d'une société, est symptomatique d'une crise relevant, en grande partie, du politique. C'est, en effet, les acteurs politiques qui configurent la société, marquent de leurs empreintes le tissu social et culturel. Ils sont les premiers responsables des politiques publiques ou plutôt, pour être plus précis, des secteurs administrés, parce qu'on a, précisément, du mal à saisir les différents caps proposés à la société, en dehors des dépenses publiques. On le voit bien.

La société n'est pas une entité abstraite qui s'autorégule d'elle-même, comme une machine automatique. Elle est fabriquée, façonnée, travaillée par un régime politique conduit à imposer des types de rapports avec les personnes qui composent la société, d'autant plus que les contre-pouvoirs sont très fragiles et peu-reconnus. La confiance-défiance gît, précisément, dans les types de relations de pouvoir.

La confiance ne se décrète pas. Elle ne s'achète pas. Elle n'est pas une marchandise ou un produit qu'il suffit d'importer grâce à l'argent du pétrole. La confiance n'est pas, non plus, idéologique, où il suffirait de demander aux acteurs de la société, de croire spontanément aux «vérités» émises par le pouvoir. « Venez déposer votre argent dans nos banques. Nous n'exigerons pas sa provenance. L'essentiel est de nous faire confiance ».

Nos technocrates sont aveugles pour ne pas comprendre que l'informel se nourrit et se renforce de l'informel parce que, précisément, la confiance ne se réduit pas à un mot d'ordre, suivi de la publication d'un décret pour que, soudainement, la confiance soit de retour. On oublie que nous sommes dans une société qui a, profondément, intériorisé le secret, le contournement et la ruse, autant de critères antinomiques avec la confiance. La confiance implique, en effet, que les règles du jeu soient transparentes, discutées et respectées par les différents protagonistes. On en est loin. Le système socio-politique est plus de l'ordre de la volatilité, de la flexibilité au profit des plus forts, ceux qui ont « les épaules larges ». Dans ces conditions socio-politiques, le fonctionnement des institutions sociales est fortement soumis à des pressions et à des injonctions volontaristes qui laissent peu de place à la mise en place de rapports sereins, empreints de confiance, entre ses différents agents. Quand la confiance fait défaut en l'absence d'un Etat de droit détenteur d'un pouvoir de régulation des rapports sociaux, les violences, le désenchantement, l'indifférence et le retrait des personnes, prennent le pas sur les conflits porteurs de changements parce qu'ils permettent de débattre, de remettre en question, de façon argumentée et autonome, certaines décisions. Contrairement, aux idées reçues, les conflits portant sur des problèmes réels sont nécessaires dans une société qui aspire à la créativité et à la multiplication de projets novateurs.

L'agir communicationnel évoqué par le philosophe allemand Habermas est, pourtant, décisif dans la construction d'un espace dit public. Nous ne sommes, malheureusement, pas, encore, sortis de la fiction politique qui se caractérise par un paternalisme dépassé, s'agrippant avec acharnement, sans tenir compte des avis pluriels, aux décisions prises dans une logique de fermeture. La confiance ne peut être, profondément, instaurée dans une société que par l'existence des espaces de contestation et de liberté. Dans le cas contraire, on continuera à se lamenter dans les seuls espaces de socialisation que sont les cafés !