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Destination Tunisie : par solidarité ou faute de mieux pour les Algériens ?

par Cherif Ali

La Tunisie est la première destination touristique des Algériens, chaque année, des milliers d'entre eux passent la frontière-est, pour quelques jours de vacances chez le voisin.

Cette année, la donne a changé, l'attaque meurtrière sur une plage de Sousse qui s'est soldée par 38 morts, a fait fuir les touristes européens et semer le trouble parmi les Algériens. Faut-il maintenir ou annuler ses vacances en Tunisie, se disent la plupart d'entre ceux qui ont projeté de s'y rendre ? La question a enflammé les réseaux sociaux : « il faut être solidaires avec les Tunisiens, répondent les internautes! ».

Il faut dire que les Algériens représentent, pas moins, de 20% des entrées aux frontières tunisiennes, avec près de 1,2 million de touristes. C'est le marché qui a réalisé la plus importante progression, en 2014, pour des recettes estimées à 3,57 milliards de dinars, devançant la Grande- Bretagne (+4%) et l'Italie (+9%). Il est clair que l'enjeu est de taille pour les Tunisiens, leur pays risquant de perdre quelque 450 millions d'euros, si la saison estivale est gâchée. Tous les officiels tunisiens sont mobilisés et leurs appels du pied sont assourdissants : « Aidez-nous à sauver notre démocratie naissante et notre économie si fragile ! », répètent-ils à l'unisson. Les Français se disent sensibles et en haut lieu, ils tentent de véhiculer l'appel du président tunisien, Beji Caïd Essebsi, auprès de leur opinion nationale. Les réactions sont mitigées pour ne pas dire défavorables, si l'on se réfère à cet internaute français, qui a publié le message suivant : « Hollande et Fabius conseillent le tourisme en Tunisie, alors que le gouvernement US l'interdit depuis 3 ans ! Mes vacances, monsieur Hollande, poste l'internaute, c'est pour le plaisir de mes enfants avec une motivation première, revenir vivants ! Mes vacances, monsieur Fabius, ce n'est pas aller soutenir une démocratie balbutiante, ou légitimer, a posteriori, le renversement de Benali ! Injustifiable de faire de mes enfants les otages de vos choix politiques ! ».

En Tunisie, le président vient de décréter l'Etat d'urgence, pour 30 jours ; pendant ce temps-là, de ce côté-ci du Maghreb, les appels se multiplient pour sauver notre voisin de l'Est qui vient d'être frappé par la barbarie terroriste, dont nous avons tant souffert. La solidarité est un principe noble, écrivait un éditorialiste, mais il serait louable d'y recourir, également, quand le drame survient intra-muros. Il n'y a jamais eu d'appel à « envahir » Tikjda, ajoute-il après l'odieux assassinat d'un alpiniste étranger, l'année dernière ; encore moins en 1995, quand des terroristes ravageaient l'hôtel touristique de Tala Guilef, sur les hauteurs du même massif du Djurdjura ! « Venez en Tunisie, où vous serez comme chez vous ! » L'appel, pathétique, faut-il le dire, passe en boucle ; il est même relié par Djamel Ould Abbes qui, imitant Jack Lang, le ministre « éternel » de la Culture en France, pense qu'il est le « dépositaire » attitré de la solidarité en Algérie ! Cela a fait grincer quelques dents en haut lieu, paraît-il.

La ministre du Tourisme Mme Selma Elloumi Rezik, agissant, en VRP missionné par son pays, a sorti la grosse artillerie : « la Tunisie, a-t-elle affirmé, a mis en place bon nombre de mesures pour sauver la saison estivale, telles l'annulation du timbre fiscal imposé aux étrangers à leur sortie du territoire, l'entrée sans visa pour les touristes russes, angolais ou burkinabais, ou encore la réduction de 30% sur les tarifs des transports aériens et maritimes pour les Tunisiens résidant à l'étranger ». Il semblerait, toutefois, que cela n'a pas suffit à décider les vacanciers, nombreux à annuler leur séjour. Un journal du soir algérien a rebondi sur l'information en posant la question à ses lecteurs : « avez-vous été rassurée par les mesures prises par les autorités tunisiennes concernant la sécurité des touristes ? Le « non » l'emporte à 69,92% contre 22,84% pour le « oui » ! ». Malgré ce sondage défavorable, les Algériens iront, quand-même, en Tunisie, pensent beaucoup d'entre nous, non pas pour exprimer leur solidarité, mais faute de trouver mieux chez eux, en matière d'infrastructures et de loisirs touristiques ! Selon un dernier rapport du Conseil mondial du tourisme et du voyage (WTTC), basé à Londres et réalisé dans 184 pays, l'Algérie se positionne à la 111ème place sur 184 pays, loin derrière la Tunisie (49ème) et le Maroc (38ème). Bien sûr, la fierté nationale en prend un coup, et pour se donner bonne conscience, les Algériens continuent de râler sur les réseaux sociaux : «maintenant que les Européens ont déserté les hôtels de Tunisie, les euros algériens sont bons à prendre ! », postait un compatriote qui a ajouté : « si l'Algérien veut être solidaire avec le Tunisien, il doit encourager le tourisme familial et boycotter les grands complexes des multinationales où les touristes européens payent leur séjour, aux agences dès le départ !».

