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Lettre ouverte aux congressistes et non congressistes du parti FLN

par Me Ali Brahimi*

Mmes et MM. les p.flnistes,

Votre formation tient des assises. Nombre de figures politiques connues comme p.flnistes contestent votre cénacle dont ils s'estiment injustement écartés, à tort ou à raison, là où nulle raison ne subsiste encore.

Ce charabia ne concerne que vous et vos frères-adversaires. Ce n'est pas pour ça que je viens vous rappeler cette récurrente oraison funèbre d'un parti tombé raide mort, il y a soixante-trois ans, aux mains d'impitoyables et éhontés fossoyeurs après avoir eu raison de la quatrième puissance militaire du monde.

C'est connu, ceux qui contestent leur écartement sont ceux-là mêmes qui ont écarté un autre clan, lui-même né de l'exclusion d'un autre groupe vainqueur d'un autre? en passant par le coup d'Etat scientifique revendiqué allégrement contre feu A. Mehri lequel était dans l'excommunication d'autres compagnons depuis la sombre épopée ouverte par le fameux Congrès de Tripoli. C'était un moment historique charnière car témoin du début de la congélation de la souveraineté du peuple algérien en lutte par une conjuration sanglante et éhontée d'un Président préfabriqué avec une Armée des frontières savamment et sournoisement préparée, loin des champs de bataille légitimes, à spolier la victoire des Chahids, des Moudjahidine et du peuple sur la machine de guerre coloniale de la France et de l'OTAN.

Depuis, les cénacles du p.fln se ressemblent tous. Ils marquent un éphémère rite funéraire d'exhumation d'un glorieux sigle confisqué par les Grands prétoriens et confié-confiné - de Chérif Belkacem, Kaïd Ahmed, Yahiaoui, Messadia, Mehri, Benflis, Belkhadem à Saadani - à un appareil administratif bannissant toutes les formes juridiques et civilisées du politique. Loin des feux de la rampe, les conclaves de l'ombre arrêtent et décident des faire-part et des faire-valoir que les cénacles du jour plébiscitent à main aveuglément levée. L'ordre du jour permanent est d'officier au service d'un régime policier voué au containment et à la répression des aspirations des Algériens à la liberté, de conforter le déni de leur véritable identité et de leurs langues maternelles, d'aggraver la falsification de l'Histoire de leur pays, de s'activer à la prédation et à l'évasion de leurs richesses nationales et de les maintenir dans un sous-développement programmatique. Lorsque l'on campe sur un aussi triste programme, l'intelligence commande d'évacuer le mot «libération» de son sigle pour exorciser la schizophrénie. Lorsque l'on en arrive à cultiver la discorde générale parmi son peuple ramené à un ensemble de tribus et de zaouïas, l'adjectif «nationale» n'est plus de mise. La reconnaissance du multipartisme en 1989 n'a rien pu y changer, hélas, c'est la république du coup d'Etat permanent et général. Tout cela au nom du Front de Libération nationale historique abusivement et arbitrairement traîné dans la gadoue.

Que n'a-t-il pas été fait sous sa bannière harponnée, depuis la date de l'indépendance falsifiée jusqu'à subtiliser des dépouilles mortuaires de Chahids, la poursuite des essais nucléaires et chimiques de l'ancienne puissance occupante, l'instrumentalisation de la religion et de l'école jusqu'à ce qu'une sanglante guerre civile s'ensuive, la fraude électorale et la corruption, la diversion d'une transition permanente vers l'inconnu, l'envahissement des paradis fiscaux et bancaires étrangers et l'accaparement de l'immobilier de luxe des grandes capitales du monde? jusqu'au recours, faute de vrais hôpitaux nationaux, aux établissements militaires français pour soigner les dignitaires d'un régime moribond parvenu, désormais, à exposer à la reconquête coloniale même la sécurité territoriale du pays.

