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Saipem et Technip se frottent les mains

par Reghis Rabah *

Sonatrach est devenue, depuis plus près de deux décennies, une niche pour les partenaires étrangers afin de lui extorquer de l'argent après des contentieux, selon toute vraisemblance, mal conduits, consciemment ou inconsciemment, du côté algérien.

Ainsi, après la perte du procès avec la compagnie américaine Anadarko qui l'a contrainte de débourser 5.9 milliards de dollars, voilà que l'italienne 'Saipem' et le français 'Technip' se mettent sur les rails pour suivre ce filon face à un mastodonte aux pieds d'argile qui peine à se défendre. Du côté italien, 'Saipem' vient d'ester en justice Sonatrach pour des avenants contenant des travaux complémentaires et supplémentaires, au contrat initial, relatif au champ de Menzel Ledjmed, mitoyen de celui de Hassi Messaoud pour réclamer plus d'un demi milliard de dollars. Dans cette affaire, des considérations politiques ont marqué de leur empreinte la procédure judiciaire puisque la partie algérienne saisie, depuis début 2014, se laisse faire sans informer l'opinion publique pour des raisons que tout le monde devine. Ce n'est pas tout, l'italienne dont la présence, en Algérie, est entachée de scandales répétitifs, voudrait mettre le contrat des installations de séparation GPL pour un montant de 171 millions de dollars et semble décidé d'aller, en avant, profitant des lacunes dans la gestion de son adversaire. 'Technip' qui connaît, très bien, pratiquement, toutes les installations pétrolières et a fortiori, les raffineries algériennes, n'aurait pas pu sous-estimer le montant du marché portant sur la réhabilitation, la rénovation et l'agrandissement de la raffinerie d'Alger, pour un montant initial de près d'un milliard de dollars. Dès le départ, cette affaire visait un contentieux avec, probablement, des complicités de l'intérieur même de Sonatrach. Aujourd'hui, et après la décision du tout nouveau P-DG de l'entreprise nationale, de résilier tout simplement ce contrat, des rumeurs persistantes du côté français font état de l'intention de 'Technip' de porter cette affaire devant une juridiction internationale pour demander réparation et quelle réparation ? Connaissant la crise économique que connaissent la France en général et les entreprises françaises, en particulier, 'Technip' n'aurait pas tenté, cette action, si elle n'était sûre ou assurée de son issue. La fragilité de Sonatrach est telle qu'elle est devenue un tremplin pour les multinationales qui la vide, non seulement de ces cadres formés à coup de devises fortes mais maintenant de ses caisses. Comment, historiquement, a évolué ce géant pétrolier dont le dessein est, intimement, lié avec celui de la Nation algérienne, toute entière ? Par quel artifice y sont ancrés les virus de la corruption ? Depuis quand a commencé, réellement, la dérive de sa gestion ?

Sonatrach a des objectifs politiques et après !

Sonatrach a été créée le 31/12/1963 comme un instrument de l'Etat pour rechercher, exploiter et commercialiser les richesses fossiles de la Nation algérienne et mettre à sa disposition des capitaux pour le développement des autres secteurs de l'Economie nationale. Elle est, aussi, un réservoir pour le recrutement, afin d'assurer des emplois pour la majorité d'une population active qui n'a que trop souffert de l'indigénat. Ceci a été planifié et connu de tous les Algériens, dans le cadre du premier Plan triennal qui vise le plein emploi et c'est normal sinon a quoi aurait servi l'Indépendance nationale ? Est-ce une bonne ou mauvaise approche, n'est plus une question à poser 50 ans après. Il s'agit d'un choix consensuel pris après le départ massifs des colons et la vacance des moyens de production et surtout la soif du citoyen algérien de recouvrir sa dignité, après 130 ans de colonisation. Toujours est-il, jusqu'à la mort du Président Boumédiene, elle assumait, parfaitement, les contradictions entre ces objectifs politiques et sa démarche managériale. Elle a confirmé sa mission pour le compte de l'Etat et au service de la Nation algérienne, dès sa naissance, en construisant, en 1964 le premier oléoduc algérien, l'OZ1, d'une longueur de 805 km, reliant Haoud El Hamra à Arzew. Elle décide de lancer la grande aventure du gaz, en mettant en service le premier complexe de liquéfaction de gaz naturel, dénommé GL4Z (CAMEL - Compagnie Algérienne du Méthane Liquéfié), d'une capacité de traitement de 1,8 milliards m³ gaz/an et mis en service de la raffinerie d'Alger.

