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Le mal des remaniements

par El Yazid Dib

Un mal est toujours à l'origine de la douleur. Atroce, il exige l'allégement de la souffrance qui se ressent à fleur de peau. Chaque remaniement a ses fantasmes. Ses cohabitations. Son mal.

Il existe une grande disparité dans la doctrine du mouvement dans le sens où la mobilité peut prendre toute une masse de mesures. Du bas vers le haut et de là vers le rien. Un certain monde est ainsi malade au moment où l'autre, plus dense, plus consistant et plus détaché s'en fout éperdument et se sent non concerné. Un territoire n'a pas le droit d'être un mouroir. Ni le toubib de se comporter en insouciant thérapeute. L'économie, la politique et la société algérienne flottent pour finir dans la pesée de gens qui n'en tirent que supériorité. L'argent s'assigne perfidement un objectif de pouvoir tordre le cou aux voix progressistes les plus tenaces. Il se tient pour une panacée. Le miracle des coulisses. Il s'interfère à partir des guichets pour chuter dans la sphère des commandeurs. Quel intérêt aurais-je, pouvait dire un autochtone du Djebel Megrès dans l'évincement de tel ministre, la mutation de tel wali ou le remplacement de tel chef de daïra ? Mon problème à moi, soupire-t-il, est dans ma poche, l'avenir de mes enfants !

Le mensonge s'est érigé en une norme d'intendance même dans les décisions des tenanciers. Chacun va de son pouvoir pour en faire un record de longévité. Des gens pourvus uniquement d'audace seront les premiers à servir et se servir de la rente et se feront obligeamment élire parmi l'aréopage censé guider le devenir national. Mais au fait quelle est la stratification qui tisse le canevas social algérien ? L'apparition au grand jour des deux bouts pointant d'un bout à l'autre les périphéries d'une société en voie de reconstruction. Quant à la classe la plus salutaire pour les deux, elle est comme un tampon. Une espèce de rondache partageant les deux.  Une séparation calorique et sonore. Les sociologues la désignent de classe moyenne sans pour autant lui attribuer la quintessence morale et l'esprit petit-bourgeois qui sont censés l'animer tel que fut le cas vers la fin du siècle dernier. Cette frange qui, ayant reçu un minimum de confort social, se sent fortement concernée par le maintien de l'ordre établi.

A sa charge, cet agencement sociétal se pratique par elle et non pour elle. Elle en tire certes des dividendes, un peu d'apparat et point final. Pas d'opportunités de pouvoir gagner du terrain sur la parcelle de sa marraine.

Comme elle refuse à son tour de se voir faire grignoter son espace par des ratatouilles. Pense-t-elle. Bien lotie dans sa tête de large fonctionnariat, de commerçants débutants, de nouveaux portefeuilles, elle fait à son tour graviter à ses alentours pour les mieux pignonnés, des sous-traitants du deuxième cercle de la première classe. L'argent s'accumule par la force de travail, alors que chez certains et dans d'autres créneaux il se ramasse par subventions. Les partis politiques et leur différent personnel sont aussi ces émargeurs à la soupe populaire. Ils piochent juste pour une figuration ou un jeu de rôle conjectural dans la cagnotte collective en veillant bien à assumer la mission dévolue. Berner, faire semblant, paraître utile.

La société nationale se satisfait dans cet accommodement précaire et dégradable. La douleur n'est pas l'exclusivité d'une sensation pénible à ressentir dans l'une des parties du corps. Elle enflamme chaque jour, dans une quotidienneté éprouvée l'ensemble du corps social général. La douleur n'est donc que plurielle, intense et polymorphe. Les grandes douleurs sont muettes, dit-on ; celles qui résistent à faire plus de mal trouvent pour chacune d'elles une phonie, un cri, un holà. Pas plus.

Les syndromes de l'usure et du vieillissement en leur état expressif sont là. L'Algérie est-elle à ce point aussi sénile ? Toute vitrine est évaluée par les choses exposées au grand public. Elle est également appréciée sur la qualité des produits ou services exposés ou proposés. Quand les rides, les maladies chroniques, le sérum et parfois l'impotence physique deviennent des signes extérieurs d'usure l'on ne peut ni les cacher, ni faire en sorte que l'on est toujours en état d'éveil ou de pleine conscience. Ce ne sera pas une belle cravate sur une chemise toute neuve avec un visage bouffi, cerné, excavé que l'on peut prétendre à une force encore efficace. Autrement dit, l'on acceptera posément que le vieillissement en politique peut ne pas être un état d'âge mais une capacité d'adaptation.

L'on s'aperçoit au fur et à mesure des rotations périodiques opérées dans les hautes fonctions que les critères sélectifs n'ont jamais pris leur ancrage dans le capital compétence ou de capacités dans la performance. Les paramètres opposaient les personnes, les clans et les proximités et non les idées ou la nature de projets sociaux. La présence solennelle de l'Etat semble donner entre deux mouvements l'impression d'une simple existence d'un néant dynamique soit l'illusion de la coquille vide. Aucune logique n'est à retenir. Chaque changement a ses fantasmes. Ses cohabitations. Un ministre qui redevient wali, un absent des effectifs depuis le dernier siècle qui redevient ministre, tout est objet à suspicion. L'élévation du statut d'homme de gouvernement au statut remarquable d'homme d'Etat devrait être une œuvre sans conteste de tant de cursus, de sacrifice et punch. La courbe des promotions supposée sereine est fortement perturbée.

