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Les enjeux géopolitiques de la dette grecque et la crise de l'Europe (2)

par Abdelhak Benelhadj

«DOUBLE-BIND». «LA FIN DE L'HISTOIRE», C'EST FINI!

1.- « Si se puede !»

Tout succès obtenu par les Grecs serait un feu vert donné à d'autres Européens qui souffrent de la même politique d'austérité et bousculerait le carcan monétariste de l'Eurozone. Cela inciterait les autres pays endettés à réclamer un traitement similaire. Sans compter la réaction rétrospective de ceux qui l'ont subie et qui continuent de la subir : l'Espagne, le Portugal, l'Irlande? A ceux-là s'ajoutent les représentants des ex-pays de l'Est offusqués de ce que les retraites servies chez eux représentent la moitié de celles des Grecs. Les gouvernements qu'on a convaincus d'accepter les «réformes structurelles» protesteraient si l'on accordait à la Grèce un régime spécial plus favorable. Cela reviendrait à promouvoir leurs opposants des partis de gauche et menacerait leur position.

L'Europe de Maastricht est contestée. Globalement, par des partis de gauche au sud et des partis nationalistes au nord. Une sourde contestation populaire, jusque-là minoritaire, gagne en crédit électoral. Les indignés de toute obédience sont au seuil du pouvoir.

La promotion (aussi bien par la «gauche socialiste» - Mitterrand a été en cela un «orfèvre - que par les gouvernements conservateurs) des partis d'extrême-droite[18] (politiques déjà expérimentées entre les deux guerres, avec les conséquences que l'on sait) pourrait très vite atteindre un optimum qui serait - à la poursuivre ? contre productif.

Samedi 13 juin. Madrid, Barcelone, Valence et Saragosse tombent. Podemos jubile.

Un remake de la République espagnole et du Frente Popular des années 30 que Blum et ses amis ont laissé tomber.

Comme l'ont été en Grèce le Parti Nouvelle démocratie et le PASOK, le PSOE et le PP sont mis hors jeu dans les régions autonomes. En attendant de se rendre maître de l'Espagne lors des prochaines législatives.

Le changement prend une dimension supplémentaire : les suffrages ont mis deux femmes à la tête des capitales de la Castille et de la Catalogne. Manuela Carmena est investie à Madrid et Ada Colau à Barcelone.

Et si l'Espagne bascule, il ne s'agira plus du 1.9% de la Grèce, mais de 10.6% du PIB de l'Eurozone. On change d'échelle.

IL Y VA PLUS QUE D'UN BOULEVERSEMENT ELECTORAL

C'est le retour d'une dynamique que l'on a tenté d'évacuer en mettant en exergue les questions «sociétales»: la diversité et l'égalité sexuelle, le «mariage pour tous», la confessionnalisation des conflits sociaux et des relations internationales, économiques et politiques, une régionalisation exacerbe les identités locales, qui attise les guéguerres régionalistes et les querelles linguistiques?

Avec un objectif désormais avoué: la réduction des prérogatives des Etats et l'accréditation d'une thèse: les Etats sont un obstacle à la construction européenne. Ronald Reagan et Margaret Thatcher, les promoteurs du monétarisme et de l'abandon de l'«Etat-providence», n'auraient pas dit mieux.

LA «REVOLUTION CONSERVATRICE» A MIS 30 ANS POUR FRANCHIR L'ATLANTIQUE ET LA MANCHE

2.- L'Union Européenne et l'Euroland, le FMI encore moins, ne peuvent accepter une remise en cause du credo fixé par les Traités de Maastricht et confirmé par celui Lisbonne, finement négociés et habilement votés et ratifiés. Tout en respectant les formes «démocratiques ».

C'EST SUR CE SEUIL QU'ONT ETE INTERROMPUES DES NEGOCIATIONS SUR LA DETTE GRECQUE

C'est pourquoi toutes les propositions de Tsipras resteront lettre morte quelles que soient les concessions auxquelles il voudrait bien consentir. A plusieurs reprises, les négociateurs grecs observaient qu'à chaque fois qu'ils acceptaient de faire un pas en direction de leurs interlocuteurs, ceux-ci s'empressaient de formuler de nouvelles exigences.

Evidemment, nous l'avons noté plus haut, ce n'est pas la dette qui fait problème, c'est la couleur politique du parti qui gouverne la Grèce. Et cette couleur jure avec la nature du projet européen conduit à Bruxelles, à Berlin et à Francfort. Sans doute aussi à Washington.

