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Bac, les raisons d'un échec

par Slimane Bentoucha

A PROPOS DE QUALITE DE L'ENSEIGNEMENT

Suite à l'article paru, aujourd'hui, s'intitulant: «Les réponses de Benghabrit», je voudrais apporter cette contribution qui va, dans le sens contraire du contenu de l'article en question car j'estime que loin de la démagogie, l'Ecole algérienne est malade des motifs suivants et non de la non-application des réformes que je qualifierai plutôt de « déformes » ou des consignes ?Benzaghou' que personne d'autres que l'initiateur et ses commanditaires, ne comprend.

Le constat, fait à partir du vécu et de l'expérience sur le terrain, est amer et ce n'est dans l'intérêt de personne de « cacher le soleil avec un tamis », tant qu'il est de l'intérêt de nos enfants et de notre pays. Il y a feu dans la maison .Ce qui va suivre est à notre humble avis les vraies raisons de l'échec.

DEMOCRATISATION DE L'ENSEIGNEMENT

C'est vrai que l'Etat peut se targuer de scolariser des millions d'élèves, chaque année, comme il peut s'enorgueillir de bâtir des milliers de classes, des centaines d'établissements, de recruter et de former des dizaines de milliers d'enseignants. Tout cela personne ne peut le contester. Rien que nos écoliers en primaire dépassent toute la population de la Libye. Mais le problème est que cette démocratisation de l'Enseignement, à grande échelle, n'a pas que des effets positifs. On a favorisé la quantité, au détriment de la qualité. La garantie de la scolarisation jusqu'à l'âge de 16 ans a, aussi, fait que les parents ne s'alarment pas jusqu'à ce que leurs enfants atteignent cet âge. Par le passé, les parents peinaient à éduquer l'enfant, renvoyé dès le cycle primaire, alors ils devaient, impérativement, suivre la scolarité des autres frères, sous peine de voir leurs enfants subir le même sort.

Quelle est la solution, me diriez-vous ? A notre humble avis, il faut revenir à l'ancien système, c'est-à-dire ne faire passer d'une année à une autre que les méritants. On risque de voir des milliers d'élèves, dans la rue, pendant un certain temps, mais ça s'arrangera au fil des années. Une fois que les parents, car ce sont eux les premiers concernés, se renderont compte que leurs enfants ne sont plus garantis d'atteindre le niveau souhaité, ils se pencheront, automatiquement, sur leurs suivis.

TROP DE FILIERES, TROP DE MATIERES, TROP D'HEURES

Jusqu'à la fin des années 80, il n'y avait pas plus de quatre ou cinq filières, maintenant on n'a pas idée du nombre, tellement elles sont nombreuses. Bon nombre des parents de mon entourage que j'ai questionnés, ne savent pas dans quelles filières leurs enfants sont inscrits. Nos enfants sont, aussi, pénalisés par trop de matières, pendant leurs cursus scolaire. A titre d'exemple, un élève de Terminale, classe scientifique passe son bac, dans pas moins de neuf matières, soit cinq jours d'examen. Une fois à l'Université, il n'a besoin que d'une seule matière, voire tout au plus deux, d'où la question : pourquoi faire tester nos élèves sur des ?trucs' dont ils n'ont, vraiment, pas besoin ? Combien d'élèves ont été pénalisés, ainsi, en obtenant des notes faibles, dans des matières secondaires. Qu'est ce qu'un futur médecin ou un architecte peut bien faire avec des leçons de géographie, sur l'agriculture en Inde ou un cours d'histoire sur ?Mohamed Ali d'Egypte' ? Qu'est- ce qu un futur journaliste peut bien faire des équations en mathématiques ? Et puis, il y a le problème des horaires que l'Etat refuse de changer on ne sait pour quelle raison. Un élève surchargé par trop de matières n'apprend rien à l'image d'un sachet qui se déchire par trop de marchandises.

Au début des années 90, le ministère de l'Education nationale a mis en projet le système des heures continues dans les établissements pilotes, dans chaque daïra. Après plusieurs années de service, et sans rendre compte des résultats du referendum auprès des élèves, enseignants, parents et chefs d'établissements, l'Etat a mis fin à ce projet, sans que personne ne sache pourquoi. Pourtant, de l'avis de tout le monde, ce projet permettait aux élèves de dispenser de beaucoup de temps pour faire leurs devoirs et réviser leurs cours. Des parents m'ont raconté que pendant l'hiver, leurs enfants rejoignent leurs maisons, la nuit tombée. Quel temps leur reste t-il pour se reposer, faire leurs prières, pour entamer la révision des cours, tout en sachant qu'ils doivent se lever tôt, le lendemain pour rejoindre leurs classes.

