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La dernière blague de Sellal

par Abed Charef

Une blague de M. Abdelmalek Sellal fait le buzz : le gouvernement chercherait à introduire des « bons » pour la distribution d'essence. Sous l'effet du Ramadhan, beaucoup d'Algériens y ont cru.

Après les licences d'importation, l'Algérie s'oriente vers les licences de consommation. Selon des informations persistantes diffusées tout au long de la semaine, mais non confirmées officiellement, le gouvernement s'oriente vers un rationnement de la consommation de carburant. Un système de bons, digne de celui évoqué par nos grands-mères, en vigueur lors de la famine qui a sévi durant la Seconde Guerre mondiale.

Selon cette formule, chaque Algérien aura droit à un quota d'essence ou de gas-oil, qu'il paiera à un prix subventionné. Au-delà, il devra payer le carburant au prix du marché. Le débat porterait actuellement sur le niveau de consommation admis, ainsi que sur la méthode la plus adéquate pour organiser ce rationnement.

Est-il nécessaire de dire que c'est un système absurde, inefficace, impossible à mettre en œuvre? Faut-il rappeler que le système du rationnement rappelle, dans l'histoire moderne, les grands échecs politiques et économiques qui accompagnent généralement les systèmes finissants et les dictatures en fin de cycle ? Faut-il dire que dans un pays rongé par la corruption, ce procédé ne peut déboucher que sur une aggravation de la situation, en poussant encore plus loin dans le règne des passe-droits et des pots-de-vin ?

Seul le gouvernement algérien semble ne pas s'en rendre compte. Comme s'il vivait hors du temps, il a mis de côté toutes les formules inventées par différents systèmes politiques depuis un demi-siècle, pour plonger dans la plus rétrograde d'entre elles. Pourtant, les membres du gouvernement les plus concernés par cette mesure sont en contact avec des économistes qui les alertent sur le côté absurde de la démarche. Ils reçoivent également des représentants des institutions financières internationales, FMI et Banque mondiale, qui peuvent mettre à leur disposition les études portant sur différentes expériences menées à travers le monde. Ils peuvent même lire le document de Nabni, gratuit, disponible sur un simple clic.

LE MAUVAIS ET LE PIRE

Mais non. Le gouvernement a choisi de regarder ailleurs. En fait, il avait déjà fait un premier pas dans cette direction il y a quelques mois, lorsque le ministre du Commerce, M. Amara Benyounès, avait lancé l'idée des licences d'importation pour certains produits, comme les véhicules. Partant d'une intention respectable -maîtriser les importations- il a choisi une méthode qui l'est moins, alors qu'il avait entre les mains une panoplie de leviers qu'il pouvait utiliser. De la méthode la plus forte -révision des accords de coopération avec l'Union européenne et certains partenaires pour relever le taux des taxes douanières-, à plus soft -glissement du dinar pour renchérir le coût des importations-, à la méthode interne, style Ouyahia -imposer des taxes sur les véhicules neufs-, le choix était large. Toutes ces méthodes sont mauvaises, face à la seule qui soit réellement positive : disposer d'une production nationale en mesure de permettre de se passer progressivement des importations. Mais le gouvernement n'a pas choisi une de ces mauvaises méthodes. Il a choisi la pire : celle d'introduire des quotas, et de confier à une administration totalement hors du coup le soin de mettre en place ce dispositif ingérable.

ENIGMES

Dans sa démarche, le gouvernement surprend. Il multiplie les paradoxes, et il pose trois énigmes, qui restent à éclaircir. La première concerne l'origine de cette idée de quota de carburant. Qui l'a proposée ? Qui a réussi à convaincre de sa viabilité ? Qui, au sein du gouvernement, ou à la présidence de la République, continue de penser qu'on peut encore gérer un pays par le rationnement ?

 Le second point concerne cette aptitude du gouvernement à toujours surprendre dans sa capacité d'innovation, mais toujours vers le bas. La troisième question, la plus dure, concerne les effets provoqués par ces mesures. Les dégâts seront d'une gravité exceptionnelle, car ne pas aller aux changements nécessaires est une faute, mais mener délibérément le pays dans la direction opposée à celle qu'il faut prendre relève, au moins, de l'inconscience. En plus des dégâts internes, il faudra aussi comptabiliser les dégâts externes, car personne à l'étranger ne prendra au sérieux un pays géré de cette manière. Ce qui explique que de grands investissements étrangers, naturellement destinés à l'Algérie, désertent le pays pour d'autres contrées du Maghreb.

Mais le plus dur, ce n'est pas d'assister, impuissants, à ce spectacle d'un gouvernement menant le pays toujours plus bas. Le plus dur, c'est de savoir que la semaine prochaine, il va inventer une mesure encore plus absurde. Il en est capable, il en a fait la preuve. Le gouvernement, dans son ensemble, a soutenu le quatrième mandat. Ce qui se fait aujourd'hui est dans la parfaite continuité du 17 avril 2014.

A moins que cette histoire de rationnement ne soit une nouvelle blague lancée par un Abdelmalek Sellal assommé par le Ramadhan. Pourquoi ne pas y croire, quand des milliers de personnes ont cru au quatrième mandat, et que des médias très sérieux ont cru que Saïd Saadi avait demandé que le Ramadhan soit ramené à treize jours ?