Un homme politique de droite français l'a très candidement résumé : Syriza est incompatible avec l'Union Européenne et encore moins avec l'Euroland. Et si les Grecs confirmaient Tsipras, réhabilitant ainsi un système que l'Occident libéral capitaliste avait tenu jusque-là pour définitivement vaincu à la suite de l'effondrement de l'Union Soviétique, ils devraient alors quitter l'Europe. Diantre !

3.- De son côté, le gouvernement grec, nous l'avons noté, ne peut accepter les conditions de ses créanciers sans renier les fondements même du programme politique sur la base duquel il a été élu.

Le peuple grec n'a pas voté Syriza pour que ce parti mette en œuvre la politique de ceux que les électeurs grecs ont chassés du pouvoir en janvier.

C'est pourtant ainsi que cela se passe dans la plupart des pays européens : des alternances sans alternatives.

Les partis de droite et de «gauche socialiste», permutent régulièrement sans que rien ne change[19]. Les nouveaux arrivés reprennent au mot près le discours et les actes de ceux qui ont été renvoyés par les urnes. Le Parti socialiste français se dit ainsi «social-libéral». Ces «trahisons» alternées expliquent le désappointement et le désespoir des électeurs.

LE MOT-CLE DE CES ENTRECHATS ELECTORAUX: «IL N'EXISTE PAS D'AUTRES POLITIQUES POSSIBLES»

Cela dit, dans l'hypothèse ou le référendum projeté rendrait un verdict opposé à celui souhaité par le gouvernement Tsipras, se posera la question de savoir quels principes politiques devraient en ces circonstances gouverner la Grèce.

L'ancienne politique qui a été condamnée par les électeurs en janvier ou celle qui serait récusée à peine six mois plus tard ?

Qui serait l'interlocuteur des créanciers de la Grèce? Pour défendre quels choix? Pour conduire quelle politique?

Ces questions testeraient la cohérence des électeurs. Mais, contrairement à l'apparence, elles seraient redoutables pour les créanciers de la Grèce. Bien sûr, la ruse est licite : la Troïka pourrait offrir aux nouveaux dirigeants grecs, après le départ de Tsipras, des conditions plus accommodantes refusées à leurs prédécesseurs. Cela permettra de faire d'une pierre trois coups : décrédibiliser le parti Syriza et ses homologues qui «menacent» d'arriver au pouvoir dans d'autres pays de l'Union et créditerait d'autant le retour des oppositions, par exemple, de Samaras aux affaires à Athènes.

Mais dans ce cas comment sortir une politique économique et financière qui a fait les preuves de son échec, bien avant janvier dernier ?

- Tête-à-tête gréco-allemand.

Officiellement, les négociations réunissent l'exécutif grec d'un côté et la Troïka constituée par le FMI, la BCE et la Commission Européenne, de l'autre. C'est cependant Berlin qui paraît être le véritable et intraitable interlocuteur de la Grèce. Ce sont les politiques et les experts allemands qui interviennent le plus et qui sont les plus sollicités par les médias. C'est d'ailleurs directement à la chancelière allemande que s'adresse le Premier ministre grec quand il s'agit de faire avancer les négociations, solliciter une faveur ou exprimer un ressentiment.

«Les Allemands, l'establishment européen, tout cela étrangle littéralement notre pays et resserre, semaine après semaine, le noeud coulant autour de notre économie », déclare Panagiotis Lafazanis, ministre grec de l'Energie. Il s'en est pris à Berlin et a rappelé qu'à ses yeux, le gouvernement grec ne devait pas revenir sur ses engagements, alors même que la Grèce s'emploie à faire accepter par ses partenaires européens une liste de réformes qu'elle est prête à mettre en oeuvre. Mais «aucune liste ne doit supplanter la volonté et la souveraineté du peuple», dit-il dans une interview publiée samedi 28 mars 2015 par le journal grec Kefalaio.[20]

Inversement, ce sont les Allemands qui répondent lorsque le gouvernement grec s'adresse à ses créanciers. Exemple : au lendemain de défaillance grecque à l'égard du FMI, Athènes envoie une nouvelle proposition à la Troïka et c'est immédiatement le ministre allemand des Finances, le plus en pointe et aussi le plus intransigeant dans ce dossier, qui se substitue de fait aux destinataires ès qualités, qui lui répond et qui récuse en des termes très peu « diplomatiques».

«Tout cela ne constitue pas une base pour discuter de mesures sérieuses», déclare M. Schäuble de Berlin. «C'est pourquoi la Grèce doit d'abord clarifier ses positions sur ce qu'elle veut vraiment et ensuite nous devrons en parler, dans un contexte qui s'est nettement dégradé».

Certes, l'Allemagne est le pays qui détient le plus de dettes sur la Grèce (environ 70 Mds Euros).