SALAIRE INCONSEQUENT

La majorité des enseignants se disent lésés par la dernière grille de salaire, car d'un côté, les salaires n'arrivent pas à côtoyer l'inflation galopante que le pays a connue, ces dernières années, et de l'autre coté ils restent en-deçà de ce que les enseignants d'autres pays gagnent. A titre d'exemple, selon une étude faite par le Centre de recherche de l'Enseignement supérieur de l'Université de Chicago, l'enseignant algérien, avec un salaire de 345 dollars, est le dernier d'une liste qui comprend plusieurs pays. Nos voisins marocains et tunisiens sont plus cotés que nous, puisqu'ils gagnent respectivement 457 et 525 dollars. Comparez ces salaires minables avec des pays comme Le Qatar avec 7.030 ou le Japon avec 7.780 dollars et vous aurez une idée de la différence du niveau scolaire entre ces pays et le nôtre. Ces raisons poussent parents et futurs bacheliers, ayant des mentions honorables, à choisir d'autres métiers plus lucratifs que l'Enseignement. D'où un paradoxe flagrant : les meilleurs élèves boudent l'enseignement avec le consentement des parents et veulent tous, être médecins, mais critiquent le niveau des enseignants qui n'ont pas pu l'être, faute de moyenne. A notre avis, ce n'est qu'en revalorisant la profession d'enseignant, ainsi qu'en rendant le lustre d'antan aux maîtres, qu'on pourra, peut-être, améliorer le niveau de nos élèves.

LAXISME FLAGRANT ET MANQUE DE PUNITION

En 1775, l'Angleterre avait aboli la punition des écoles. Un grand pédagogue de l'époque avait dit : «On a perdu de la main gauche ce qu'on a gagné de la main droite », en voulant dire que c'est bien que les enfants ne soient pas punis, mais cela crée l'indiscipline. Ceci est valable dans nos écoles, à l'heure actuelle. Un ministre de l'Education nationale a, un jour, menacé de jeter en prison les enseignants coupables de sévices contre les élèves. Le résultat : les enseignants négligeaient les élèves turbulents et médiocres en évitant d'avoir affaire à eux. Nos élèves n'ont peur ni des chefs d'établissements, ni des adjoints d'Education, encore moins des enseignants, et surtout des enseignantes quand on sait que les deux tiers des effectifs actuels de l'Enseignement sont des femmes. L'éducateur dans le passé disposait de pas mal de punitions qui persuadaient, quand même, un tant soit peu, les turbulents. Ni élève au coin, ni consigne, ni punitions ( écrire 100 fois telle ou telle chose), ni règle de bois posée sur la table, ni garde à vue après la fermeture de l'école, rien de tout cela ! De quels moyens dispose l'enseignant pour faire prévaloir la discipline dans sa classe ? Un surveillant général m'a confié que chaque année, le problème de l'indiscipline s'accentue. En se remémorant notre passé, on apprenait souvent nos leçons avec certains maîtres plus par peur que par envie. Cela ne nous a fait que du bien. Et puis qu'est-il arrivé aux générations des années 50, 60 et 70 qui ont subi les pires sévices des mains des maîtres et des surveillants ? ne sont-ils -pas des cadres de l'Etat ? Je m'en souviens, quand on était au lycée, notre surveillant général nous traitait de tous les noms, nous bastonnait, mais comme on savait qu'il ne voulait que notre bien, on ne lui a jamais voulu et maintenant, quarante ans plus tard, quand on le croise dans la rue, on accourt vers lui pour l'embrasser !

FAIBLE FORMATION ET MANQUE D'AUTO INSTRUCTION

S'il est indéniable d'admettre l'efficacité de la lecture quant à l'épanouissement du niveau d'instruction de l'individu, on continue, toujours, à renier ce fait, dans notre société. Il suffit de faire un tour dans nos villes et villages pour constater qu'on emporte tout avec soi, sauf le livre. De ce fait, même notre élite à laquelle on confie notre progéniture fait partis du lot. Parmi les vingt instituteurs que j'ai personnellement interrogés, aucun ( je dis bien aucun) n'a lu un livre, pendant toute l'année scolaire 2014-2015 ! Deux seulement ont déclaré avoir lu quelques livres, durant toute leur vie. La seule lecture qu'ils pratiquent se limite aux journaux, et même cette lecture là n'est pas pratiquée à grande échelle puisque la moitié des instituteurs de langue arabe déclare lire les journaux en langue nationale alors que ceux de la langue française, un seul instituteur sur dix, dit acheter son journal en français. Pas mal de fois lors des journées pédagogiques ou des séminaires qu'on tenait, périodiquement, avec les inspecteurs de l'Education nationale, je m'amusais à poser des questions à mes collègues, vers la fin de la journée, sur ce qu'on a appris lors de ces journées.