Ces œuvres seront suivies de nombreux complexes et découvertes de gisements, sans compter le lancement d'un vaste programme de formation des cadres, aussi bien en Algérie qu'à travers le monde pour les préparer à la relève et surtout à la capitalisation, la consolidation et la fertilisation du savoir et du savoir-faire pétrolier pour les générations futures. Sa stratégie de l'époque visait, non seulement, la recherche, l'exploitation et la commercialisation des hydrocarbures mais aussi un espoir de transférer l'expertise para-pétrolière dans la vision de l'après pétrole. C'est ainsi que sont créés, en partenariat avec les multinationales, les fameuses " AL " Alfor, Alsim, Aldim, Alfluide, Alreg, Aldia, etc. Il s'agissait d'injecter les cadres formés à l'étranger, à l'IAP et l'INH pour, justement, apprendre et maîtriser les opérations para-pétrolières, afin de limiter, à long terme, l'intervention des compagnies étrangères.

Première dérive de Sonatrach

A la mort du président Boumédiene et l'arrivée au pouvoir de Chadli Bendjedid et la nomination de Abdelhamid Brahimi, comme Premier ministre, le discours devait changer avec des implications sur le terrain qui s'écartaient, peu à peu, de la ligne suivie pour atteindre les objectifs, objet du consensus : le gigantisme des sociétés nationales, l'efficacité selon le principe " Small is beautifful ", la tentative d'abandon des hydrocarbures comme stratégie de développement, le désengagement progressif de l'Etat vis-à-vis des différentes institutions publiques, pour, selon le discours politique, une meilleure efficacité budgétaire. Cette approche qui ne se fonde sur aucun diagnostic sérieux, devait mener Sonatrach, comme toutes les autres entreprises nationales à subir un lifting forcé par une restructuration suivant le décret 80-242 du 4-10-80 portant sur la restructuration organique et financière des entreprises. Il est difficile, aujourd'hui, de situer la responsabilité. En quoi consistent, exactement, les changements sur le terrain ? Deux volets peuvent résumer ces changements : un volet macro-économique qui a touché à la vie, hors entreprise des citoyens en général et des travailleurs en particulier, un autre micro-économique qui a porté sur l'organisation, en général de l'entreprise elle - même et Sonatrach, en particulier. En ce qui concerne le premier volet, les chiffres montrent qu'il y a eu une réorientation des investissements des secteurs productifs au profit des infrastructures et ceci a ralenti l'effort d'industrialisation et par voie de conséquence ne contribue plus à assurer l'indépendance économique, objet du consensus.           Cette désintégration de Sonatrach l'a affaiblie et l'a rendue vulnérable.

Le sureffectif, par exemple, issu de sa restructuration organique l'a obligée à bloquer les recrutements ce qui a ouvert les brèches à la gabegie, la politique de copinage et surtout a favorisé le recrutement familial au détriment des compétences. Son désengagement progressif, vis-à-vis des entreprises para-pétrolières, en les mettant, directement, en concurrence déloyale avec des entreprises étrangères, les a, carrément fait disparaître de la circulation et ceux qui restent évoluent difficilement.

Ceci a renforcé l'intervention étrangère dans sa gestion en ouvrant la voie à l'encanaillement de son encadrement.

