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5 juin 1936, numéro 2458

par Bouchan Hadj-Chikh

En quatre temps. D'abord, le martyr.  

Ce jour du 5 juin 1936, un jeune homme de 28 ans, Mohamed Bouras, dépose à la préfecture d'Alger les statuts constitutifs de l'association « El Fatah ». Il reçoit un reçu portant le numéro 2458.

Le détail qui me frappe, est l'attitude de ce colon, fonctionnaire, devant lequel se présenta Mohamed. Il reçoit et accepte, sans sourciller, le dossier de constitution de l'association.

Ce jour où le gouvernement Léon Blum entre en fonction.

La réponse, favorable à la création de l'association, parvient à Mohamed Bouras 51 jours plus tard. Il put se réunir avec ses amis et activer. Ceci pour l'exemple. Parce que je suppose que la constitution de l'Etoile Nord Africaine, de l'UDMA ou du PPA ont suivi le même chemin pour être reconnus de l'administration coloniale.

Pendant que les aînés affinent les revendications politiques, la cellule du natif de Miliana donne naissance aux Scouts Musulmans Algériens. Cinq ans plus tard, le 14 mai 1941, lui et ses amis sont arrêtés et jugés. Mohamed est condamné à mort. Le 27 du même mois, il affronte le peloton d'exécution au Polygone d'Hussein Dey.(*)

Puis, l'exercice démocratique : un peu plus de 76 ans plus tard, le 22 décembre 2014, M. Benflis fait déposer son dossier d'agrément en vue de la création du Parti «Taliyet el Houriat - Avant-garde des libertés». Dossier très documenté. Il est soutenu par les signatures de 288 membres fondateurs représentant l'ensemble des 48 wilayate. Pour la création de ce parti politique une réponse devait émaner des autorités à l'expiration d'un délai de deux mois. Elle fut positive.

Moins heureux est M. Ali Benouari, président du Parti « Nida el Watan », en constitution. En vertu de la réglementation supportant la création d'un parti politique il doit obtenir, par téléphone, un rendez-vous auprès du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales, section Partis politiques, pour faire acte officiel de création de son parti.

La ligne téléphonique, écrit-il dans sa lettre ouverte au ministre, depuis le 29 mars, est constamment occupée. Ou bien ça sonne dans le vide. Pas de rendez-vous donc. Pas plus de succès avec le fax. L'ancien ministre du gouvernement Ghozali, à l'heure où cette chronique est sous presse, malgré ses protestations, appels et rappels, lettre ouverte et pétition, n'est pas entendu.

M. Benouari, entre-temps, ne se prive pas -en toute bonne raison- d'intervenir dans les media sur les questions de l'heure, les questions d'intérêt général, dire ses opinions sur la marche du pays, comme les premiers responsables de tous les autres partis reconnus, à la fois pour alerter l'opinion publique ou pour préciser ses attitudes.

Le pouvoir l'observe.

Ensuite, le temps des associations :

Les associations, elles, en ont vu d'autres. Elles activent, pour la plupart, depuis longtemps, sans agrément. Comme la jeunesse ne craint rien du passé, ni de l'avenir, du reste, personne ne pourra, un jour, lui chercher des poux dans la tête. Faute de locaux, elles se réunissent dans les cafés, les domiciles ou autres lieux pour se dégourdir les cellules grises, en surchauffe à force de patiner sur place, afin de les rendre utiles à la communauté nationale. Elles ne comptent plus que sur elles-mêmes, échaudées par les tentatives de mise au pas. Car ces associations furent, à cette fin, réunies. Il y a près de 3 ans. Leur « non » fut franc. Lors des premiers états généraux de la société civile, en effet, organisés, entre le 14 et le 17 juin 2011 au Palais des Nations, par M. Mohamed Seghir Babes, président du Conseil national économique et social (CNRS) ils s'entendirent dire ceci: « le président de la République m'a demandé de transmettre à l'ensemble des participants son sentiment intime de soutien et d'écoute. Il entend, en particulier, libérer la parole de la société civile dans l'ordre d'un nouveau système de gouvernance pour dire que nous sommes dans une approche de la base vers le sommet ». ça ronronnait bien à leurs oreilles. Le vice-président du CNES, M. Mustapha Mekidèche, de son côté précisa, sur les ondes de la radio nationale, que « l'objectif de ces premiers états généraux de la société civile est de restituer la parole aux associations et aux syndicats, reconnus, formels ou non formels, et leur donner un espace de discussion, un espace de libération de la parole »

Restituer ? Là, ça a coincé. Pour ne froisser personne, on se garda de lui demander de préciser quand en ont-elles disposé ? Prélude à un contrôle de l'Etat ? C'est ce que crurent comprendre la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH), le Syndicat national autonome du personnel de l'administration publique (Snapap), le Rassemblement action jeunesse (RAJ), l'association Tharwa n'Fadhma n'Soumer, SOS disparus et le Syndicat autonome de l'éducation et de la formation (Satef). Ils rejetèrent cette «prise en charge» par le CNES.

Ces «rencontres﷓alibis de salons», à leurs yeux, ne sont qu'une manière de neutraliser « la contestation pour contourner l'exigence de changement exprimée par la société», comme l'indique, dans son article, Abderrahmane Semmar, citant leur communiqué.

L'opération fut si peu probante que le président, dans son discours d'investiture, le 28 avril, revint sur le thème de l'inclusion de la société civile dans les débats. Ce qui n'a pas eu l'heur d'émouvoir beaucoup de monde.

Signe commun aux nouveaux partis, associations et chaînes de télévision ; tous trois, à ce jour, ignorent s'ils opèrent en toute légalité, en toute illégalité, ou sous le régime de la tolérance. Tout comme le peuple, dans sa totalité.

Enfin le bilan. Provisoire ?

Mohammed Bourras demeure un martyr.

La parole populaire dans les limbes.

La promesse de la leur rendre utopique.

Les décisions du président non suivies d'effets.

Le« maquis » politique et associatif toujours plus dense.

La publication du texte de la

Constitution ? Un jour.

Pat. Une fois encore, diraient les joueurs d'échecs.

Un pat qui se traduit par la nomination d'un nouveau gouvernement.

Comme nos vieilles qui, durant le mois précédent le ramadan, rafraichissent, d'un rapide coup de pinceau, les murs. D'une couleur identique. Les politicologues attendent toujours le texte final du projet de Constitution. Le Premier ministre encourage la consommation nationale qu'il ne pratique sans doute pas. Les « décideurs », intérieurs et extérieurs, ne se sont toujours pas mis d'accord sur le futur timonier du pays, sans vérifier l'état de la barre qui ne répond plus depuis que le gouvernail n'en fait qu'à sa tête.

Constats élémentaires, il faut bien le dire, même si on les retrouve sous la plume de nos plus éminents chercheurs. Aucune réponse à la question première : nous voulons faire quoi de ce pays ? Qu'est-ce qui nous est permis ou, au mieux, possible de faire dans le contexte international ? Et quelles alliances rechercher ? Se laisser engloutir par les successives vagues scélérates du FMI et de la Banque mondiale ou s'intéresser, de près, sinon de très près, aux BRICS ? Après tout, il n'est pas de proie qui se laisse dévorer sans se défendre. Et cette ligne Pékin, Moscou, New Delhi, Brasilia et Pretoria mérite que l'on s'y intéresse.

(*) Mes remerciements à l'édition de Babzman du 27 mai dernier et à Zineb Merzouk d'y avoir publié la synthèse d'une vie que j'ose ici résumer en si peu de mots.