Terrorisme ou pas, les Algériens iront, en définitive, se baigner à Sousse s'il le faut, non parce qu'ils sont téméraires, mais parce que leur pays compte 220 plages interdites à la baignade, pour cause de pollution, et les deux tiers des plages restantes sont infréquentables pour les familles !

Les Algériens continueront d'aller en Tunisie, puisque toutes les politiques touristiques nationales ont échoué ; leur pays est pourtant très vaste, avec des sites innombrables, une côte interminable, où les places d'hôtels vacantes sont inexistantes ou infimes au regard des besoins exprimés ou latents ; ni les hôtels de gamme moyenne encore moins les auberges bon marché ne sont disponibles ; l'Algérie se targue d'avoir 60 hôtels parmi la gamme de luxe, mais il n'existe que très peu d'hôtels classés dans la gamme moyenne (2 et 3 étoiles) et, souvent, les estivants sont confrontés aux tarifs dissuasifs et rédhibitoires de la nuitée à 10.000 DA et plus !

On a toujours parlé au ministère du Tourisme de lancer le tourisme, ou de le relancer : faut-il commencer par réanimer le tourisme domestique et donc commencer par satisfaire une demande intérieure, pesante et urgente ? Ou alors, tout miser sur une demande extérieure, hypothétique et virtuelle, soumise, de plus en plus, à une impitoyable concurrence ? Peut-on mener les deux actions en parallèle ?

Autant de questions sans réponse, dès lors que le secteur touristique est délaissé par les pouvoirs publics, qui pour l'instant, se gargarisent de discours creux et démagogiques. Certes, beaucoup a été fait, des agences de tourisme ont vu le jour, des formules de voyage ont été testées, des assises du tourisme et même des salons dispendieux sont, ponctuellement, organisés à l'étranger, pour appâter le chaland, en vain ! Un ministre chasse l'autre ! L'instabilité du secteur n'en finit pas, alors que le pays reste le même, dans ses constantes : plus de 1000 km de bord de mer, des montagnes boisées, surplombant plusieurs vallées et même des cours d'eau ; des sources minérales à ciel ouvert ; dans le Sud et l'immensité saharienne, on trouve les ergs, les oasis, et les parcs du Tassili et du Hoggar ; en amont, des installations touristiques louables, mais franchement insuffisantes ; en aval, une demande interne, de plus en plus, croissante de vacanciers, effectifs ou potentiels, aspirant à la détente !

Comment appréhender cette équation sachant que les Algériens ne sont pas difficiles ; pour eux, il suffit de créer, ceci et cela, disent-ils, pour que les choses aillent mieux et que tout le monde puisse profiter de ses vacances intra-muros.

Le tourisme, c'est une véritable locomotive économique, en ces temps de disettes et l'enjeu qu'il implique ne peut relever du seul secteur chargé de sa mise en œuvre ! Il interpelle toutes les institutions, politiques et privées, jusqu'au moins planifiable possible, l'Algérien et sa mentalité ; c'est déjà une priorité ! Intervenir sur les mentalités des opérateurs touristiques, c'est aussi une urgence à prendre en considération !

Sauver l'Artisanat, protéger le patrimoine archéologique, rendre nos villes plus attrayantes, conserver une politique de loisirs, améliorer nos transports, renforcer la sécurité partout, promouvoir la gastronomie et l'habit traditionnel algérien, sortir le tapis de Ghardaïa et partant cette cité millénaire, du néant dans lequel ils se trouvent, rendre nos banques performantes, mettre le Wifi partout, voilà un programme, intersectoriel, plus qu'alléchant pour sortir le Tourisme national de sa régression !

Potentialités extraordinaires, sites naturels et historiques inestimables, jeunesse de la population, tout plaide pour une « naissance » du Tourisme algérien qui est, présentement, confronté à une double exigence de compétition internationale et de réponse à des besoins sociaux et culturels. Aux postes frontaliers de Bouchebka, on enregistre, quotidiennement, 900 sorties d'Algériens à destination du territoire tunisien ; à Ras El Ayoun, ils sont 200 compatriotes à vouloir changer d'air, fuir la canicule pour se baigner, tranquillement, en famille, dans les belles plages de Sousse ou à Hammamet pour profiter des délices de la thalassothérapie !

Les raisons de ce succès, très simples, se résument comme suit :

-Equipes personnalisées, espaces d'orientation pour accueillir «ce marché algérien », l'un des plus fidèles.

-Prestations hôtelières avec un très bon rapport qualité-prix.

- Plages et piscines gratuites.

- Santé et bien-être des loisirs proposés

Le secteur du Tourisme algérien dispose de grandes potentialités pour renverser la vapeur : 22 zones d'expansions touristiques ; 200 sites de sources thermales ; un littoral large de plus de 1200 km, pouvant accueillir tous projets de thalassothérapie ou balnéothérapie qui demeurent, pour la plupart, à l'état vierge ou partiellement exploités et qui peuvent constituer, à terme, de véritables villes d'eau.