Chakib Khellil a achevé l'œuvre d'Abdelhamid Brahimi

Contrairement à ce qui est dit ici et là, Chakib Khellil n'est pas revenu en Algérie dans les bagages de Bouteflika, lors de son voyage aux Etats-Unis mais, non seulement il y était déjà et pourrait en être l'artisan principal dans la préparation de ce deuxième voyage d'un président algérien dans ce pays, durant ce week-end, du début de juillet 2001. Pour rappel, à peine 6 mois après son investiture, le 15 avril 1999, Bouteflika fait appel à Chakib Khellil d'abord comme conseiller, le 1er novembre 1999 puis ministre de l'Energie et des Mines moins d'un mois après. Il faut préciser que ce responsable prend sa retraite anticipée de la Banque mondiale, en octobre 1999 pour se présenter en Algérie le 1er novembre de la même année. C'est la preuve par 9 que son retour dans le pays a été bien préparé et relève d'un choix délibéré, suite à des propositions alléchantes dont bien entendu le premier responsable du pays en est l'auteur. La problématique est simple, Bouteflika promettait aux Algériens qui voteraient pour lui de réhabiliter l'Algérie pour améliorer sa réputation à l'International, il a donc confié les dossiers économiques épineux à des hommes de confiance dont celui de l'Energie. Les dossiers économiques, notamment dans le domaine énergétique, semblent avoir été l'élément essentiel du programme de la visite du président aux USA, pour valider son accord et ouvrir la voie à son ministre de l'Energie et des Mines afin de crédibiliser sa démarche dans ce pays. Ce désengagement du président de la politique intérieure s'explique par son insistance de vouloir mettre, au service de l'Algérie, son expertise dans la diplomatie. On se rappelle son rôle très actif dans le Nepad et l'Union Africaine. Le règlement des conflits Ethiopie /Erythrée, la paix en Somalie, la réhabilitation de la Libye, sa médiation au Soudan et entre l'Iran et les USA, etc. Pendant ce temps Khellil appliquait, en toute liberté, sa stratégie car même les chefs de gouvernements qui se sont succédé n'avaient que peu d'autorité sur ce que les médias ont appelé les hommes du président. C'est le seul responsable qui affichait, avec une certaine fierté, cette appartenance, de différentes manières, dont nous verrons plus loin.

Le passage de Khellil à Sonatrach l'a vidée de ses cadres.

Son bref passage de plusieurs mois à Sonatrach, en cumulant, en même temps, la fonction de ministre lui a largement suffi pour et, il n'est pas exagéré de le dire, procéder à un " viol " de la structure des valeurs de base que l'entreprise a développées depuis près de 40 ans et qui lui a permis de surmonter ses problèmes d'adaptation externe ou d'intégration interne. Il a acculturé l'entreprise pour avoir imposer des procédures ramenées d'ailleurs et pour lesquelles l'entreprise n'était pas encore prête à accepter. N'oublions pas que Sonatrach est la mamelle de tout le circuit économique et social. Les brainstormings et les " R " qui marginalisent le code des marchés publics. Il voulait en faire d'un bien public, une entité qui obéissait au droit privé. Ayant déjà travaillé au secteur de l'Energie par le passé, il connaissait les points faibles de certains cadres et leur schème motivationnel et surtout le moteur de leurs prédispositions. Il a réussi à reproduire le schéma d'en haut, à la perfection. Il est le seul membre du gouvernement à s'impliquer, directement, dans la politique et ouvertement dans la campagne électorale à travers des contributions personnelles et non en tant que ministre, dans les journaux nationaux. La première, au moment du déclenchement de la polémique sur la maladie de Bouteflika. Dans cette contribution, il vantait les mérites du président, sous la forme d'une vraie pré-campagne, dans laquelle il s'engage au point où de nombreux observateurs le donnaient comme le prochain chef du gouvernement. Dans la seconde, il livre un bilan perspectif de secteur de l'Energie et des Mines. A le lire, il semblait très content que les hydrocarbures continuent de représenter 98% des recettes du pays. Il prétend avoir tiré les leçons de la crise asiatique pour " concevoir une politique nationale, notamment en matière d'hydrocarbures ". Il retrace l'historique avec, en tout petit, la période 2005-2006 pour, certainement, éviter de montrer son échec dans l'élaboration de la loi sur les hydrocarbures.

