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La langue maternelle dans l'éducation, un phénomène universel propre à l'apprentissage de toutes les langues, non pas seulement l'arabe classique

par Hakem Bachir*

Très souvent, quand on traite les problèmes de l'enseignement, on pense plus à la pédagogie, aux programmes, aux enseignants et aux valeurs socioculturelles. Or malheureusement, beaucoup de causes de l'échec de notre système éducatif sont liées à des pathologies sociales et psychosociologiques de la société algérienne.

Ces causes sont retrouvées également dans d'autres pays maghrébins et dans presque toutes les sociétés arabo-musulmanes. Face à des problèmes graves nécessitant des solutions pragmatiques et urgentes, on passe beaucoup de temps à parler d'idéaux virtuels et à nous battre avec des complexes chroniques : L'arabité, la religion, le colonisateur et le colonialisme (on a l'impression qu'il n'y a que les pays arabes qui ont été colonisés dans le monde ! ?). Ces débiles mentaux veulent nous rendre des illettrés comme ils le sont, ils veulent dicter leur loi et leur seul moyen, c'est d'arrêter la modernité et le progrès à tous les stades. Lorsqu'on veut sortir de ce trou noir où ils nous ont mis depuis les années 80 et que l'on veut sortir de cette crise mondiale de la langue par exemple que l'Unesco, après plusieurs études de grands savants et pédagogues, a recommandé à tous les peuples, qu'ils soient d'Afrique ou d'Europe ou d'Asie ou d'Amérique, d'utiliser la langue maternelle pour mieux maîtriser la langue officielle, voilà que de nouveau on utilise la politique et la religion pour arrêter toute évolution. Je dirais à ces parlementaires de ne pas utiliser leur position car sur ce point ils ne représentent qu'eux-mêmes ; je dirais aussi : allez vous occuper des besoins de la population du côté social au lieu de vous attaquer à un domaine dont vous n'avez aucune connaissance et que vos diplômes ne vous permettent pas d'entrer dans ce débat fait pour les grands.

La crise de l'enseignement dans les pays du Maghreb et particulièrement en Algérie, en Tunisie et au Maroc est étroitement liée à ces problèmes psychosociologiques. Notre comportement avec la langue française est très parlant à ce sujet.

 Alors que d'autres pays asiatiques ou africains (Inde, Sénégal, ?) qui ont aussi subi le traumatisme colonial, ont su adopter la langue du colonisateur, pourquoi les pays maghrébins n'ont pas su le faire ? L'usage partiel de la langue française aurait pu aider ces pays à assurer un enseignement scientifique et technologique de qualité et compétitif à l'échelle internationale. En dehors du traumatisme colonial, l'Algérie et le Maroc ont vécu de longues années de relations intimes avec la langue française ; la rejeter simplement parce qu'elle est un outil ou un produit colonial est une grave erreur. Si on détruit la langue, pourquoi alors ne pas détruire les bâtiments, les routes et toutes les autres infrastructures installées par le colonisateur ?! ?

Notre comportement injustifié et hypocrite avec la langue française nous a conduits à nous jeter dans les bras du système éducatif du colonisateur en inscrivant massivement nos enfants dans les écoles de la mission française. Une grande majorité de ces enfants vont poursuivre leurs études en France. Voilà donc comment, sous couvert d'une politique nationaliste et anticoloniale, on se jette dans les bras du colonialisme.

Actuellement, l'Algérie et le Maroc ont tout intérêt à se réconcilier avec la langue française comme outil d'enseignement, indépendamment de ce qu'ils peuvent penser des mouvements de la francophonie et de l'état de leurs relations avec la France, sans renier la langue arabe et les autres langues nationales.

La France et les mouvements de la francophonie sont pour beaucoup responsables de cette situation. En effet, quand on compare le mouvement du « Commonwealth » avec celui de la francophonie, il y a déjà une grande différence qui saute aux yeux, le premier est basé sur les collaborations économiques et ne fait nullement référence à la langue, et le second est basé sur l'usage de la langue française. C'est une grave erreur à mon avis, qui fait beaucoup de tort à la langue française.

Le mouvement politique doit changer de nom et laisser la promotion de la langue française aux linguistes, aux écrivains et aux littéraires. Cet amalgame a beaucoup joué dans le rejet de la langue française par d'anciennes colonies françaises, particulièrement au Maghreb.

L'utilisation partielle de la langue française peut sauver beaucoup de secteurs vitaux comme l'enseignement des sciences et technologies. Une précision très importante est nécessaire à ce sujet. Toutes les langues vivantes, y compris la langue arabe, peuvent être utilisées dans l'enseignement scientifique. Des exemples existent partout dans le monde. Cependant, pour réussir ces enseignements, il faut commencer par bien former les enseignants des sciences dans la langue utilisée.

Le processus d'arabisation dans les pays du Maghreb a été fait brutalement et sans préparation préalable. Dans ces pays, l'enseignement de la langue arabe est lui-même défaillant. La pratique de la langue arabe est complètement biaisée à cause de l'usage abusif des dialectes.