Mais cela ne devrait pas entrer en ligne de compte. Les Allemands sont représentés dans le triumvirat qui négocie avec Athènes et défend les intérêts de tous les Européens, y compris en principe ceux des Grecs. Chacun a vite compris que le suivi étroit par l'exécutif allemand du dossier grec tient moins aux sommes engagées qu'au manque de confiance qu'ils ont dans leurs partenaires. On y reviendra.

Il tient aussi aux raisons politiques intérieures allemandes: des opposions feutrées partagent les membres du gouvernement. A. Merkel est sous étroite surveillance. Mais la cohérence et la cohésion de la ligne allemande paraissent très solides.

N'oublions pas que les protocoles de décision en Allemagne sont très obscurs. Länder, syndicats, conglomérats familiaux labyrinthiques? C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les entreprises allemandes ne sont pas opéables et que le marché financier allemand reste bien loin derrière la City. Un autre pays partage cette propriété avec l'Allemagne : le Japon dont les entreprises échappent aux marchés (le cas Nissan est tout à fait exceptionnel). Ces deux pays sont étrangement ceux qui ont déclaré et perdu la dernière guerre? et aussi reconstitué très rapidement la puissance de leur économie. Poursuite de la «guerre» par d'autres moyens ?

Il faut regarder la réalité en face.

Ni l'Allemagne, ni la Grèce ne peuvent reculer. Les deux parlements sont partis pour bloquer toute solution qui ne correspondrait pas aux mandats qu'ils ont reçus. L'un des deux devra céder. Quand à savoir lequel, qui ne sourirait à la question ?

«Too big to fail»

Il y a les pays dont on parle beaucoup. Et il y a ceux qu'on dont on ne chuchote les malheurs que dans les salons cossus, à mot couverts.

La situation est en fait infiniment plus grave et concerne des pays absents de la scène mais qui sont au cœur des préoccupations: l'Italie et la France en situation de déficits structurels. Pour ces «grands» pays, tous les voyants sont au rouge, aussi bien dans le domaine budgétaire et financier que réel (commerce extérieur, chômage, croissance, investissement?). Dès le lendemain du Sommet qui traitait de la dette grecque, le Premier ministre français a été reçu à Francfort où il a exposé l'état d'avancement des réformes structurelles qui lui ont été prescrites par Berlin, Francfort et Bruxelles, en contrepartie d'une «compréhension» de ses partenaires et de taux d'intérêt dont l'Euroland, c'est-à-dire l'Allemagne, se porte caution.

On comprend dans ces conditions pourquoi les Français font profil bas dans le dossier grec, et cela depuis le début de la crise en 2009-2010. Tout au plus, timidement, Paris conseille de ne pas pousser la Grèce vers l'irréparable. Depuis qu'ils n'ont plus ni cap ni moyens, tous partis confondus, les Français à défaut d'agir, commentent. Il tombe sous le sens qu'ils prêchent aussi pour leur propre paroisse. Mais, cela, depuis longtemps tout le monde a fini par s'en apercevoir.

Alors qu'Athènes peine à trouver un accord avec ses créanciers, Michel Sapin ministre français des Finances devise dans un entretien au Figaro. «Les traités ne prévoient pas la possibilité pour un pays d'abandonner l'euro. Je conseille vivement de ne pas mettre un pied en terre inconnue». (AFP le 16/06/2015 à 21:26)

Conseiller ? Pourquoi pas. Tant que ça ne coûte pas. Dorénavant, c'est à Bruxelles (c'est-à-dire à Berlin et à Francfort) que Paris confectionne son budget. Le Palais Bourbon ratifie.

Les Allemands n'ont pas plus de confiance dans la parole grecque que dans celle des Français qui renient leurs engagements régulièrement et ne tiennent pas leurs promesses.

Leurs déficits sont toujours hors normes et leur dette au-delà des 60% du PIB (7 fois la dette grecque), ne cesse de croître. Les résultats économiques toujours négatifs et en-deçà des annonces et des prévisions. Reste l'art de confectionner les chiffres. Les statistiques du chômage par exemple.

A peu près les mêmes reproches faits aux Grecs qui auraient tort de compter les Français parmi leurs amis? Pas plus Giscard d'Estaing que ses ennemis les plus intimes.

Lorsque Tsipras propose le 1er juillet de reprendre les négociations, le président français approuve. Mais la chancelière désapprouve et l'Europe la suit. Les spécialistes de la com et les metteurs en scène sont dépassés. Ils n'ont pas le temps de sublimer le côté glorieux des déroutes.

