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Fin d’euphorie pour les matières premières

par Akram Belkaïd, Paris

La fête serait-elle finie pour les pays producteurs de matières premières ? C’est ce que pensent les rédacteurs du rapport Cyclope, véritable « bible » des marchés de commodités, dont la dernière livraison est très pessimiste quant à l’évolution des cours (1). Selon Philippe Chalmin, fondateur du cercle Cyclope, nous assistons actuellement à la fin du cycle haussier entamé en 2007 (parfois plus tôt comme dans le cas du pétrole) et dont la vigueur s’est maintenue jusqu’à l’année dernière. Signe du ralentissement en cours, l’indice synthétique Cyclope a perdu 7,35% en 2014 par rapport à l’année précédente.

RALENTISSEMENT (PRESQUE) GENERAL

« Le glas a sonné pour les marchés de matières premières », telle est donc la conclusion, quelque peu imagée, du document. Bien sûr, il y a des exceptions à l’image des métaux rares toujours très demandés par l’industrie de l’électronique et des télécommunications. Mais, de façon générale, l’heure est au repli ; ce qui est une très mauvaise nouvelle pour les exportateurs de commodités. C’est le cas notamment des pays subsahariens ou d’Amérique latine. Matière première emblématique, le pétrole devrait perdre 35% de son prix par rapport à 2014, année déjà marquée par une chute des cours.

Il existe plusieurs raisons expliquant ce retournement de tendance. D’abord, l’économie mondiale connaît plusieurs ratés avec des pays émergents qui n’assurent plus leur fonction de locomotive ou, plus exactement, de locomotive à grande vitesse. A ce sujet, le rôle joué par la Chine demeure fondamental. Qu’il s’agisse du coton, de l’aluminium ou du soja, on sait qu’il est nécessaire de prendre en compte le «facteur chinois» dans tout travail de prévision. Or, l’économie chinoise est désormais passée sous la barre des 7% de taux de croissance du produit intérieur brut (PIB). Certes, cette économie demeure très consommatrice de matières premières mais, dans un contexte de ralentissement et de tensions financières, la demande locale a tendance à se porter vers les stocks intérieurs, ce qui réduit d’autant les importations.

Ensuite, concernant toujours les raisons de la baisse des matières premières, on peut aussi s’interroger sur les conséquences des tensions géopolitiques. S’il arrive que ces dernières poussent les prix à la hausse, comme dans le cas du pétrole, il est aussi possible qu’elles produisent l’effet inverse. Ukraine, Moyen-Orient, Afrique centrale, sont autant de foyers d’instabilité qui ont deux conséquences. La première est un ralentissement de l’activité économique sur place. La seconde est plutôt d’ordre conjoncturel puisque, face à cette situation d’incertitude, des pays exportateurs peuvent décider de brader une partie de leur production pour conserver leurs parts de marché et atténuer la baisse de leurs recettes. C’est ce qu’anticipent d’ailleurs les marchés de produits alimentaires. On notera, concernant ces derniers, que l’effet « bulle » ne semble pas fonctionner cette fois-ci. Pour mémoire, au milieu des années 2000, les politiques accommodantes des Banques centrales avaient permis à de nombreux investisseurs-spéculateurs d’intervenir à peu de frais sur les marchés des produits agricoles, ce qui avait provoqué un phénomène d’ « agflation ». Cette fois, l’argent « presque gratuit » va ailleurs (immobilier, valeurs technologiques,…).

UN TEST POUR L’AFRIQUE SUBSAHARIENNE

Le cycle baissier qui semble s’enclencher sur les marchés de matières premières va être un test pour l’Afrique subsaharienne. Jusqu’à présent, de nombreux pays de la région ont affiché d’appréciables taux de croissance qui ont renforcé la thèse d’un renouveau africain en cours. Mais un débat divise les économistes à ce sujet. S’agit-il de performances intrinsèques liées à une bonne évolution de l’économie ou juste la conséquence, plus ou moins artificielle, de revenus plus importants liés aux exportations de commodités ? Les prochains mois devraient permettre d’y voir plus clair.

(1) « Pour qui sonne le glas ? », rapport Cyclope 2015 (version française), 129 euros, téléchargeable sur le site suivant : http://www.cercle-cyclope.com/