Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

Rater les virages

par Bouchan Hadj-Chikh

« Les nains sapent, sans bruit, le travail des géants ».Victor Hugo

Lors de l'inauguration du premier méthanier, s'adressant au P-DG de la firme américaine ?El Paso', avec laquelle le contrat fut signé, tout sourire, comme s'il lui faisait une bonne farce, feu le Président Boumediene lui dit : « Nous allons, également, développer l'Energie solaire ».

C'était à Arzew. Années 1970.

Vrai qu'en cinquante-trois ans d'existence, nous aurions pu créer une industrie gazière et pétrolière de premier plan. Et aller au-delà, dans la recherche de ressources énergétiques alternatives, sans cochonner, abuser de notre sous-sol, en ayant recours à « l'exploration et l'exploitation des gaz de schistes par la fracturation hydraulique». Et garantir, ainsi, une transition énergétique « soft ». Qui n'arrangeait, certainement, pas tout le monde.

« On est en train de pérorer sur le solaire comme si c'était la trouvaille du siècle, mais on a oublié que l'entreprise ENIE de Sidi Bel-Abbès fabriquait des panneaux solaires en 1980, c'est-à-dire il y a 35 ans, et que les panneaux fabriqués avaient servi, déjà à l'époque, à illuminer certaines régions du Sud ».

Et qu'il suffisait, donc, de creuser davantage le sillon, rappelle cet ami.

Vrai. Octobre 2010, Nicholas Sarkis, directeur de la revue « Pétrole et Gaz Arabe », dans une interview accordée au journaliste Ali Titouche affirme : « l'Algérie a la chance d'avoir un important gisement solaire à développer. Les nouveaux programmes régionaux et interrégionaux dans la zone méditerranéenne de développement des énergies renouvelables (le plan solaire méditerranéen Desertec et le Transgreen) placent l'Algérie au cours des initiatives ».

Qui l'a écouté ? Pas seulement en matière d'énergie. Le même ami indique : « On parle avec fierté, maintenant, du lancement du tracteur Massey Fer., à Constantine avec une intégration de 25% sur 5 ans, mais on oublie que le tracteur était déjà fabriqué il y a 30 ans, avec une intégration de 60 ou 70% etc. Il serait intéressant, ajoute-t-il, de faire une étude sur ce que sont devenues ces milliers d'entreprises qui fabriquaient des produits bien algériens ».

Volonté délibérée ?

Encore Houari Boumediene. A ceux qui critiquaient l'option d'une production d'acier, à El Hadjar, dépassant, selon ces « experts », nos capacités d'absorption, il énonça les chiffres démontrant que l'Algérie, bien au contraire, se dotait là, d'un outil de développement dont il faudra, plutôt, élargir les capacités - comme tous les pays industriels, à travers le monde - pour satisfaire les besoins à naître. Son argumentation était chiffrée. Et depuis ?

Dans son édition datée du 19 et du 20 octobre 2009, le quotidien national ?Liberté' publia un article de Rédha Amrani, consultant en économie industrielle qui conclut à la nécessaire reprise, par l'Etat algérien, du Complexe livré au groupe industriel indien ?Mittal ?pour être démantelé. Les chiffres avancés sont ahurissants. La production « nationale », indiquait-il, était de 1,1 million de tonnes alors que la consommation atteignait 5 millions de tonnes en 2007. « Selon nos propres évaluations », ajoutait le quotidien en ligne ?Alger Républicain', « la consommation d'acier liquide passerait, en Algérie, de 5 millions de tonnes en 2008 à plus de 11 millions de tonnes, en 2020 ». Avec cette précision : « les 4 millions de tonnes d'acier liquide de déficit, en 2007 coûteraient 2,4 milliards de dollars, soit le coût d'investissement d'une usine sidérurgique complète basée sur la réduction directe et la technologie compacte de production d'acier et d'une capacité de 2 millions de tonnes d'acier ».

Une décennie« bonne élève » de la production d'acier, l'Algérie « passa de la première place à celle de bonne dernière ». Sa production s'élevait à 440.000 tonnes en 2013. Elle était de l'ordre de 338.00 tonnes en 1980, sept années après avoir atteint des sommets. Un million cinq cent trente-trois mille tonnes.