Cet anachronisme qui ne devait point sévir au sein des bornes de commande serait pourtant devenu une nature essentielle pour le fonctionnement de tout l'appareil étatique tant central que local. La tentative, du moins déclarée, d'opérer la décantation menant vers un assainissement progressif des rangs n'a pas eu lieu. Des walis qui viennent par effraction. Des secrétaires généraux remerciés alors qu'ils étaient à tous les fronts. Ah ! Ce mot assassin de « mise à la retraite » ! s'appliquant comme une estocade à certains et non à d'autres ; il s'élève pour les uns en une épée de Damoclès et en intérêt de suprême service pour les autres. En fait, ne sont pas trop nombreux ceux qui sont longuement restés « en retraite » quand il s'agissait d'une odeur du sérail, d'un bon coup de main ou d'un deal stratégique. Le pouvoir discrétionnaire est carrément ainsi discrétionnaire. Le limogeage a eu toujours une cause légale. Le repêchage ou le lifting de même.

Les remous qui viennent de chambouler l'ordre des choses à un niveau supérieur ne sont pas indemnes de toute critique. Un remaniement suit un autre après avoir été précédé par un semblable. Le conflit intestinal agitant l'approche successorale a été importé dans les structures de l'Etat. Mais aussi de l'armée. La fièvre estivale du dernier quart d'heure commence à agir en causant un mal dans l'action d'autrui. C'est ça la politique et c'est ainsi que l'on doit procéder dans de pareilles circonstances, disent les observateurs sans égard aux dommages collatéraux. La lutte est celle d'une survie. Seulement par respect à une éthique politique qui n'a plus sa raison d'être ; ce n'est pas à la faveur d'une gestion transitoire que l'on attribue des postes ou des titres définitifs. Le provisoire ne doit jamais tenir en l'état le légal.

Il ne reste pour comprendre certaines choses que le détour de l'esprit, voire la fiction ou la rumeur. La réalité est tellement confuse, contradictoire que l'analyse ou la simple lecture des faits et des évènements qui se succèdent, devient possible grâce à la crédulité de la source censée avoir de la dignité et de la foi. Rien ne prédispose à se situer dans un avenir tout proche. Tout vient pour contester les règles de la logique managériale. Et c'est un style de gestion maintenant. On commence à le déchiffrer après l'avoir ingurgité et supporté tant d'années. Le fait régalien plus qu'un fait de prince dispose de tout. Sans égard à l'aigreur toutefois légitime d'une part et de l'enthousiasme imposant d'autre part ; le système demeure quoique dans son impersonnalité, dans son abstraction, un modèle personnalisé basé sur l'intuitu-personae. Mais, somme toute, il semblerait à scruter comme ça sur les côtés de certaines nominations que le pouvoir n'est pas consubstantiel ni rattaché à un unique pôle. L'on y sent du chevauchement et de l'entremise. Des parties externes à l'officiel, loin des signatures sont là. Présentes et garantes aux félicitations et aux regrets. Elles s'accommodent bien avec le sentiment toutes espèces confondues.

Rien n'est sûr, rien n'est définitif. Tout peut se recomposer au coin d'une causerie. D'une nouvelle amitié ou d'un instinct retrouvé. Le temps consommé dans la marge du système sous un « sommeil vigilant » et que l'on croyait un linceul n'est que cette attente de se voir un jour replacé dans l'échiquier du commandement. Ainsi, il y va du ministre au wali. Les cadres de l'Etat, ces hauts et moyens personnages extirpés des tripes de l'appareil étatique, étant toujours valables forment la mémoire, et sont les artisans du pays, voire de la nation. Hélas, le pouvoir les émascule et comme des capes utilisées iront remplir les obscénités et l'apathie de l'ordre du jour ou des salons mal feutrés ou des cafés maures. Ceci cause du tort, du mal. Il fallait faire apprendre aux gens que l'Etat n'est ingrat que par la désinvolture de ceux qui le représentent. Il a tenté de créer le long de ces dernières années un conditionnement d'inféodation. De génuflexions et de bouches cousues. Juste ceux qui sont out persisteront à garder espoir de se revoir un jour réinjectés. Cette diversion systémique du fonctionnement des rouages de l'Etat ne va certainement nous mener nulle part. Hors du temporel elle n'atteindra jamais le spirituel qu'elle veut, à grandes lectures, forcer notre croyance envers son don de sauveur ou sa vision para-naturelle des êtres et des choses. Au lieu et place d'une élite, d'un dynamisme intellectuel, l'on voit s'installer une meute d'opportunistes, d'attentistes doux, dociles et serviles. La réforme de l'Etat devra s'inscrire dans le sens d'une réparation des inégalités et injustices commises à l'encontre des personnes du fait de leur dévouement. Au pays.