L'enseignement scientifique en Algérie était déjà défaillant même à l'époque où il était dispensé en langue française parce que trop théorique. Actuellement, après l'arabisation, même le savoir théorique scientifique est très mal dispensé à cause des problèmes linguistiques. Ces problèmes se répercutent aussi sur la qualité de l'enseignement scientifique universitaire.

S'il n'est pas déjà trop tard, à mon humble avis, suite à ces constats, la seule langue pouvant nous permettre d'effectuer rapidement le saut technologique absolument nécessaire, c'est la langue française. Chercher à le faire avec une autre langue n'est qu'une grosse perte de temps et peut être très périlleux.

Cette réalité est aujourd'hui dépassée et aucun président ni ministre n'aura le courage de l'avouer et de l'appliquer. Notre nouveau mal, aujourd'hui, c'est uniquement comment apprendre l'arabe classique à nos enfants d'une manière pédagogique sans s'attirer les attaques des médiocres responsables du recul de la langue arabe par leur entêtement conservateur qui nous empêchent d'évoluer. Ce sont ces médiocres qui envoient leurs enfants dans des écoles privées ou des écoles françaises et qui accourent vers les centres culturels français pour avoir un diplôme en langue française. Ils viennent dans le parlement ou à travers la presse montrer qu'ils sont plus musulmans que les Algériens mais ce qu'ils ont oublié, c'est que le peuple n'est pas dupe. Comment des illettrés, qu'ils soient parlementaires ou autres, prennent la parole à la place des grands pédagogues algériens et mondiaux et les contredisent ? Savent-ils que, partout dans le monde, le problème de la langue maternelle et la langue officielle, que ce soit l'arabe ou le français ou le français canadien ou le vietnamien ou les langues d'Afrique noire, se pose.

Une langue, n'importe laquelle, ne doit pas être une science en elle-même. Une langue qui se respecte doit avoir comme fonction de véhiculer des connaissances et le savoir.

L'enfant dès son premier jour en classe est traumatisé car tous les mots qu'il a appris à la maison sont à jeter à la poubelle. Dans tous les pays du monde, petits et grands, qui ont adopté la langue mère, un enfant en primaire peut s'exprimer correctement, déchiffrer un prospectus, un journal, une lettre,? l'Indonésien, le Turque, l'Islandais, l'Allemand, le Malaisien, le Chypriote sont autant d'exemples et il y en a bien d'autres. En Algérie, la plupart des universitaires en sont incapables. Arabiser ou franciser ? Ni l'un ni l'autre. Alors que les pays développés font des prouesses en matière de pédagogie, l'Algérie hésite encore sur le choix de la langue d'enseignement. Ce qui engendre beaucoup de dégâts et des déperditions en matière d'apprentissage, d'épanouissement personnel et d'éducation.

Tous pour que la langue mère devienne la langue de l'enseignement : surtout au préscolaire. Il est grand temps de le faire. Il y va de l'intérêt de toute une nation. Il y va de l'intérêt de tous les Algériens, sur tous les plans : économique, social, recherche, ... C'est ma conviction la plus profonde. Une telle transition, bien que nécessaire, pour qu'elle soit efficace, doit se faire en douceur. A mon sens, c'est possible, c'est même la seule voie, il n'y en a pas d'autres, sauf si on veut encore perdre quelques dizaines d'années dans le va-et-vient entre l'arabe classique et le français.

Dans tous les cas, tôt ou tard, la langue mère finira par s'imposer par elle-même comme langue de l'enseignement. En attendant, ce sont des milliards de dollars de dépenses, en rapport avec un système éducatif en crise, inefficace et improductif, qui partent en fumée chaque année. C'est bien dommage.

 L'enseignement en Algérie dans les matières scientifiques a été jusqu'à nos jours à 90% en «darija»

 Des pédagogues proposent que la «darija», l'arabe dialectal parlé par au moins 90 % des habitants et langue maternelle de plus de 60 % d'entre eux (les autres étant berbérophones), devienne langue d'enseignement dans les petites classes. Pour eux, l'arabe classique, complexe et maîtrisé seulement par une élite, est inadapté aux apprentissages. «Personne ne parle arabe au quotidien. C'est comme si en France, on enseignait en latin?! La darija est très différente, avec beaucoup de mots tirés du berbère, du français, de l'espagnol? »

Selon un récent sondage, 76 % des écoliers ne savent ni lire ni écrire au bout de quatre années de primaire?! Aux yeux des «pro-darija», la langue joue un rôle essentiel dans cet échec. Mais la darija à l'école compte de sérieux adversaires.

Les partis dits «islamistes» montent au créneau et déclarent récemment que son introduction dans l'éducation est «une ligne rouge à ne pas franchir» et que cette proposition visait à «frapper de plein fouet» l'identité des Algériens et la langue arabe et vont jusqu'à demander le départ de la ministre alors qu'au milieu de ceux-ci la plupart sont des illettrés ou qui n'ont jamais enseigné. Arguments phares des défenseurs de l'arabe comme langue d'enseignement: d'une part, cette langue est sacrée car c'est celle du Coran; d'autre part, il s'agit d'une langue «noble», «La darija, c'est bien pour la maison, la rue, mais ce n'est pas une langue assez riche pour qu'on la codifie ou qu'on lui donne davantage de poids. C'est comme si en France, on enseignait en argot! L'arabe est une langue extraordinaire, indissociable de la civilisation arabe et de sa beauté. Il est impensable de la pulvériser.