A l'évidence, quand Mme Merkel parle, M. Hollande écoute.[21]

Il coule de source que l'on ne peut traiter la France comme on traite la Grèce. L'abîme n'est pas à la même échelle. Cependant, le capital « capacités de nuisances » dont Paris avait tendance à abuser s'épuise.

Jusqu'à quand ?

Les «critères de divergences»

Comme on le voit, la gravité du cas grec vient de ce qu'il masque une réalité infiniment plus préoccupante. En sorte que gérer la dette grecque est une manière de gérer sans le dire le vrai problème qui est celui des mécanismes d'endettement européen et en particulier celui des pays les plus gravement atteints : celui de la France et de l'Italie, même si la dette italienne (plus de 120% du PIB transalpin) est surtout une dette intérieure, un peu comme au Japon (mais la comparaison s'arrête là).

Lorsque l'UEM a été envisagée, l'objectif était de faire «converger» les économies européennes vers une homogénéité économique. Le pari était même que les critères ainsi fixés allaient aider, moyennant des dispositifs qui ont eu quelques succès (le FEDER par exemple), les pays «en retard» de rejoindre le groupe de tête «l'ex-zone mark».

En vérité, peu à peu on a observé que l'Europe divergeait. Et divergeait gravement. Il est vrai que la crise du subprime importée des Etats-Unis n'a pas aidé à résoudre les problèmes de l'Euroland. Toutefois, cette crise exogène ne devrait pas à son tour masquer l'échec propre des Européens.

En sorte que déclarer régulièrement que les pays qui ont initié les «réformes structurelles» se sont trouvés en meilleure santé économique et financière et ont rétabli leurs équilibres relève de la propagande. Et les «améliorations remarquables» observées en Espagne, au Portugal, en Irlande? grâce aux réformes ou même en Grèce avant l'arrivée du nouveau gouvernement Syriza, relève de la méthode Coué. Ces progrès sont soit purement statistiques, soit très fragiles, soit très partiels.

Les taux de chômage restent très élevés, les créations d'emplois sont majoritairement précaires et très mal rémunérés, le commerce extérieur à bout de souffle.

Malgré la cure d'austérité, la dette du Portugal s'est encore accrue en 2014, atteignant 130,2% du PIB. Il en est de même pour les dettes de la plupart des pays soumis aux règles édictées par les bailleurs de fonds.

Plusieurs milliers de personnes défilent régulièrement dans les principales villes des pays de l'Euroland, surtout au sud, mais pas seulement, pour protester et réclamer la démission des gouvernements. Toujours bardés des mêmes slogans «contre» : la politique d'austérité à l'origine de l'appauvrissement de la population, l'accentuation des inégalités, du chômage, de la réduction du pouvoir d'achat? La déflation alimente l'instabilité sociale? et même aggrave la situation financière qui relance la nécessité de nouveaux plans de financement des dettes. En sorte que les traitements n'apportent pas de remèdes mais au contraire aggravent le mal qu'ils sont censés traiter.

L'Europe, une monnaie ?

Dans toute cette affaire, c'est l'Europe qui est perdante, incapable de se donner un cap politique autonome et qui continue depuis 1945 de tenir le rôle de théâtre d'affrontement entre «grandes puissances » (même si la Russie n'a plus rien à voir avec la puissance qui fut celle de l'URSS).

Beaucoup se bercent d'illusions à imaginer que la Grèce hors de l'euro c'est enfin la garantie que l'Europe se débarrasse tous les problèmes d'endettement qui empoisonne son économie et sa prospérité. Qu'ils se réveillent !

L'EUROPE SE RELEVERAIT-ELLE D'UNE TELLE DEFAITE ? TOUT ÇA POUR ÇA ?

L'UE séduit encore quelques ex-pays de l'Est dépenaillés, pressés d'ouvrir leurs frontières aux chars de l'OTAN, ou bien une Turquie en perte de repères qui piétine humiliée sur le seuil de l'Europe, ou bien encore le Maroc deux fois candidat et deux fois éconduit. Il y a évidemment les hordes de miséreux et de réfugiés fuyant les guerres, venant des rives sud et est de la Méditerranée quand ils ne se noient pas dans la traversée d'une mer que beaucoup ont du mal à appeler « Mare Nostrum ». Les médias ne se sont pas attardés sur le refus des Norvégiens ou des Suisses de rejoindre l'UE. Et ils ont vite évacué le refus de l'Islande en mars dernier.

«SI L'EURO ECHOUE, L'EUROPE ECHOUE».

Ce mot terriblement signifiant de A. Merkel ce lundi 29 juin qui ne semble pas s'apercevoir qu'il y a aussi des pays européennes qui n'appartiennent pas à l'Euroland, résume assez bien les causes et les origines (lointaines) de la catastrophe.

