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Santé : A la recherche du bon remède

par Ghania Oukazi

«Les problèmes de gestion des hôpitaux n'impliquent pas le personnel médical parce qu'ils ne gèrent rien du tout,» affirme le Professeur Mustapha Khiati, chef de service pédiatrie à l'hôpital de Belfort.

Le piteux état du service de gynécologie du CHU de Constantine, filmé il y a plusieurs jours par la télévision publique, n'a laissé personne indifférent même après que des sanctions soient tombées. «Tamakhadha el jabal faoualada faâr (la montagne qui accouche d'une souris), » s'insurgent des patients. Pour sanction, il y a eu limogeage du chef de ce service par le ministère de la Santé après que les «enquêteurs » aient transmis leurs rapports au ministre. L'on nous explique du côté des cadres de la tutelle que «c'est la seule sanction qui peut être prononcée, il est impossible d'aller plus loin, par exemple radier ce responsable du corps médical parce que son grade de professeur, personne ne peut le toucher y compris les plus hautes autorités du pays, mais sa fonction de chef de service peut lui être enlevée par la hiérarchie et c'est ce qui a été fait. » Enseignants, chercheurs et chefs de services, les hospitalo-universitaires dépendent de deux tutelles, la santé et l'enseignement supérieur et la recherche scientifique. «Ils ont un salaire de l'enseignement et des indemnités de la santé, l'on a pensé inverser les choses pour que la santé puisse avoir les coudées franches mais ça ne sert rien, parce que les directeurs de santé sont tous du même grade qu'eux, c'est-à-dire professeurs ; ils protègent les confrères défaillants, ce sont les mauvaises habitudes du secteur, » nous disent des responsables universitaires. « Le problème est strictement de gestion et non pédagogique, les chefs de service sont des nababs, ils font ce qu'ils veulent quand ils veulent, les directeurs des hôpitaux n'y peuvent rien devant leur inconscience et leur laisser-aller, ils ne peuvent même pas leur reprocher de quitter leurs services tôt pour aller travailler dans les cliniques privées, c'est un véritable scandale !» s'insurgent d'autres. «Faux !» s'exclame le Professeur Khiati qui nous explique que les problèmes sont criants dans le secteur de la santé. «Chez nous à l'hôpital d'El Harrach, nous travaillons dans des conditions déplorables, chaque fois qu'il pleut, nous avons des inondations, il y a des infiltrations dans le service chirurgie, pour toute solution, ils ont fermé les toilettes, nous sommes depuis sans...,» dit-il. Le chef de service Pédiatrie à l'hôpital Hassan Badii de Belfort (un hôpital de santé publique) nous fait savoir aussi que «nous n'avons pas de bandelettes, on ne peut calculer le taux de sucre, nous en avons informé le DDS qui nous a répondu que «c'est les vacances, les gens sont en congé, il faut attendre.» Pour rappel, toutes les pharmacies du pays se plaignent de ruptures de stocks de plusieurs médicaments depuis plus de deux mois sans qu'aucune autorité ne trouve à redire. L'on défie des responsables de trouver du Stagid 700 ou de Loxen sur le marché, pour ne citer que ces deux médicaments.

PLAIDOYER POUR UN SYSTEME D'EVALUATION

Pr. Khiati estime ainsi que « ce sont des problèmes de gestion qui n'impliquent pas le personnel médical, on ne gère rien du tout, le chef de service n'a que son stylo ! » Maître Farouk Ksentini n'a pas répondu à nos appels mais le professeur Khiati nous affirme que « le rapport 2014 sur la santé est catastrophique. » Les problèmes sont donc recensés, identifiés et connus mais restent sans solutions. « Il faut qu'il y ait communication entre les responsables au ministère et ceux des hôpitaux, » revendique Khiati. Il s'étonne d'ailleurs : « comment aucun nouvel hôpital n'a été crée à El Harrach alors que c'est une région qui s'est étendue depuis quelques années sur plusieurs autres localités pour regrouper 1,5 million d'habitants alors que nos moyens de santé sont très limités.» Il fait savoir que « nous recevons 250 à 300 enfants par jour, c'est deux à trois fois les urgences des hôpitaux ailleurs. » En plus, dit-il, « les CHU ont deux fois le budget que nous avons alors que nous avons le même grade, nous faisons un travail important avec peu de moyens. » Pr. Khiati préconise la signature de conventions avec la CNAS pour débloquer des budgets aux hôpitaux « en fonction de leur activité, c'est ça le cœur des réformes. » Il appelle aussi à la mise en place d'un système d'évaluation des services et leur classement annuel en fonction de leurs activités. Il déplore le fait que « ça n'a jamais été fait alors que la demande d'une convention a été exprimée depuis longtemps mais on continue à accorder des budgets forfaitaires, le ministère donne ce qu'il veut à qui il veut. »

Constantine n'est pas seule à avoir un CHU pourri, selon Khiati. «La maternité de l'hôpital d'El Harrach fait 13 000 accouchements, on trouve fréquemment 2 à 3 parturientes dans un même lit, ce n'est pas nouveau, Sétif, c'est la même chose et bien d'autres villes, » affirme-t-il. C'est à son sens « un problème d'organisation.» Quid du temps complémentaire ? «Les hospitalo-universitaires y sont autorisés par la loi depuis 15 ans, il y a la loi qu'il faut appliquer dans toute sa rigueur et une légion d'inspecteurs qui doivent contrôler et appréhender les fraudeurs,» dit-il.