Aujourd'hui il est nécessaire d'utiliser la langue maternelle dans l'enseignement préscolaire et primaire, au lieu de la langue arabe littéraire. Le principal argument est que l'enfant trouve des difficultés à communiquer avec l'enseignant qui fait usage d'une langue totalement différente de celle utilisée au sein du foyer familial. C'est une recommandation de l'UNESCO qui souligne l'importance de l'usage de la langue maternelle dans l'enseignement préscolaire.

«L'usage de la darija entre trois et six ans ne pose aucun problème» mais pour «enseigner en darija, il faut que cette langue puisse être transcrite».     Là, réside bien tout le problème alors que notre langue dialectale est en constante évolution.

Il n'est pas possible, dans le cadre de cet article, de dresser un tableau complet de la situation des langues en Algérie; les quelques indications qui suivent permettront seulement de poser les jalons nécessaires à la compréhension du contexte propre à l'enseignement de la langue dans le pays.

La langue majeure en Algérie, celle qui assure l'intercompréhension dans l'ensemble du pays, c'est l'arabe dialectal, parlé et compris par tous, sauf peut-être dans quelques régions berbérophones enclavées dont les populations demeurent unilingues. Langue du commerce, des échanges informels et familiaux, langue de la rue, l'arabe dialectal, néanmoins, demeure à la porte de l'école, même s'il s'agit de la langue maternelle des enfants : l'entrée dans l'écrit, et l'ensemble des apprentissages, en effet, se déroulent en arabe standard, langue qui n'est évidemment pas tout à fait étrangère aux enfants qui entrent à l'école, mais qui leur demande un très réel effort, tant les différences syntaxiques et lexicales sont importantes.

Si l'arabe dialectal est parlé et compris par l'immense majorité des Algériens, auquel il sert de lingua franca, une partie importante de la population ? près de 40 %, parle amazighe (ou berbère). L'amazighe est dorénavant officiellement reconnu, et enseigné, la « généralisation » de cet enseignement étant prévue à l'horizon 2015 ? mais la difficulté de trouver et de former des enseignants risque fort de freiner ce processus.

Nous sommes sur le terrain et nous corrigeons les copies des enfants algériens et nous pouvons le dire tout haut : ce sont des victimes des différentes expériences qu'ils ont vécues. Nous avons produit des ignorants trilingues et nous en sommes tous responsables. Et en ce qui concerne l'arabe classique, la plupart ne savent ni l'écrire ni le prononcer.

Et je dirais aux détracteurs du progrès et de la modernité : ce n'est pas de cette façon ignoble qu'on sert son pays car même ceux qui ont commencé l'arabe dans les écoles coraniques trouvent des difficultés dans l'arabe classique.

L'arabe classique est l'une des plus riches et plus difficiles langues, qui a plus de 1500 ans d'existence et qui était promise à un avenir par rapport aux autres langues latines ou autres mais celle-ci a stagné depuis à cause de ces ignorants conservateurs qui refusent tout évolution linguistique et font fuir ceux qui cherchent l'épanouissement de cette langue par des moyens scientifiques et pédagogiques.

Personnellement, je ne suis pas d'accord avec la ministre sur cette conférence mais je salue sa sincérité, son courage devant des attaques mesquines et infondées de la part d'illettrés qui refusent tout changement qui mettra fin à leur opportunisme politique et je leur rappelle : quel niveau ont-ils pour faire des déclarations en contradiction avec toutes les études mondiales sur ce domaine. Ma déception vient aussi d'une certaine presse qui met à leur disposition des tribunes pour annoncer des absurdités et des mensonges que tout le monde connaît. Et avant de demander le départ d'un ministre, ils doivent parler de leur légitimité et de ce que pense d'eux le peuple.

Pour terminer, je crois que la ministre est convaincue de ses décisions, alors laissons-la travailler et les syndicats et les pédagogues ont toujours été là pour se positionner sur certains points. Eloignons la politique de l'éducation et disons aux hypocrites : où étiez-vous en 2003 lorsqu'on a dénoncé la réforme et le démantèlement de l'enseignement technique. Aujourd'hui, douze ans après, si la société civile avait soutenu les syndicats en grève on n'en serait pas là aujourd'hui. Madame la Ministre, je ne suis pas d'accord avec vous sur plusieurs points mais là, vu les circonstances, et lorsqu'il s'agit de l'avenir de mon pays, je n'hésite pas, je vous tire une deuxième fois chapeau et sachez que vous n'êtes pas seule. On doit juger une personne sur ses compétences, son nationalisme et sa sincérité et pas autre chose.

*Professeur de mathématiques au lycée Colonel Lotfi