Il donne les chiffres sur le paysage énergétique comme s'il en est l'auteur alors qu'il s'agit d'un programme amorcé, quelques années après l'Indépendance. Il passe en revue l'ensemble des lois qu'il a produit depuis celle de la maîtrise de l'Energie jusqu'au projet de loi sur le nucléaire. Il promet que l'Algérie réalisera des recettes de 55 milliards de dollars/an jusqu'à 2040. Pourquoi spécialement 2040 ? Enfin, pour lui, l'homme est la première et ultime richesse du pays et il en fait son credo.

L'opinion publique n'était pas dupe, elle constate, de visu, que ce ministre s'implique plus dans l'opérationnel que le stratégique. Il a étouffé les deux grandes entreprises du secteur de l'Energie en s'ingérant, directement dans leur gestion. Les énormes investissements à consentir par Sonatrach pour ramener les capacités de production du brut à 2 millions de baril / jour et le gaz à 85 milliard de m³ est contesté par de nombreux experts qui en voient un gaspillage des ressources naturelles, gage des générations futures contre des dollars qui font l'objet d'un recyclage dans le trésor américain.

Il a donc, avec des cabinets étrangers, brillé dans la confection des lois, domaine dans lequel, il excelle pour l'avoir appris et utilisé dans le cadre de sa mission d'expert à la Banque mondiale. La loi sur l'électricité n'a, non seulement, attiré aucun investisseur mais plongé le pays dans le noir par le délestage fréquent.

Quant à celle sur les hydrocarbures, tous les Algériens connaissent son cheminement. Si la mise en œuvre de ces deux lois n'a rien donné de concret, comment croire sur les projets futurs : projet de loi sur le nucléaire, etc. ? Mais ce qu'il ne donne pas, c'est le bilan de la période de sa présidence de Sonatrach. Il semblerait, selon les témoignages, qu'il a fait de Sonatrach et Sonelgaz un vrai terrain de bataille. Profitant de la campagne électorale, il s'est débarrassé de tous les anciens P-DG et cadres dirigeants qui contestaient sa politique de gestion. Il a procédé à un vrai 'noyautage' de l'entreprise. Il nomme à Sonatrach ses collaborateurs au ministère pour avoir, en 4 ans, jugés de leur docilité et obéissance. D'abord, il désigne le secrétaire général de l'Entreprise, ensuite le P-DG de Sonatrach lequel fait monter son fils du simple magasinier au poste de cadre supérieur, aujourd'hui, poursuivis par la justice dans l'affaire Sonatrach 01. Il confie la direction des Ressources humaines et Communication du groupe Sonatrach à son assistante, elle-même cooptée de Sonelgaz. Il profite de l'accident survenu à Skikda pour limoger le vice-président aval et nomme son ancien directeur des Ressources humaines et communication et ainsi de suite. Dans ce climat de noyautage total, le ministre règne en maître absolu.

Il dirige mais n'encours aucune responsabilité. Dès qu'il y a un problème, les enquêtes n'aboutissent à aucun écrit de sa part et donc c'est les lampistes qui payent : cas BRC, dossier des pièces de rechange aval, affaire Sonatrach 01 et bien d'autres. Dans cette configuration de noyautage, de suspicion, de psychose et surtout d'injustice, les cadres fuient, par centaines, les deux entreprises et ceux qui obéissaient, aveuglement, sont actuellement derrière les barreaux, ont accompli leur peine ou sont sous contrôle judiciaire. En partant, il a laissé une entreprise mal gérée, empêtrée dans la gabegie et les détournements.

-Conclusion.

Il faut dire que les jeunes cadres, censés prendre la relève, sont contaminés par leurs aînés qui se sont repliés sur eux-mêmes pour ne projeter que leurs intérêts qui ne coïncident, nullement, avec celui de l'entreprise. On est, donc, parti pour plusieurs générations pour redonner à Sonatrach l'orientation patriotique d'antan.

En plus, si les Américains se sont permis d'annoncer l'abandon des poursuites judiciaires de l'Algérie contre Khellil, c'est que son esprit plane, encore, sur cette entreprise, s'il n'est pas encore présent sous une autre forme ?

* Consultant, économiste pétrolier