Le 29 juin, le président de la Commission, J. C. Juncker s'aligne : « Je demanderai au peuple grec de voter ?oui' au référendum. Un non au référendum voudrait dire ?non' à l'Europe». On est ainsi passé de l'Europe des peuples à l'Europe de la monnaie.

On sait que Mme Merkel est sous la pression des rentiers allemands qui tiennent à la valeur de l'euro, parce qu'on leur a trop parlé de la fin de la République de Weimar (et du monstre qui lui a succédé) et qu'on les a convaincus que la valeur de leurs retraites dépendait de la valeur du deutschemark appelé aujourd'hui euro.

Au début des années 1990, tous les efforts ont été déployés pour la mise en place de l'Euroland, passant ainsi d'une monnaie commune (en 1979 l'E.C.U., un succédané de Bretton Woods, abandonné par Nixon en 1971) à une monnaie unique, l'euro. Pour ce faire, des critères de convergence ont fait beaucoup diverger les conditions économiques et sociales en Europe.

Aujourd'hui, avec la sortie probable ou possible de la Grèce, c'est l'idée même d'Europe qui est perdue. L'utopie européenne (celle des « Pères fondateurs ») a lamentablement échoué sur la grève des rapports d'intérêt nationaux. De la solidarité à la mise en concurrence des Européens. Les Européens découvrent que le marché est étendu à des dimensions qu'ils croyaient préservées de la compétition et ne pouvaient conférer d'avantages comparatifs : les salaires, la santé, l'éducation, la fiscalité?

A l'évidence, l'esprit solidaire a définitivement déserté le continent qui se dégrade en un vaste syndicat d'intérêts, tempéré par le souvenir des horreurs de la dernière guerre.

Pour la première fois dans son histoire, un membre de l'Union est chassé de la famille. Comme le ministre grec des Finances avait été chassé de la réunion de l'Eurogroupe.

Cette idée n'est pas totalement farfelue, puisque la Belgique menace d'éclater en Wallonie et Flandre, la Catalogne de s'évader du royaume d'Espagne, l'Ecosse de se séparer du Royaume uni ou l'Italie dégénérer en principautés, elle ?sous l'influence de l'Autriche et de la France - qui n'a jamais pu se reconstituer depuis la fin de l'Empire Romain. La chute de l'URSS, explosée en un confetti d'Etats a montré le chemin.

L'EUROPE DE MAASTRICHT A LISBONNE EST-ELLE A MEME DE FABRIQUER UNE NATION EUROPEENNE ?

Perspectives.

La crise en cours entre la Grèce et ses créanciers soulève et dévoile deux aspects passablement négligés. L'évolution de l'Allemagne au cours de cette crise. Par ailleurs, braqués sur celle-ci, on a négligé ses prolongements régionaux et globaux.

Le constat est cependant limpide : la crise est rude et ses conséquences difficiles à gérer, mais c'est une bénédiction pour l'Allemagne. Pourquoi ?

1.- L'Europe germanique: le «couple franco-allemand», c'est fini.

Avant même les conséquences qu'elle va inévitablement entraîner, la crise grecque a fait perdre de vue une véritable révolution. Tout le monde savait que l'Europe était sous direction allemande.

La différence est que maintenant ça se voit et que les Allemands ne s'en cachent plus.

Jusque-là et depuis la fin de la guerre, les politiques allemands ne se mettent pas sous les feux de la rampe. Le poids du passé, l'hubris et la tératologie nazi, n'incitait guère à la forfanterie. Un pays occupé n'avait que de faibles marges de manœuvre, mais il n'était pas dépourvu du sens des réalités. Cette discrétion leur a coûté et leur a fait avaler de nombreuses couleuvres. Depuis la Réunification, les observateurs les plus fins ont noté une certaine émancipation germanique.

Aujourd'hui, la gestion de la crise grecque le montre de manière évidente, la prise de pouvoir par l'Allemagne ne fait plus débat. Cela a une conséquence. L'histoire retiendra que la mort du couple franco-allemand date de ces mois de juin-juillet 2015. La construction (en voie de déconstruction) de l'Europe n'a plus de clé de voûte. Et n'en a plus l'usage. L'Allemagne n'a plus besoin de la France. Et la France n'est plus du tout en état de représenter le moindre contrepoids face à son voisin.

N. Sarkozy avait tenté de jouer en solo d'une piètre Union Méditerranéenne, entraînant derrière lui un assortiment de pays dissemblables, sans ressources, orphelins de caps et de destin. Sur ordre de Berlin, les cordons de la bourse lui ont été prestement coupés. Il devait se rabattre sur un processus de Barcelone indigent, depuis défunt, qu'Israël s'était appliqué à occire car il n'était plus d'actualité.