Comment expliquer cette chute et cet acharnement à brader les bijoux de famille ?

La première malédiction n'est pas seulement le pétrole et le gaz dont on n'a pas su en faire un tremplin pour développer une puissante industrie, en amont et en aval, et investir d'autres champs, d'autres sources d'énergie comme indiqué, précédemment. La première d'entre toutes, est cette incapacité à gérer les ressources du pays. A entrevoir. A planifier. A rêver ? parce qu'il en faut pour agir ? et créer.

La seconde malédiction fut la bulle des prix de pétrole qui assura des revenus considérables et inconsidérés dont le prolongement fut l'éclosion d'une classe d' « entrepreneurs » dont le souci est la maîtrise des richesses, dans la perspective de dicter leur politique.

Leur politique, parfaitement, composante primordiale de cette tectonique des plaques qui, millimètre après millimètre, a fait glisser des options politiques solides, nationalistes, sous la plaque d'un capitalisme débridé qui prétend, fort de ses soutiens de classe à l'échelle internationale, orienter le pays.

Qu'avons-nous, donc, retenu de toutes ces années d'indépendance ?

En premier lieu, la « paupérisation » de l'Education nationale, classes surchargées, programmes inadaptés, enseignants sans ambition que l'assurance d'un virement postal, à la fin du mois. Au point que tout parent ambitieux, légitimement, se saigne aux quatre veines pour financer les cours particuliers de sa progéniture. En attendant, comme nous l'écrivions un jour, la privatisation de l'école et de l'université. Ce secteur de l'Education qui, pourtant, avec l'Industrie naissante et prometteuse, faisaient non pas notre fierté, seulement, mais justifiait notre croyance en une place honorable, dans le concert des nations. Vint le raz-de- marrée d'une médecine indigente.

Nous n'étions pas dupes, pourtant.

Encore moins, le sommes-nous aujourd'hui. Aujourd'hui, nous vivons la descente aux enfers dans un silence coupable. Grève ici. Grève là. Des architectes algériens se révoltent. Ils disent, à juste raison, qu'ils savent mieux adapter la construction à notre âme. Qu'ils fassent grève ou un sit-in ! Ça leur passera. Les protestations citoyennes passent sur le corps d'Etat comme l'eau d'une mare sur les plumes de canards. Je l'ai déjà dit, je persiste à le croire.

Une chaîne de Télévision, évoquant les relations nouvelles qui se tissent entre les Etats-Unis et Cuba, rappela ? qu'en dépit du blocus criminel ? Cuba se distingue par un système de santé et une Education nationale qui font l'envie de nombreux peuples de la planète. Cuba est, aujourd'hui, capable de produire 70% de ses besoins alimentaires. De la nourriture biologique. Sans pétrole. Sans gaz. Et tout cela, sous embargo. En dépit de l'embargo.

Grâce à la zafra,et à la capacité du peuple cubain de créer par la sueur et le sang. A 160 km de Miami où on ne lui veut pas que du bien.

Et nous donc ?

Je recommanderai bien un visite, une vraie, du Premier ministre et de certains membres de son cabinet dans ce pays où le seul discret départ de ses cadres, vers l'étranger, est l'envoi de médecins et techniciens dont j'ai eu le plaisir de croiser le chemin, en Haiti. Pour sauver des vies à la suite du typhon qui s'était abattu sur l'île et le terrible tremblement de terre qui a rasé une partie de la capitale.

En ce domaine, il y a quelques frémissements.

Je fus ravi d'apprendre que la Prévention civile algérienne a dépêché 72 experts, avec toute une logistique, pour porter assistance aux habitants de l'île qui, depuis que Christophe Colomb accosta avec ses caravelles pour massacrer tous les Indiens dont il ne reste plus aucune trace, fut écrasée sous la dette imposée par la France pour ? dédommager les colons après la victoire du peuple sur les troupes napoléoniennes, durant des décennies, jusqu'à récemment. Elle n'a connu que misère, Tonton macoute et mauvaise gouvernance.

La première république noire, pourtant.

Si près de « Cuba, territorio libre de America ».