Eh bien, tenez vous bien des réponses reçues : « A part la rencontre entre collègues, je n'ai rien appris de nouveau» ou «je repars comme je suis venu» ou encore «plus j'assiste à ces journées, plus je suis perdu».

C'est que ces journées sont trop chargées des ?trucs' futiles, des gros mots tels que « didactiques, nouvelles méthodes, et j'en passe » au lieu de tenir un langage simple, accessible au commun des profs. Même les inspecteurs sont déroutés mais obligés de transmettre des instructions venus «d'en haut ».

MANQUE DE MOTIVATION (OU LE PROGRAMME ANSEJ)

«A quoi bon faire des études supérieurs quand je vois que mes deux frères licencies sont en chômage : l'un depuis cinq ans, l'autre depuis deux ans». C'est par ces mots, qu'un élève de Terminale m'a répondu. En effet, nos élèves ne sont plus motivés à pousser leurs études, tout en sachant qu'à la fin de leur scolarité, ils ne récoltent qu'amertume et désolation.

Loin est le temps où chaque étudiant pouvait prétendre à un emploi, un logement de fonction et un bon salaire. Maintenant, nos enfants ne veulent plus faire d'études quand ils voient que tel, avec un niveau de CEP, roule en carrosse avec un crédit ANSEJ et tel autre perçoit des sommes faramineuses pour sa signature dans tel club de football. Ce que gagne un joueur professionnel, en un mois, donne le tournis au plus chevronné des étudiants. Comment voulez -vous en vouloir à nos enfants quand l'Etat considère les ratés et pousse son élite à chercher refuge dans des pays étrangers ?

On entend plus, de nos jours, dire que tel élève est le premier ou tel autre est le dernier. Nos pédagogues estimant que ce classement par rang, rend nos enfants complexés, ont décidé, alors, de substituer par la moyenne générale. « Mon enfant (élève de CM1) a eu 8,70 mais je n'ai aucune idée de son niveau dans sa classe », m'a confié une ancienne collègue. C'est vrai, ce classement, non seulement, ne donne pas une idée sur le niveau de l'enfant, par rapport à l'ensemble de la classe mais crée une démotivation de la part des élèves. On ne sait plus qui fait quoi. Je m'en souviens que des élèves de notre classe pleuraient, à chaude larme, et juraient sur tous les saints de prendre leurs revanches lors du prochain examen, quand ils sont dépassés par leurs camarade d'un demi-point. Même la distribution des prix que parents, enseignants et élèves attendaient avec impatience, à la fin de l'année fut supprimée sous prétexte de cette sacro sainte idée du complexe. Le résultat, on le connaît .

DEFAILLANCE DES PARENTS

La garantie de la scolarisation de l'enseignement jusqu'à l'âge de 16 ans, a créé une défaillance totale de certains, pour ne pas dire de la majorité des parents. En sachant que leurs enfants sont assurés d'atteindre, au moyen, la fin du cycle moyen, ils sont tranquilles pour toute la durée de cette période. Ce n'est qu'une fois, au lycée qu'ils commencent à se manifester soit vers le début de l'année pour supplier les chefs d'établissements à les ?repêcher' ou vers la fin, pour essayer d'empêcher une quelconque décision en leur défaveur. Même en les convoquant au cours de l'année scolaire, certains parents refusent, catégoriquement, de rejoindre les établissements, en prétextant divers motifs.

A la maison, le constat est presque le même.

Des études ont démontré que le suivi des parents joue un rôle prépondérant quant à la réussite de leurs enfants. Appliquons cela à notre vécu. Combien de pères suivent la scolarité de leurs enfants quotidiennement ? Combien de mères obligent ses gosses à faire leurs devoirs ou s'assurent que tel ou tel cours est bien appris ? Combien parmi nous délaissent leurs besognes routinières pour consacrer une bonne partie de leur temps à leurs enfants ? La plupart d'entre nous n'estiment pas que les enfants méritent bien qu'on sacrifie un feuilleton, un film ou un match de football pour leur bien. Ce n'est qu'aux échecs que parents et enseignants se rejettent la balle.