La crise que vit l'Algérie en matière touristique n'est pas le résultat d'une fatalité, mais la conséquence directe, faut-il le répéter, des errements de tous ces ministres qui, pour le moins, n'avaient pas les compétences requises pour gérer le secteur. Pour justifier leurs insuffisances, ces responsables ont évoqué la question de l'insuffisance des budgets alloués. Certes le parc hôtelier a besoin d'argent pour son développement, comme il est nécessaire, aussi, de libérer le foncier pour permettre un maximum d'investissements, mais le secteur a, aussi, besoin de se débarrasser de tous ceux qui font fuir les investisseurs, lassés d'être rackettés par des responsables beaucoup plus soucieux de leur avenir que de celui du Tourisme national !

Ce grand gâchis touristique qui fait, par ailleurs, le bonheur de nos voisins de l'Est et de l'Ouest, est à inscrire, en caractère gras, sur le registre des faillites de l'Algérie indépendante. Le nom des ministres qui ont mal géré le secteur et contribué à sa ruine aussi ! Le ministère du Tourisme et c'est son principal défaut, a, toujours, voulu évoluer en solitaire, dans une insularité criarde, sans aucune inter-sectorialité ou complémentarité. Il lui manque, à ses côtés, et cruellement, un ministère de la Culture fort de ses compétences et de son budget, un ministère de la Communication percutant et un ministère des Collectivités locales géré par des experts ; il lui faut aussi, en appoint, un secteur bancaire réformé, affranchi de ses carcans et des partenaires privés mus par l'esprit gagnant-gagnant !

Selon les chiffres, l'Algérie n'a jamais dépassé le seuil d'un million de visiteurs étrangers, depuis 1963, ce chiffre inquiète et rassure dans le même temps, car il peut être un atout dans le sens ou, abstraction faite du terrorisme, des destinations voisines (Maroc et Tunisie) peuvent connaître la saturation, contrairement à la Turquie et la Croatie, ces nouvelles destinations, en vogue qui en profitent, pourquoi pas notre pays ! Pour l'instant, l'Office national de Tourisme (ONT) est à court d'idées, après s'être dépensé (inutilement?) dans les salons internationaux de second plan, voire insignifiants et dont la cible de clientèle, en termes de marketing ne correspond pas aux deux produits algériens phares : «Saharien et balnéaire» ; il s'agit des salons de Moscou, Budapest (Hongrie), Varsovie (Pologne), Tunis, Casablanca et Le Caire.

Les pays européens de l'Est s'intéressent au produit balnéaire de qualité et bon marché et présentement, seule la Tunisie les intéresse et les attire grâce à sa politique d'ouverture et ses prix imbattables ! Les pays qui doivent être ciblés à l'avenir sont l'Allemagne, à travers le salon de Berlin et la France via les salons de Deauville et de Cannes où réside une forte communauté de Pieds noirs, avides de visiter l'Algérie. Un éminent spécialiste en Tourisme international, Saïd Boukhalfa l'affirmait : «une destination touristique, en tant que produit national, se construit sur la durée, 10 à 20 ans (construction d'infrastructures adaptées, formation de personnel, campagnes promotionnelles ciblées, etc.)». Le dernier remaniement ministériel a porté, à la surprise générale, Amar Ghoul à la tête du ministère du Tourisme et l'Artisanat. Ce dernier, écrivait à son propos l'éditorialiste cité supra, donnait déjà l'impression de travailler dans un pays où les ministres, au lieu de réfléchir à l'élaboration des stratégies pour leurs secteurs, passent leurs journées à effectuer des visites sur le terrain. Depuis son arrivée au ministère du Tourisme, Amar Ghoul a cherché à reproduire le même schéma : multiplier les sorties et les visites d'inspection pour montrer qu'il travaille, sauf que contrairement aux Travaux Publics et aux Transports, où il était auparavant, les investissements de l'Etat, dans le Tourisme sont faibles. Et ceux du privé très modestes. Du coup, ses sorties donnent de lui l'image d'un responsable qui s'ennuie et cherche à s'occuper comme il peut : inspection de la plage « Clovis », dans la commune de Abane Ramdane, lancement d'un prix du meilleur travail journalistique sur le tourisme, conseils à une réceptionniste d'hôtel ou encore, rencontre-débat avec l'ambassadeur de Palestine, pour discuter « des moyens à mettre en œuvre pour le renforcement des échanges touristiques entre les deux pays » ! Le tourisme est l'affaire de tous, avait déclaré, sans conviction, Amar Ghoul, lors d'une visite dans la wilaya de Tizi Ouzou, où il n'a pas désiré se rendre à Tala Guilef pour visiter l'hôtel touristique qui a fait l'objet d'une attaque terroriste, il y a près de 20 ans ! Décidément, l'homme n'a visiblement pas le cœur à l'ouvrage, en dehors de la politique ! Une occasion ratée pour le président de TAJ et néanmoins ministre, non pas pour porter le Tourisme national sur des fonds baptismaux, il ne faut pas rêver, mais pour, au moins, commencer à marquer son territoire?touristique !