Le FLN de 1954-1962 et le peuple algérien ne méritent pas cela ! Ils vous ont permis d'exister à l'ombre d'un drapeau chèrement payé. C'était un Front de toutes les forces patriotiques dans leur diversité et différences. Des voix de l'opposition parmi ses propres fondateurs dont Boudiaf, Krim, Aït Ahmed et d'autres avaient demandé à vos prédécesseurs, dès 1962, de soustraire ce Parti-Nation aux luttes d'intérêts de palais et de makhzen. D'illustres vrais moudjahiddine - aujourd'hui dans l'opposition ou loin de toute activité politique - voient, révoltés, l'instrumentalisation politicienne de l'un des plus glorieux combats anticoloniaux, par des acteurs qui n'étaient pas toujours à son avant-garde hier, pour ne pas dire pire.

Cette épopée nationale a heureusement abouti et sa mémoire mérite d'être protégée par l'Etat auquel elle a donné naissance. Même précédé du mot parti, association ou syndicat, le groupe de mot «Front de Libération nationale» est patrimoine de l'Etat, du peuple et de la Nation algériens.

Que vous soyez inclus ou exclus ou écartés du cénacle, proches du clan du DRS ou de son antagoniste, avec ou contre le premier, deuxième, troisième, quatrième ou même cinquième mandat du président en place, vous avez suffisamment de moyens pour défendre vos intérêts politiques et économiques sans avoir besoin d'abuser encore d'une Histoire a fortiori reniée, trahie ou jamais partagée.

Aujourd'hui, par la faute d'un système politique fermé qui refuse l'Etat de droit et l'égalité devant la Loi contre l'impunité, le strict respect des missions constitutionnelles de l'Armée et des services de sécurité, l'Etat civil contre toute forme de trituration de l'islam, les libertés publiques et les droits de l'Homme contre l'arbitraire, la réhabilitation de l'identité et de la langue amazigh, la séparation des pouvoirs, l'alternance pacifique, le destin de l'Algérie est coincé dans un immobilisme aussi absurde que coûteux. Dans un contexte géostratégique et économique mortels, la défiance du peuple envers son Etat et la chose politique consacre un affaiblissement national source de graves dangers. L'anorexie et la marginalisation de l'opposition politique pacifique et légaliste privent la Nation de toute alternative de recours.

Le peuple et l'opinion internationale ne sont pas dupes. Aucune révision constitutionnelle aussi idéale soit-elle, aucune élection présidentielle ou législative ou autre, anticipées ou à termes échus, ne sont la clef d'un vrai changement tant que les causes réelles du mal ne sont pas traitées. D'un autre côté, en l'état de faiblesse actuelle de l'organisation et/ou de l'autonomie de l'opposition et de la société civile, la rue bénéficierait encore une fois aux mêmes tenants de la violence et probablement aux puissances militaires étrangères.

Pour autant, un pouvoir assis sur la légitimité de la seule force du fait accompli ne peut et ne doit s'entêter plus dans son isolement splendide. A très court terme, le statu quo est désormais intenable pour tous, Algériens et partenaires étrangers. L'Armée doit vite retrouver son unité et consentir à un compromis historique avec la classe politique civile pour un retour conjointement organisé à un processus démocratique différé tant de fois. En l'espèce, il ne s'agit pas de bavarder «fraternellement» tous ensemble pour se congratuler. Aucune volonté politique ne peut se vérifier sans mesures préalables d'ouverture politiques de la part de ceux qui détiennent le pouvoir réel. L'essentiel de ces exigences incontournables est connu de tous et se résume par la levée d'un état d'urgence de fait arbitraire et humiliant.

Parmi ces mesures, la soustraction du sigle FLN aux joutes politiciennes est le véritable indicateur de la volonté du pouvoir d'aller vers le régime de la primauté du droit, de la légitimité du suffrage universel.

A vous Congressistes, il suffirait d'une résolution votée à main levée pour changer le nom du p.fln, à charge pour vos collègues écartés de rejoindre votre étendard de rechange ou de s'en donner un autre.

A vous toutes et tous, p.flnistes congressistes et non congressistes, soyez patriotes et courageux, rendez à la mémoire de la Nation un sigle qui lui appartient de droit. L'honneur de notre peuple vous le commande. Les Chahids partiront enfin et vous pardonneront peut-être. A bon entendeur, salut.

* Ancien député