Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

POLITIQUE : DISCOURS «DECHRAOUI» !

par Belkacem Ahcene-Djaballah

«On a coutume de dire que tout est politique.Non. Tout est théâtre, surtout la politique» (Michel Galabru, 2006)

Profitant d'une conférence de presse qu'il a animée le 20 juin, sous la «casquette» de son parti, Monsieur Amar Ghoul a nié toute friction au sein des différentes sphères du pouvoir. «On entend parfois des gens dire qu'il y a des problèmes, au plus haut sommet de l'État ou certains disent qu'un tel est contre le président de la République ou qu'un autre soutient le président. Je peux vous dire qu'il n'y a aucun problème, ni opposition, ni lutte au sommet de l'État» Le chef de parti et, néanmoins, ministre du Tourisme, ancien ministre des Transports après l'Aménagement du territoire, la Pêche, etc? n'a pas hésité à mettre les pieds dans le plat en appelant les choses par leurs noms : «Il n'y a aucun problème entre le président de la République, aâmi (Ndlr : oncle) Salah (Ndlr : Ahmed Gaïd Salah, général de corps d'armée, chef d'état major de l'Armée nationale populaire, vice-ministre de la Défense nationale se trouvant à la seconde place gouvernementale et protocolaire après Lamamra devenu ministre d'Etat, alors que le ministre Ghoul ne se positionne qu'à la 12 ème) et le général Toufik, a-t-il précisé. «Aâmi» Salah ? On ne savait pas ce lien de parenté et/ou de proximité aussi fort.Tiens donc !? Autrement dit, la polémique médiatico-politique née de la lettre de félicitations envoyée par le général de corps d'Armée Ahmed Gaid Salah au SG du FLN, Amar Saâdani, n'aurait jamais dû, selon lui, avoir un tel retentissement. «On n'a pas été étonné par cette lettre de «aâmi» Salah ; c'est une missive de félicitations, protocolaire, ordinaire et à laquelle on n'a pas donné autant de dimension ou l'interprétation de certains» affirme Amar Ghoul, «donnant l'impression d'être proche de Gaid Salah», selon les commentateurs de presse. Concernant le général de corps d'Armée Toufik, il en dresse un portrait «délicieux» (selon les commentateurs de presse) . C'est, dit-il, « une personne honnête et nationaliste et j'ai de bons rapports personnels avec lui». Et, d'ajouter qu'il est «un excellent joueur de football». Tiens donc ! «Je suis un joueur de l'équipe du général Toufik et je joue au football avec lui trois fois (Ndlr : ??? ) par semaine», a t-il tenu à souligner. Tiens donc ! A fond la forme. Car, déjà, c'est là un rythme de compétition ou d'entraînement difficile à avoir pour un joueur amateur et encore plus lorsqu'on a une responsabilité assez lourde comme un ministère. Il est vrai que les Transports et le Tourisme facilitent les voyages et les sorties. «Ma relation avec le général Toufik remonte à longtemps. Je l'avais connu bien avant que je ne devienne ministre». Tiens donc ! Comprenne qui voudra. Mais, c'est tout bon pour les biographies qui doivent donc être revues et augmentées. Il ne s'agit pas là, pour nous, d'analyser le pourquoi du comment de ces déclarations qui ont, ou non, selon les positions politiques des uns et des autres, une signification soit profonde, soit anecdotrique. Pour nous, modeste chroniqueur de l'anecdotique, du futile et du fugace, la raison de l'étonnement est cette lourde propension de bien de nos hommes politiques officiels, donc représentant l'Etat, à s'en aller allègrement paître, sans respect des formes et des usages, dans les champs oratoires populistes... mettant à plat et banalisant ainsi, du coup, l'ordre protocolaire, l'âge, les rapports hiérachiques, les rapports gouvernants - gouvernés, Etat-citoyen, autorité- respect des lois et réglementations, ? Hypothèse ? Toutes les valeurs inter-personnelles et sociétales habituelles, pratiquées depuis des générations et des générations, se seraient effacées devant celle? de la seule participation active (réelle ou illusoire) et continuelle au «pouvoir d'en haut». Avec un langage (de rue bien plus que de salon) emprunté aux jeunes et qui a déteint : Aâmou ! Chriki ! Jari ! Khô ! Tonton ! El Hadj ! Cheikh !... Problématique : Les effets de la pratique politique sur le langage politique des décideurs? du pouvoir réel. Spécialistes de