Plus de projet et plus de moyens, la France aurait pu organiser autour d'elle la Péninsule Ibérique et l'Italie pour un Euroland équilibré et complémentaire que l'Allemagne n'aurait pas renié. Ç'aurait pu être un beau mariage entre la rigueur froide septentrionale et la créativité chatoyante méridionale. On se souviendra que c'est auprès de Vivaldi que Jean Sébastien Bach a trouvé le génie de ses ouvertures et que le baroque transalpin a irrigué l'intelligence germanique. Tandis que la zone Mark se reconstituait et améliorait ses performances en intégrant les pays de la Mitteleuropa, les rives sud étiolaient. La France n'a pas su profiter du handicap considérablement dispendieux qu'a représenté l'unification allemande pour ses voisins d'Outre-Rhin.

Ce rappel est indispensable car il permet peut-être de comprendre la démarche allemande et le sort qui sera fait à cette crise.

L'Allemagne n'acceptera que deux sorties possibles au problème grec, et plus largement à l'état actuel de l'Eurozone.

- Soit ses partenaires dans l'euro acceptent la constitution d'un gouvernement économique fréquemment évoqué, en sorte que nul gouvernement ne puisse de son propre chef tirer parti des avantages de zone sans contrôle de ses dépenses.

Ce choix impliquera dans une première phase une concession douloureuse que beaucoup d'européens, certains français notamment, refuseront: le patron de cette zone économique et monétaire est tout désigné. Ce sera à Berlin que siègera le gouvernement de cet ensemble politico-économique.

- Soit l'Allemagne se repliera sur sa zone mark élargie et reprendra un autre projet, lui aussi agité depuis longtemps, d'un Euroland et d'une Union à plusieurs vitesses. Dans ce cas, la France et l'Italie, et d'une manière générale toute l'Europe du Sud, pourraient très bien suivre le sort qui sera fait à la Grèce. En attendant d'être plus tard réintégrée dans un nouveau Reich plus acceptable. Quelle que soit l'hypothèse, l'Allemagne se passera du FMI comme chien de garde pour domestiquer les écornifleurs qu'elle ne parvenait pas jusque-là à mettre au pas. Et alors elle pourra participer au jeu planétaire d'où les nations mineures seront exclues.

Axe Athènes-Moscou.

Le système politico-médiatique pratique plus l'algèbre que la géométrie. Plus l'histoire que la géographie. Ce n'est pas pour étonner: quand on ne sait plus vers où se tourner il est plus facile de s'inspirer des expériences passées que de se mettre à la fenêtre ou de regarder une carte de géographie.

Il suffirait pourtant de contempler la carte de la Grèce pour noter l'évidence: Athènes est plus proche de Damas ou du Caire que de Londres, de Paris ou de Berlin.

Toutefois, si l'histoire n'explique pas tout (même en Grèce), elle n'interdit pas de comprendre.

Dans une déclaration au journal Ephimerida ton Syndakton, Alexis Tsipras écrit: «Nous attendrons patiemment jusqu'à ce que les institutions se rallient au réalisme», estimant que seul «l'opportunisme politique » les conduit à demander de nouvelles coupes dans les retraites, l'un des points d'achoppement dans les négociations qui ont été interrompues dimanche soir sans résultat. Il les invite à «méditer» sur deux points : « Nous ne sommes pas seulement les héritiers d'une longue histoire de lutte. Nous portons aussi sur nos épaules la dignité d'un peuple et l'espoir des peuples d'Europe ». (AFP le L. 15/06/2015 à 12:15)

De la forfanterie ? De l'ironie déplacée ? De la démagogie ou de l'infantilisme révolutionnaire ?

On ne comprendrait pas la résistance tenace du peuple grec et son attachement à sa souveraineté, si l'on ne faisait pas un retour rétrospectif sur son histoire, en particulier sur sa combativité face à l'occupant nazi pendant le dernier conflit mondial. Les maquis communistes grecs ont écrit des pages du livre d'histoire de l'Europe contemporaine. C'est eux qui dominaient le paysage politique hellène après la défaite allemande.

Les Britanniques aidés par les Américains et les mafias locales, dans une guerre civile mortifère (décembre 44-janvier 45), ont écrasé les réseaux de gauche forgés au cours de la guerre.

