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Le diplôme est-il un héritage ?

par Zahir Fares

Il y a à présent plus de 40 ans que paraissait une étude de P. Bourdieu et d'autres, sur les étudiants et leurs parents. Le but essentiel de cette étude étant de vérifier l'hypothèse de travail suivante : quel est le rapport entre l'origine sociale des étudiants et les chances d'accessions à un diplôme d'enseignement supérieur ? Et à travers un certain nombre d'indicateurs corrélés, il apparaissait que les fils d'ouvriers et de classes moyennes avaient une chance minime d'accéder à un enseignement supérieur dans la France des années soixante. Cette étude est parue sous le titre « Les Héritiers».

L'on pourrait résumer ces conclusions, très riches, en disant qu'il pleut toujours là où c'est mouillé!

Si l'on accepte de telles conclusions et que l'on cherche à examiner leur application à notre système éducatif, on peut largement distinguer deux grands niveaux d'analyse. Celui en premier lieu de la scolarisation obligatoire, celle dans laquelle on apprend à lire, écrire et compter. Tous les enfants en âge d'aller à l'école arrivent- ils à acquérir ces fondamentaux et à passer au niveau de l'enseignement moyen ? Le taux de succès est mesuré par le taux d'abandon et celui d'exclus du système éducatif.

Sur une cohorte de 100 élèves, l'on considère que 80 sont aptes à suivre l'enseignement moyen et que 20 abandonnent ou sont exclus. Il Y a lieu de s'interroger sur l'efficacité du système. Or le processus est tel qu'il est, pour le moins, amplement difficile d'apprécier cette même efficacité qui semble se confondre avec les passerelles organisées par la formation professionnelle. Tout se passe comme si, dans une unité de production, il y avait un rejet de 20 % de la production. Et alors, tout revient à responsabiliser la formation professionnelle dans le peu de performance des élèves.

Mais ce que l'on évite soigneusement d'étudier, ce sont les inégalités liées à l'apprentissage des fondamentaux. Ces inégalités résultent du système lui-même ou lui sont extérieurs. Le système à tendance, sous prétexte d'égalité de traitement, à les ignorer ; dans sa vision « égalitariste », il a comme réaction première à interdire les cours particuliers et à considérer que les enfants d'une même classe ont le même niveau et que les élèves qui, pour des raisons personnelles, n'arrivent pas à «suivre», retardent la majorité. C'est là le résultat du complexe du BONNET D'ANE qui à longtemps été le maître- mot d'une pédagogie fondée sur les coups et les humiliations.

Et l'on en arrive alors à recommander le passage en classe supérieure de tous les enfants. Peu importe que ceux-ci aient acquis les notions exigées. Et l'on se trouve devant une situation paradoxale dans laquelle l'école devient le principal facteur d'un flux involontaire d'effectifs d'illettrés. Cela constitue l'une des questions sociales des années qui viennent ; à cela s'ajoute les effectifs d'analphabètes qui touchent principalement les femme rurales.

Illettrisme et analphabétisme appellent une réaction coordonnée d'études et de définition d'une stratégie car on peut tolérer une telle conséquence sociale et culturelle touchant une partie de la jeunesse et de la population.

Il y va de la politique éducative depuis 1962 et de la priorité donnée à ce secteur. Près de 400 000 enfants quittent le système d'éducation sans diplôme; Et que dire du million d'étudiants de l'enseignement supérieur qui ne représente que 5 % des effectifs des élèves du secondaire; quant à ceux qui seront diplômés d'une institution universitaire, ils ne représentent plus que 2 % de l'ensemble.

C'est là une estimation qui pose ainsi le problème d'un système éducatif qui se veut dans ses fondamentaux généreux mais qui est inégalitaire et élitiste, non dans ses principes, mais par ses conséquences. Les Héritiers sont- ils ceux qui ont eu la chance de naître dans des familles aisées ? Le système aboutit à ce résultat et devient, avec l'économie de marché, de plus en plus élitiste au sens de classe.