l'analyse du vocabulaire du discours politique algérien, à vos méninges ! Quelques pistes de recherche : Période de Ahmed Ben Bella : Langage populiste egocentré? à son seul profit. Devenu incompréhensible pour tous? surtout pour ses «compagnons de lutte» . Cela lui a rapidement coûté cher. Période de Houari Boumediène : Langage globalement ordonné mais froid, populaire de temps en temps, mais sachant toujours garder la distance nécessaire pour éviter d'être trop populiste ? la méfiance du militaire et du maquisard prenant le dessus. Seul, trop longtemps intériorisant ses doutes, il en a piqué une maladie qui l'a rapidement emporté. Période de Chadli Bendjedid : Langage populaire mais pas populiste. De la sincérité mais pas de vérité. Lui seul y croyait. Loin des yeux, loin du cœur ! Il est écarté. (Courte ) période de Mohamed Boudiaf : Langage populaire? trop direct. Trop vrai. Inacceptable ! Il est assassiné Période de Lamine Zeroual : Langage globalement froid et détaché, adapté à la situation tragique du pays et à une économie ravagée. Le sérieux avant tout? les seules et rares digressions (rapprochements) «populistes», sincères au demeurant, se situant lors d'évènements dramatiques. Ereintant comme tâche ! Trop de pression(s). Il a préféré «laisser tomber»? avant de ruiner sa santé et avant un «?pétage' de plombs». Période actuelle (la plus longue, donc pouvant elle-même être partagée en deux périodes : les deux premiers mandats et le reste) : Langage populaire et populiste ?le «chaud et froid» - changeant selon les publics et les circonstances? au seul profit du Chef pour la première période? puis, par la suite (après la maladie? et jusqu'à maintenant), le discours écrit (par ????) et lu (par d'autres) n'ayant (plus) aucune «force de frappe» sur les foules, la manière a déteint (contaminé ?) sur le reste du personnel, décideurs politiques et administratifs? cela pouvant aller jusqu'au langage cru (on a vu ainsi des ministres rudoyer en direct à la télé des managers ou des chefs de chantier? on a vu un ministre traiter, sans arrêt, publiquement, les journalistes de «non-professionnels» ce qui, paraît-il, à amener d'autres décideurs, dont, tout récemment, un autre ministre, à se comporter de la même manière. On a même vu un chanteur, certainement «conditionné» par la proximité du pouvoir, et pris au jeu, gifler?toujours en public, une journaliste ?). Résultat des courses : le citoyen lamba, «encouragé» par cette nouvelle forme de «communication» a, lui aussi, peu à peu, emprunté la même voie avec les décideurs et les «gens d'en haut»? d'où une communicabilité difficile et de niveau assez moyen, sinon bas, ponctuée de «Aâmou» et de «Chriki» et poussant à toutes les déviations? L'émeute (35 manifestations par jour recensées par les services de la Dgsn), l'immolation en public, les insultes en direct des stades, l'arme blanche pour un oui ou un non, la corruption à tous les niveaux, le règne de la «chkara» et des «baltaguia»? n'étant que les parties les plus remuantes et les plus visibles de l'iceberg. On voit, donc, apparaître et s'imposer, dans le champ du discours politique, des façons de dire, de s'exprimer à la hauteur des manières de faire?.et d'être. Ni populaire, ni populiste. Moins que ça. Flirtant, allègrement, avec le vulgaire et l'expression «violente». Au niveau de l'Etat et de la vie politique, dans l'irrespect quasi-total des formes protocolaires et des hiérarchies. Il est vrai qu'en «famille» élargie, on peut tout se permettre ! Le langage politique a atteint, aujourd'hui, chez les décideurs «en acte», dans sa construction et son expression, le niveau zéro. Si l'on y ajoute les invectives, les insultes et les menaces, cette fois-çi des décideurs «en puissance» (assez visibles sur certaines chaînes de télévison satellitaires algéro-étrangères et de réseaux dits sociaux), le niveau moins un (-1) est atteint.

Faut-il en vouloir au peuple de ne pas être bien meilleur que ses nouvelles «élites politiques» (sic !)? devenues spécialistes de la mauvaise foi et de «la roue de la fortune», de l'ingratitude et de retournements de veste, de la ruse et de l'affairisme? parfois à partir de pays ou de sites «protégés», et toujours bien nantis.