De cette partie de l'histoire on n'a retenu que la querelle faite récemment à l'Allemagne, rappelant à celle-ci ses responsabilités dans la destruction du pays et l'effacement d'une partie de sa dette en 1954. Malgré les compromis Staline-Churchill sur les Balkans aux lendemains de la guerre, les liens entre la Grèce et l'URSS ne se sont jamais complètement rompus. Mieux, la dictature des colonels, tenus à bout de bras par Washington ainsi qu'il en fut en Amérique Latine des régimes militaires dictatoriaux, a entretenu en Grèce une culture de gauche très vivace.

Des intellectuels et artistes tels que Mikis Theodorakis ou Kostas Gavras portent haut les emblèmes de cette culture qui dépasse les engagements partisans. C'est par ce chemin que le parti Syriza a accédé à la tête de l'Etat grec.

Sans cette référence à l'histoire, on comprendrait mal le poids des différents partis et les oppositions radicales qui les lient. On ne comprendrait pas davantage la résistance opiniâtre du gouvernement grec aux pressions très fortes qu'il subit et l'acharnement entêté de ceux qui les exercent, parfois sans considération pour les conséquences globales qu'elles risquent d'entraîner.

NOUS VOILA RENVOYES 70 ANS EN ARRIERE ?

Les membres du gouvernement grec font régulièrement le voyage de Moscou. Evidemment au grand dam de la Commission du FMI et des atlantistes européens.

L. 30 mars. Le ministre grec de l'Energie, Panagiotis Lafazanis, est y reçu par son homologue russe Alexandre Novak et par le patron du géant gazier Gazprom, Alexeï Miller, une semaine avant la visite du Premier ministre grec Alexis Tsipras en Russie. Ce dernier est un invité d'honneur à Moscou où il est accueilli fréquemment en grandes pompes.

Le précédent gouvernement grec, de centre droit, avait l'intention d'accélérer le projet de vente de 65% de la compagnie de distribution de gaz DEPA, un premier projet de vente à Gazprom n'ayant pas abouti en 2013. Dans les jours qui ont suivi l'arrivée au pouvoir de Syriza fin janvier, Lafazanis a annoncé qu'il annulait ce projet. DEPA a négocié avec Gazprom des tarifs plus avantageux, étant l'une des premières entreprises européennes à obtenir cela en 2011. Pour desservir le sud de l'Europe, Gazprom comptait construire South Stream mais le projet s'était heurté à l'opposition de Bruxelles, sous pressions américaines, et a été abandonné brutalement fin 2014 en pleines tensions liées à la crise ukrainienne.  

LA BULGARIE QUI L'AURAIT BIEN VOULU A ETE CONTRAINTE DE S'EN PASSER

A la place, le groupe russe va construire un nouveau gazoduc vers la Turquie, dont la construction doit commencer prochainement. Un accord devrait être signé par le Premier ministre grec Alexis Tsipras pour le prolonger sur le territoire de la Grèce. Si la Grèce choisit de se rapprocher de Moscou, c'est parce que les Occidentaux ne lui laisse pas d'autres choix et l'accule à abdiquer et à se ruiner. Cette situation ressemble beaucoup (toutes proportions gardées) à celle de Cuba au début des années 1960 qui n'était pas au début de son opposition à Washington dans une logique Est-Ouest. Los Barbudos de la Sierra Maestra n'étaient pas des communistes doctrinaires.

Ce fut aussi un peu la situation de l'Egypte nassérienne contrainte de se tourner vers l'Union Soviétique pour sa défense et sa prospérité (chacun se souvient de la réponse faite à l'offre du Caire pour l'aménagement de la haute vallée du Nil et la construction du barrage d'Assouan).

Certains demandent et même exigent que la Grèce sorte de l'Euroland. D'autres, suggèrent qu'il ne serait pas choquant de la bouter hors de l'Union.

Est-il inimaginable, dans ces conditions, de voir Athènes quitter l'OTAN ?

Tout se passe comme si tous les conflits percolaient, rebondissant les uns sur les autres, selon les coups que s'infligent les adversaires: la situation en Palestine, la bombe iranienne, les «printemps arabe», (en Tunisie, en Algérie, en Libye, au Yémen, en Egypte? dans les pays du Sahel, de l'Océan Indien à l'Océan Atlantique), les guerres entamées depuis le «11 septembre » en Afghanistan et en Irak, leur prolongement au Pakistan, le coup d'Etat en Ukraine (février 2013) et la partition de ce pays?

Les médias continuent à traiter ces différends de manière séparée, mais tous les observateurs attentifs voient bien les liens de causalité qui les unissent selon l'évolution d'une tension qui fait penser à la « Guerre Froide ».

En guise de très provisoire conclusion. A méditer.

«On résiste pour toute l'Europe».

Les événements se précipitent et tous les protagonistes en cette affaire font leurs calculs et ourdissent leurs arguments.

