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Le gouvernement peine à définir un nouveau cap économique

par Abed Charef

Alors que les chiffres inquiétants s'accumulent, le gouvernement algérien garde toujours le regard fixé sur l'indice des prix du pétrole.

Les mauvais chiffres de l'économie algérienne s'accumulent. Après un mois de janvier miraculeux, le pays s'est installé dans la dure réalité d'un pétrole à bas prix et d'une baisse drastique des ressources, laissant peu de marge au nouveau ministre des Finances, Abderrahmane Benkhalfa.

Deux chiffres montrent la nouvelle donnée financière dans laquelle s'installe le pays : les recettes des exportations d'hydrocarbures et la fiscalité qui en découle. Pour les recettes extérieures, les données sont particulièrement brutales, avec une baisse de 31.75% pour le premier trimestre, mais de 42.8% sur les quatre premiers mois de 2015 par rapport à la même période de 2014, ce qui confirme que la situation s'est encore dégradée entre le début de l'année et la fin du trimestre.

En moyenne, les hydrocarbures ont rapporté 3.13 milliards de dollars par mois sur les quatre premiers mois, contre 5.48 milliards en 2014. Résultat logique, la balance commerciale a enregistré un déficit de 1.1 milliard par mois sur la même période, un chiffre conforme à ce qui était attendu, malgré une légère baisse des importations, passée de 19.32 milliards de dollars entre janvier et avril 2014 à 17.73 milliards en 2015. Il faudra y ajouter le déficit de la balance des services qui avoisine lui aussi le milliard par mois. Au rythme actuel, le déficit de la balance des paiements devrait se situer entre 24 et 30 milliards de dollars sur l'année 2015, dans la fourchette de ce que prévoyait le FMI.

Autre conséquence de cette baisse des prix du pétrole, la fiscalité pétrolière a chuté de 28% durant le premier trimestre 2015. Sur ce terrain, la baisse a été légèrement amortie par un effet simultané de la dépréciation du dinar et la hausse du dollar.

L'effet devrait toutefois rester limité, à moins d'une dévaluation brutale du dinar, pas encore à l'ordre du jour tant que le gouvernement peut puiser dans le Fonds de régulation.

Ce fonds n'a d'ailleurs pas été alimenté en 2015, faute de ressources. Le gouvernement va même y prélever pour financer le budget. A quelle hauteur ? Le ministre des Finances lui-même ne le sait pas. Officiellement, il s'attelle à préparer une loi de finances complémentaire supposée porter les nouvelles orientations économiques du pays. En fait, M. Benkhalfa tente de jongler à travers les chiffres, pour passer l'année sans trop de dégâts. En espérant aussi une amélioration des prix du pétrole, qui pourrait intervenir durant le second trimestre. Beaucoup de spécialistes tablent sur cette hypothèse, notamment après le relèvement sensible du prix du pétrole après le plus bas enregistré au début de l'année.

En attendant la lumière.

Toutes ces données sont actuellement triturées par les hauts responsables du ministère des Finances, pour tenter d'en tirer quelque chose. Mais en tirer quoi ? Pas grand-chose. Au mieux, il sera possible de colmater un ou deux points du déficit budgétaire attendu. Cela ne changera rien aux données fondamentales de l'économie algérienne, profondément enracinée dans la rente et encerclée par un tel magma de bureaucratie, d'opacité, de dos-d'âne administratifs, d'intérêts illégitimes et d'interdits qu'il n'y a rien à en attendre. Les gouvernants ont fait le choix, volontaire ou non, de surveiller l'indice des prix du pétrole plutôt que celui de la performance économique. Y compris quand ils disent le contraire. Le gouverneur de la Banque d'Algérie est d'ailleurs lui-même sorti de son rôle pour tenir aux banquiers un discours totalement démagogique sur la nécessité d'encourager l'investissement. Ce n'est ni son rôle ni sa vocation. M. Mohamed Laksaci a entre les mains les leviers adéquats qu'il peut actionner pour orienter l'économie dans une direction plutôt qu'une autre. Il a oublié de les actionner pour se lancer dans des discours de chef de parti, des discours destinés à montrer qu'il est en phase avec le gouvernement.

La lumière ne viendra donc pas de chez M. Laksaci. Il est également difficile d'envisager qu'elle vienne du Premier ministre M. Abdelmalek Sellal.

En fait, aucun membre du gouvernement n'est, aujourd'hui, en mesure, d'apporter une solution, même si nombre d'entre eux peuvent être tentés par des solutions partielles, donc forcément fragmentaires. La vraie solution ne pourra venir que du changement du monde de gouvernance, lui-même tributaire d'un changement politique.

Ce discours sur le changement a été tellement répété qu'il fait partie désormais de la langue de bois. Seul le gouvernement algérien n'en a pas encore saisi toute la portée. Et quand il arrive que des ministres algériens tiennent un discours novateur, ils l'oublient dès qu'ils rentrent dans leurs bureaux, où ils continuent à agir exactement comme avant. M. Sellal a montré la voie: l'économie algérienne doit changer, le pays va devenir un pays émergent grâce à une croissance de 7% sur les cinq prochaines années, a-t-il dit. Mais il n'a pris aucune mesure en ce sens. Bien au contraire, il insiste pour maintenir le statu quo. Il faut surtout que rien ne bouge.

C'est le tribut du quatrième mandat. Le prix du pétrole n'y pourra rien. Il faudra peut-être une secousse d'une autre dimension pour s'en convaincre.