«IL Y A DES FAUTES IMPARDONNABLES»

C'est après avoir avancé ces arguments que Pr. Khiati interroge : « qu'est-ce qu'on a reproché au responsable du service gynécologie du CHU de Constantine pour le limoger ? Sur les trois étages qu'il avait, deux lui ont été supprimés et il travaillait sur un seul étage, l'acte de fermer le service dans ce cas était le plus facile à faire mais ça aurait été jugé comme une non assistance à personne en danger, le limoger ne pouvait se faire qu'après réunion de la commission des pairs et celle de discipline, son limogeage par le ministère est une décision administrative, ce qui est illégale vis-à-vis de la loi. » Si les deux commissions s'étaient réunies et avaient conclues à de la négligence, selon lui, « le ministère pouvait déposer plainte auprès de la justice. »

Le Professeur Nacer Djidjeli, chef de service chirurgie infantile à l'hôpital de Belfort et aussi président du syndicat national des enseignants-chercheurs et hospitalo-universitaires (SNECHU) reconnaît pour sa part qu' «il y a des fautes inexcusables, impardonnables de la part de certains chefs de service », mais conforte Pr Khiati dans ses jugements et affirme lui aussi qu' «il y a des collègues qui travaillent dans des conditions exécrables et font ce qu'ils peuvent. » Pr. Djidjeli précise «que ce soit très clair, on n'est pas contre le fait de sanctionner quelqu'un qui a failli à sa mission, les textes sont clairs et les tâches explicitement codifiées, il y a donc une procédure à suivre ; la loi prévoit que quand un hospitalo-universitaire commet une faute sensée être très grave, on peut passer par une mesure conservatoire qui est sa suspension jusqu'à ce que les commissions paritaires et de discipline se réunissent et tranchent, ça ne peut pas être autrement ; après ça, il y a le tribunal et la possibilité de dépôt de plainte, les textes sont clairs, sinon, il faut les changer, notre but est que soient évités l'impunité et le dépassement.» Recoupements avec les propos de Khiati, Djidjeli affirme qu'à l'hôpital de Belfort « on a trois personnes par lit, à Mustapha, 3 à 4, ce n'est pas nouveau. » Son exemple le plus concret « le service de chirurgie pédiatrique que je gère est fermé depuis trois semaines parce que je n'ai plus de médecin anesthésiste et le service risque de s'écrouler sur ma tête, c'est dire que le secteur de la santé couve de gros problèmes ». Il est persuadé que «si les problèmes persistent, c'est parce que les responsables n'ont pas le courage politique de les régler, c'est exactement ce qui se passe pour les carburants, on se demande pourquoi le prix subventionné profite en même temps aux riches et aux pauvres, ils n'ont pas le courage d'agir et de prendre des décisions politiques fermes et tranchantes».

APPEL A UNE MEDECINE PAYANTE

Pour lui, « il est insensé que le ministre de la Santé dise qu'on n'a pas de problèmes de financements, il sait que l'Algérie dépense 300 dollars par tête d'habitant pour les frais de santé alors que la France en dépense 6000, le Canada 8000 et les Etats-Unis 11 000. » Il interroge alors « comment voulez-vous laisser croire à la population qu'elle peut avoir des conditions de soins respectables avec 300 dollars ? »

Pr. Djidjeli refuse que soit pointé du doigt le temps complémentaire. «Il faut avouer en premier que ceux qui en profitent plus que les hospitalo-universitaires, ce sont les confrères de santé publique, en plus, en condamner le recours, je pense que ce sont des positions idéologiques et non pragmatiques ; il faut le démystifier, la majorité des pays l'ont, la France l'applique à l'intérieur même des services. » Pour lui « c'est à l'administration d'imposer la réglementation et sanctionner les fraudeurs. » Djidjeli défend le principe du temps complémentaire parce que, dit-il, « avec 3 sous à l'hôpital, 3 gardes par semaines, il est normal qu'un professeur aille travailler chez le privé pour gagner 100 fois plus avec 100 fois moins de problèmes. » Il est convaincu, lui comme Khiati, qu'il faut conditionner «le temps complémentaire par rapport à l'activité du service ; on doit démarrer l'évaluation des services, qui n'a jamais été faite, voir si les chefs de service remplissent leur cahier des charges et sont performants. » Il est convaincu que « lier l'activité complémentaire et celle lucrative (la première est permise un jour ouvrable par semaine et la seconde les week-ends et jours fériés) à l'évaluation des services est impératif, ces activités sont une émulation pour les gens. »      Il appelle en parallèle, à ce que « les directeurs des hôpitaux aient les moyens de travailler, pour l'instant, ils ne peuvent prendre aucune décision, si ce n'est pas la centrale qui le leur permet, ils ne peuvent recruter personne, même pas une femme de ménage, n'ont aucune autonomie, ce sont juste des gratte-papiers. » Il recommande « une autonomie, une décentralisation des structures de santé et de la gestion, qu'elles aient de la souplesse après évaluation ».

Pr. Djidjeli pense en définitif qu' « il faut aller vers une médecine payante, la médecine gratuite a été très bien pendant un certain temps, mais depuis des années, elle profite beaucoup plus aux riches, c'est comme les subventions, c'est de l'injustice.» Le principe fondamental de l'équité et de la justice pour lui est que «le démuni soit pris en charge par l'Etat et la solidarité nationale».