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Droits de l'homme : Mitterrand, Zabana, Mohamed Dora et Ali Dawabcha

par Lalibi Brahim

L'assemblée générale des Nations unies a réaffirmé le 18 décembre 2014, pour la cinquième fois depuis 2007, la résolution : «Moratoire sur l'application de la peine de mort».

Elle a rajouté un paragraphe concernant la protection des droits des étrangers passibles de la peine de morts, en particulier leur droit à recevoir une aide consulaire (ce paragraphe comme vous pouvez le constater a été introduit par les Occidentaux, dont plusieurs de leurs ressortissants sont passibles de la peine de mort, pour des affaires de drogue, de pédophilie et autres?).

1200 Français condamnés à l'étranger. «Nous faisons valoir le fait que la peine de mort est, pour nous, attentatoire au respect du droit humain», répètent avec insistance les Français. Bien sûr, les Touaregs du Mali ont été magistralement épargnés par cet élan d'humanisme!.

Le cas du Français Jean-Marc Thivind est éloquent de cette approche sélective, lugubre et absurde de la mort. Condamné en 2007 pour le meurtre d'un ressortissant allemand, incarcéré en France pour trafic d'héroïne aussi, l'homme s'était en effet évadé de prison dans des circonstances rocambolesques. Le juge lui avait accordé une permission d'un jour pour se rendre au chevet de son père mourant. Il avait profité de cette opportunité pour prendre la fuite en Thaïlande où il commettra encore un autre crime en assassinant un homme. Sa condamnation à mort est en instance d'exécution.

Entre l'indifférence affichée envers Mohamed Dorra, cet enfant palestinien assassiné, en direct, dans les bras de son père qui essayait de le couvrir en suppliant les bourreaux de la Tsahal de ne pas tirer-une scène affligeante et bouleversante. C'était hier. Et dans la même démarche cynique et monstrueuse aujourd'hui, Israël persiste et signe en nous faisant découvrir en direct un four crématoire 2015, où un bébé de 18 mois, Ali Saad Dawabcha, a péri, brûlé vif par un feu provoqué par des colons. Et entre le cas du criminel Jean-Marc Thivind, les associations pour l'abolition de la peine de mort avaient rapidement pris la défense de ce meurtrier. Tous les médias français ont pris le relais, et notre presse par suivisme, plutôt par complaisance s'est jointe à ce combat injustifié et mal fondé.

Notre presse, si prompte à réagir aux soubresauts et au moindre réflexe parkinsonien du monde occidental, pour faire bonne figure et pour ne pas être en déphasage sur ces phénomènes de mode, ouvre ces colonnes régulièrement à ces débats d'outre Méditerranée, sans objections, ni discernement, ni rappels à ces pays qui appliquent la peine de mort d'une façon systématique par «drones interposés» là où la pitié des bourreaux consiste à frapper, à distance, un cortège nuptial au Pakistan, d'un seul coup sûr.

La presse brésilienne, suédoise, chinoise et russe, à l'affût des contradictions de ce monde, pose les problèmes de la peine de mort sous un autre prisme : elles jugent qu'elle est indissociable de la mort infligée à des milliers de personnes sans défense, une mort inscrite dans des guerres soigneusement programmées, à mille lieux, d'une guillotine généralisée et planifiée, causant cet étripage et ces hécatombes, dans un silence complice que seuls les cimetières de Tombouctou, de Ghaza, de Lagos et de Bangui apprécient.

Certes, le principe du droit à la vie est un idéal que l'humanité entière doit y contribuer. Mais si les condamnés à mort ont eu, de tout temps, un dispositif d'avocats pour les défendre et une mécanique d'associations pour démonter les actes répréhensibles dont ils font objet, les «autres», «les damnés de la terre» (selon Frantz Fanon ou Taha Hussein) du Burundi, de Centrafrique, du Yémen et de l'Irak, n'auront pas cette aubaine, seule l'histoire se chargera un jour de les innocenter. Mais tant que les vainqueurs écriront, comme d'habitude, l'histoire, les vaincus pourront dormir paisiblement dans leurs fosses communes jusqu'au jour du «dernier jugement».

