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Santé : Retour sur un scandale

par Ghania Oukazi

Des professeurs chefs de services devront subir incessamment de lourdes sanctions conséquemment aux enquêtes menées sur l'état d'hygiène hideux des services du Centre hospitalier et universitaire (CHU) de Constantine.

La télévision d'Etat a osé la semaine dernière le scoop de toute son existence. Pour une fois, ses responsables n'ont pas censuré les images filmées dans le CHU de Constantine montrant le pourrissement -au vrai sens du terme- des espaces et équipements du service de gynécologie. Parturientes et bébés entassés dans des lieux infestés de cafards, de vers, d'excréments et autres, sang séché sur les tables d'accouchement et lits. La saleté dans toute sa laideur. La diffusion de telles images dans le journal de 20h, à une heure de grande écoute, de surcroît à la télévision publique, a étonné beaucoup de monde. L'on a cependant, entendu dire que « ce sont des images qui ont été commandées par des personnes qui ont voulu pousser les patients à fuir l'hôpital public pour ne se soigner que dans les cliniques privées. Constantine, nous dit-on, est une ville où les établissements de santé privés pullulent, « leur nombre a augmenté à une vitesse fulgurante. » En l'absence de contrôle régulier, les personnels du secteur de la santé, toutes catégories confondues, s'ils émargent dans les hôpitaux publics, font leur beurre dans les cliniques privées ignorant totalement les lois et textes qui réglementent le travail complémentaire. Peu importe ce qui a poussé, pour une fois, la télévision publique à diffuser une vérité amère sur un secteur aussi névralgique que celui de la santé. L'essentiel est de l'avoir fait pour pousser les responsables de la tutelle à réagir énergiquement. L'on apprend que la présidence de la République a été la première institution « à leur demander des comptes. » Le déplacement du ministre de la Santé à Constantine le lendemain de la diffusion du scandale a été à ce titre. Un des responsables qui s'est agité devant la caméra de l'ENTV, est apparu nettement plus calme aux côtés de Boudiaf lors de sa visite dans ses lieux maudits. Bien que ce responsable portait la blouse blanche, identifiant premier du corps médical (encore faut-il en connaître la fonction et le grade puisque la majorité tiennent à passer incognito pour ne pas être abordés par les patients), il élevait la voix le jour de la prise d'images, comme s'il n'avait rien à se reprocher. Situation kafkaïenne.

Abdelmalek Boudiaf a ordonné de suite la fermeture du service mais n'a pas pris de sanction. La morale aurait voulu que les professeurs chefs de services avec à leur tête celui de la gynécologie, soient démis de leur fonction et même radiés à vie de la profession. Laisser pourrir des lieux où l'hygiène doit être consacrée comme règle de base est une faute. Ceux qui sont chargés par la loi de veiller au bon fonctionnement d'un hôpital et faillent à leur devoir doivent connaître les sanctions les plus sévères qui puissent exister.

LOURDES SANCTIONS POUR LES PROFESSEURS CHEFS DE SERVICE?

L'on apprend cependant que lors de sa réunion au siège de l'APW de Constantine avec les responsables locaux, élus et cadres, le ministre de la Santé à préféré ne pas prononcer de sanctions «à chaud». Quatre enquêtes ont été lancées en même temps, celle de la sûreté, la gendarmerie, le DRS et le ministère de tutelle. Boudiaf a donc décidé de prendre son mal en patience et d'attendre les résultats de ces enquêtes pour décider des sanctions devant être prononcées contre les personnels médicaux du CHU de Constantine. Selon nos sources, ce sont trois ou quatre professeurs chefs de services qui verront leur règne sur des services pourris comme celui de la gynécologie, abrégé. Certains, vu leur âge, seront mis d'office à la retraite. L'on s'attend surtout qu'ils leurs soient signifiée officiellement leur radiation du corps médical. A savoir si le ministre franchira ce pas. Si ce n'est pas le cas, il leur donnera l'opportunité d'aller se comporter en nababs dans les cliniques privées. Le scandale n'aura servi alors qu'a montrer des patients dans des situations d'abandon sans qu'ils n'aient aucune possibilité de recours. D'ailleurs, le fait que le ministre de la Santé ait déclaré publiquement que le CHU de Constantine est réputé pour ses frasques «45 plaintes sont déposées devant la justice contre ses services », et qu'aucune sanction n'était tombée depuis, laisse perplexe.

TEMPS COMPLEMENTAIRE ET LOBBYS

L'on croit savoir que les rapports des enquêteurs seront remis au ministre en cette fin de semaine et les sanctions suivront de suite. Il doit bien connaître les chefs de services du CHU de Constantine et des cliniques privées pour avoir été wali dans cette ville pendant près de 5 ans.

L'on apprend aussi qu'avant Constantine, d'autres CHU des grandes agglomérations ont reçu des commissions d'enquête de la santé mais aussi de l'enseignement supérieur puisque les professeurs chefs de services relèvent de ses offices. Enquêtes dont les résultats font état, nous dit-on, de graves défaillances dans plusieurs services. Les hôpitaux d'Alger, de Annaba, d'Oran devront s'attendre à ce que certains de leurs professeurs chefs de services subissent eux aussi de lourdes sanctions.

Le ministre a fait part implicitement, lors de sa tournée constantinoise, de son intention de supprimer le travail complémentaire. «Je ne suis pas contre le privé mais les personnels doivent choisir entre le public et le privé, les professeurs sont libres de rester dans les CHU ou d'allers vers les cliniques privées, mais faire les deux en même temps, tant que je suis à la tête de ce secteur, je serai intransigeant, je ne laisserai pas faire», avait-il dit. L'on dit que la suppression du travail complémentaire est consacrée dans la nouvelle loi sur la santé qui devra passer en Conseil des ministres et devant le parlement. Le ministre de la Santé devra cependant s'armer d'une volonté de fer pour pouvoir convaincre de la nécessité de son adoption. Il est évident que les lobbys du médicament et des cliniques privées ne se laisseront pas doubler aussi facilement.