TABLETTES ET INTERNET

«A quelque chose malheur est bon». Ce proverbe est, parfaitement, valable dans le contexte de l'Enseignement. Quarante ou cinquante ans en arrière, les élèves ne disposaient ni de télévision ni de moyens de distraction qui pouvaient les dévier de leurs études. De nos jours, selon une étude faite par des chercheurs britanniques, un enfant scolarisé passe les 9/10 de son temps libre, à jouer plutôt que de faire ses devoirs. Ceci en Grande-Bretagne. Pour ce qui est de notre pays, faute d'étude, on peut avancer, sans risque de nous tromper, que nos enfants passent tout leur temps à jouer. Télévision, micro, tablette, portable et autres consoles vidéos s'assemblent, tous, pour ne rien laisser de temps libre pour faire quoi que ce soit. Les parents sont tranquilles que leurs enfants soient dans leurs chambres, bien loin des risques de la rue, mais ils ne se soucient guère de ce qu'ils sont en train de faire. Ce n'est qu'à la réception des bulletins scolaires que certains sont surpris des résultats.

S'ils ne sont pas à la maison en train de se connecter à travers Facebook, ils sont dehors dans la rue à pratiquer tous sortes de jeux, sans se soucier de personne, encore moins de leurs maîtres. En remontant le temps, tous les parents se souviennent bien que dans le passé ils faisaient l'impossible pour rester invisibles à la vue de leurs maîtres, et gare à celui qui ne présente pas une excuse valable de sa présence dans la rue, la veille. De nos jours, si le maître fait semblant de ne pas voir ses élèves, ce sont eux qui se manifestent en lui envoyant des ?salamaleks'. C'est indéniable que la scolarité est perturbée par la présence des enfants dans la rue, en plus des divers distractions dont ils disposent.

QUAND LE PROJET REMPLACE L'EXPOSE

«J'ai l'impression de travailler pour le compte du libraire de mon quartier. Chaque semaine, je lui dois l'équivalent de deux journées de mon salaire, pour les exposés de mes enfants». C'est ainsi que s'exprimait mon voisin en répondant à une question relative aux soi disant 'projets' demandés aux élèves.

j'ai personnellement eu affaire à des gens qui se rappellent, encore, des poèmes et maximes qu'ils avaient appris à l'école, dans les années cinquante. Ces mêmes gens, dont le niveau d'instruction n'a pas dépassé, dans le meilleur des cas, la sixième, vous étonnent avec leurs capacités d'écrire un paragraphe sans faute ou lire un texte, sans aucune difficulté alors que nos enfants, bacheliers et licenciés n'arrivent même pas à lire certaines lettres ou diphtongues de la langue française. Demandez leur ,à titre d'exemple, de prononcer à haute voix les mots « cœur » ou « deux » et vous verrez. Donc en quoi nos enfants sont forts ? Qu'apprennent-ils à travers ces projets « copiez-collez » ?

Des postulants aux postes d'enseignants, ne sachant pas faire correctement une demande d'emploi, des étudiants demandant aux proposés aux guichets de PTT de leur remplir un cheque, des élèves de Terminale ne connaissant pas « la cédille », des ingénieurs en génie civil, incapables de distinguer, un poteau d'une poutre, des PES de français ne savant pas faire la différence entre « travaille » comme verbe et « travail » comme nom, des médecins s'exprimant dans une langue que je qualifierai de ?franrabe', des journalistes à une radio locale dont je tairai le nom, par pudeur, sont la risée de leurs anciens maîtres d'école par les fautes qu'ils commettent, en lisant les bulletins d'information. Je vous jure qu'il m'est arrivé, plusieurs fois, d'éteindre la radio parce qu'écoeuré par trop de fautes entendues. Tous ces exemples sont tirés, malheureusement de faits réels. Vers quel destin allons-nous ? Jusqu'à quand allons-nous continuer à cacher « le soleil avec un tamis » ? Chaque année on nous sort le sacro-saint taux de réussite ascendant alors qu'en réalité la sonnette d'alarme devait être tiré il y a bien longtemps.

LE MOT DE LA FIN

Parler de l'Enseignement et de l'Education donne la nausée car l'espoir de voir notre pays figurer parmi le quota mondial des pays développés s'estompe, de plus en plus. Aux premières années de l'Indépendance, l'Algérie fondait un grand espoir en sa jeunesse, pour relever le défi et bâtir le pays afin que l'ennemi d'hier ne nous traite pas d'incapables. Maintenant on voit cet espérance se dissiper comme un mirage. On s'accorde, tous, à dire que les grandes nations, ne le sont vraiment, que grâce au savoir, alors qu'attendons-nous pour appliquer ce que l'on sait. On est tous responsables et nous devons tous mettre la main dans la main pour pallier à cette situation qui n'a que trop duré. Mais il est certain que la responsabilité de nos décideurs est la plus grande.

Oued Sly (w. de Chlef )