En réalité la pensée occidentale souffre d'une dualité historique, l'horloge du temps réglée uniquement sur «le profit» ne lui a pas permis de faire l'effort moral nécessaire pour dépasser ce conflit latent et cette discordance entre ses idéaux humains affichés et sa suprématie matérielle. André Malraux l'avait bien analysée à l'époque. Aujourd'hui même, c'est la bourse qui fait obstacle à toute tentative de réappropriation de l'histoire. Elle modèle les conceptions, dresse les agendas et détermine les objectifs des nations. Entre le cri spirituel, vertueux et humain de l'abbé Pierre en cet hiver 1954 et le sursaut pour plus de justice, aujourd'hui, de la gauche grecque, on trouve cette même causalité et cette corrélation morale rompue, face à un ordre cruel, étroit et impitoyable.

Dans cette même optique, Robert Badinter, ministre de la justice dans le gouvernement Mitterrand, qui s'est battu avec une rare pugnacité et un grand sens de la persuasion, pour qu'enfin la peine de mort soit abolie en France. Mais ce grand ministre, au-delà de ses origines cachées -ce fut une époque- et affichées avec dédain et arrogance aujourd'hui, n'a pas été inspiré par la même ferveur, ni par ses habituelles envolées lyriques pour défendre les opprimés des temps modernes contre les crimes commis par ses frères de sang à Gaza. Aucune réprobation, aucune condamnation, même pas un reproche de M. Badinter, de cet «universaliste», concernant les 300 enfants palestiniens de moins de 12 ans emprisonnés à Israël. J'ouvre cette parenthèse, le fait mérite d'être raconté. Le 26 nov. dernier, Nihal Ghanam Ghawadra, la mère de Balqis et Baraa, originaire de village palestinien de Bir el Bashaa, s'est rendue avec ses 2 enfants à la prison israélienne de Bir Sabaa pour rendre visite à leur père emprisonné. Mais la visite ne s'est pas déroulée comme prévu. Dès son arrivée, la petite famille a été séparée, les 2 enfants ont été privés de leur mère qui a été accusée d'avoir tenté d'introduire un portable pour son mari. Le petit Balqis de 9 mois et sa sœur Baraa de 2 ans se sont retrouvés ainsi séparés de leur mère et mis dans une cellule spéciale de la prison. Ils n'ont jamais pu revoir leur mère ! Acte, comme tant d'autres, ignoble, terrifiant et cruel...La presse occidentale n'a pas relaté les faits et M. Badinter qui était en visite Tel-Aviv, au moment, n'a pas osé lever les yeux sous ses sourcils touffus.

En février 1956, pour sa onzième participation à un gouvernement, Mitterrand, ministre de l'Intérieur lors du déclenchement du 1er Novembre, est nommé ministre de la Justice de Guy Mollet. Numéro 2 du gouvernement, en 16 mois de son règne, la guillotine a été actionnée 45 fois, ce nombre révèle la haine qui habitait son cœur. Avec une détermination intraitable et une autorité de bronze, il opposait sa signature de rejet de toutes les demandes de grâce qui lui étaient présentées. Zabana fut exécuté le 19 mars 1956 (pour corriger cette erreur, le premier condamné à mort à Serkadji fut Baadeche Mohamed de Boussaâda). Mitterrand n'avait pas réussi à dompter sa violence obscure et dissimulée, mais il faisait semblant de ne pas l'être. Il était prisonnier de cette supériorité de race décrite par Ernest Renan envers les peuples soumis. L'inégalité des races était enracinée dans son subconscient. Pour d'autres, l'homme a évolué, la preuve c'est qu'il avait aboli la peine de mort en 1981. Ils oublient que peu de temps après, en 1982, et sur sa décision, il imposa l'amnistie en faveur des généraux putschistes d'Alger, contre l'avis de tout le monde. En réalité il avait aboli la peine de mort pour se racheter et se libérer de la hantise d'un sentiment de culpabilité qui le poursuivait comme l'œil de Caïn.

Beaucoup reste à dire sur le silence complice de la gauche, sur son implication dans la guerre d'Algérie et surtout sur son implacable et impitoyable répression. C'est des vérités qui brûlent les lèvres. Entre Zabana et le bébé Ali Saad Dawabcha, la guillotine, sous toutes ses formes macabres, a coupé le souffle à un nombre effrayant d'hommes, Algériens, Palestiniens et autres. Les bourreaux, eux aussi, n'ont pas eu le temps de respirer.

Inadmissible, cette forme d' «apartheid de la mort», car une seule mort injustifiée et tolérée suffit à remettre en cause le principe même de la vie.