Chacun devra cependant garder à l'esprit ceci:

Ci-après ses performances sous gouvernance libérale, avec l'aide de l'Europe et du FMI, entre 2009 et 2014

- La Grèce a perdu un quart de son produit intérieur brut:

- Baisse de 45% des retraites

- Doublement de la pauvreté. Un quart de la population grecque vit en-dessous du seuil de pauvreté.

- Les salaires et retraites sont passés de 26 milliards d'euros en 2010 à 18,5 milliards en 2014. Et les salariés annonçant que leur paie a été divisée par deux sont légion.

- Triplement du taux de chômage qui est passé de 10,3% en 2009 à plus de 27%, après un pic à 28% fin 2013, et la baisse soudaine des cotisations a mis sur le flanc le système des assurances sociales.

- Quelque 200 000 fonctionnaires ont été remerciés, et 130 000 entreprises ont fermé.

- Le pouvoir d'achat a chuté de 40% en 4 ans.

- Et la dette a augmenté de 35%.

Pour couronner le tout : en pourcentage, le budget militaire grec est le plus élevé de tous les pays de l'Union. On croit rêver.

Comment peut-on après cela convaincre les Grecs que le pire les attend s'ils sortaient de l'Euroland ?

Le sort d'un Sisyphe condamné à perpétuité. Comment pourrait-on persuader quiconque de s'accommoder de ce destin merveilleux à savoir : se serrer perpétuellement la ceinture pour espérer emprunter perpétuellement des sommes toujours plus élevées afin de rembourser une dette perpétuelle ?

Avec ou sans Syriza, avec ou sans la Grèce, l'Europe de Maastricht restera confrontée aux mêmes difficultés. Aujourd'hui, la Grèce. Demain, l'Espagne, le Portugal ou, pire, la France ou l'Italie, très mal en point. Avec une différence : La crise hellène ne sera plus là pour en masquer l'état.

Une histoire de papillon?

Dans un système chaotique à grande sensibilité aux conditions initiales, une cause mineure peut engendrer des conséquences catastrophiques. Ceux qui voudraient faire subir à la Grèce le sort fait à l'Allemagne en novembre 1918, se souviennent de Sarajevo?

Considérons les données suivantes :

- Produit Mondial Brut : 72 000 Mds$ (2012)

- Capitalisation boursière mondiale : 80 000 Mds$

(Les entreprises américaines en représentent 58%[22])

- Dette totale des Etats-Unis d'Amérique : 60 000 Mds$

- Dettes mondiales : 220 000 Mds$, soit un taux supérieur à 300%, infiniment supérieur à celui prescrit par les Traités européens (60% du PIB).

Comprend-on combien la crise grecque n'est qu'une goutte d'eau dans un vaste océan, la mèche allumée qui file vers un colossal baril de poudre? Au cours des mois qui viennent, chacun conviendra qu'il ne sera pas seulement question du sort de la Grèce.

18] En France, le Front National phagocyte le «Parti de Gauche» en reprenant systématiquement beaucoup des thèmes et du lexique de la «gauche de la gauche». Au point que cela trouble militants et cadres de ce parti. Julien Rochedy, ancien patron du Front national de la jeunesse (FNJ), quitte le parti, critiquant la stratégie «chevènementiste» du FN et notamment de Florian Philippot. «Au moment même où la droite était à terre, nous n'avons fait que du chevènementisme. On n'a parlé qu'à la gauche, on n'a envoyé aucun signal à cet électorat, dans les domaines économiques, sociétaux», regrette-t-il (Ouest-France, J. 18 juin 2015). Ne serait-ce pas à cela, outre le volet judéo-israélien des enjeux, que le FN doit le conflit entre le «père» et la «fille» Le Pen, au point d'y laisser le Saint-esprit de leur cause ?

[19] A l'exception de l'Allemagne et, récemment, de la Grande Bretagne (et encore, dans un contexte spécifique), aucun gouvernement n'a été reconduit à l'issue de son mandat. Ce qui montre à l'évidence qu'il n'existe pas de «modèle» allemand. Cas unique d'une classe unique.

[20] Reuters le 28/03/2015 à 17:26

[21] Pour rester dans le vaudeville, il y a une cause qui mobilise toutes les foules en France. Sous l'influence de son ami N. Sarkozy qui s'estime offensé, V. Bolloré, patron du groupe Canal+ songerait à faire disparaître une émission satyrique du paysage audio-visuel français. «Nous sommes tous des guignols !» hurle tout ce que l'Hexagone compte d'intelligences. Qui songerait à les démentir ?

[22] La capitalisation de Apple équivaut à plus de deux fois le PIB de la Grèce.