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De nouveaux boucs émissaires pour la nouvelle crise

par Abed Charef

Changement de personnel en cascade au gouvernement et dans les grands centres de la décision économique

Après des années d'apathie, le président Abdelaziz Bouteflika a décidé d'importants changements, à opérer «sans délai», dans la sphère économique. Des entreprises et des institutions d'envergure, comme Sonatrach, Air Algérie et l'administration des douanes, ainsi que des banques de premier plan changent de patrons. Qu'est-ce qui justifie ce réveil brutal ? Pourquoi ce besoin d'insister sur le changement de cap dans la politique économique, alors que le remaniement du 14 mai annonçait déjà ce virage ? Que faut-il dire aujourd'hui au commandant du Titanic, qui décide enfin de changer de direction, après avoir ignoré les alertes lancées par ceux qui avaient aperçu l'iceberg depuis des années ?

Dans ce que dit le président de la République, deux faits s'imposent. Le chef de l'Etat signale d'abord qu'il y a urgence. Il ne prend même pas la peine de respecter les formes. Il passe par-dessus les conseils d'administration et les ministères. Les changements doivent avoir lieu «sans délai», insiste-t-il. Est-ce le choc des premiers chiffres de l'économie algérienne en 2015 qui ont sonné l'alerte ? Après un premier mois rassurant, les chiffres des quatre premiers mois sont en effet alarmants.

La balance commerciale a enregistré un déficit de 4,32 milliards de dollars, soit une moyenne d'un déficit supérieur à un milliard de dollars par mois.

Comme la balance des paiements enregistre un déficit autour d'un milliard par mois, et à moins d'un retournement improbable du marché pétrolier, le solde global à la fin de l'année devrait donner un déficit autour de 25 milliards de dollars.

NOUVEAUX PROPHETES

Une surprise ? Non. C'est conforme aux prévisions du FMI.Tous les économistes avaient prévu ce résultat, à quelques variantes près.

Seul l'ancien ministre de l'Energie Youcef Yousfi continuait, vaille que vaille, à tenir des propos rassurants quant à la hausse de la production d'hydrocarbures, à laquelle s'ajouterait une reprise du marché du pétrole.

La brutalité des chiffres a fini par l'emporter sur les illusions, et pousser à des décisions en cascade. Il fallait d'abord se séparer de ceux qui avaient donné des prévisions erronées. Ensuite, trouver de nouveaux prophètes, capables d'imaginer des recettes pour faire face à la situation. Des magiciens, de préférence. Car avec les préalables fixés par le pouvoir, comme le fait de ne pas toucher aux transferts sociaux, et la lourdeur du système algérien, ainsi que la faiblesse des institutions et l'absence de mécanismes de régulation, il ne faut pas s'attendre à des miracles.

En fait, il ne s'agit pas de changer un mécanicien et un électricien pour sauver le Titanic. Aussi brillant soit-il, un directeur de banque publique ne fera pas la relance, et ne pourra rien face au caractère rentier de l'économie algérienne. Le changement préalable doit avoir lieu plus haut.

Comprendre pourquoi ça ne pouvait pas marcher, définir un nouveau cap, l'assumer publiquement, le partager avec les partenaires politiques et sociaux, et le mettre à exécution en toute transparence.

OUKASES

En tout état de cause, le fonctionnement par oukases ne marche plus. Au début de son règne, le président Bouteflika avait décidé une ouverture tous azimuts, qui a débouché notamment sur l'accord d'association avec l'Union européenne, avec pour résultat de mettre en compétition une non-économie algérienne avec des économies vieilles de plusieurs siècles. Il n'y avait rien d'autre à attendre que la mort de l'entreprise algérienne, et l'émergence de nouvelles entreprises totalement greffées sur l'importation. C'est ce qui est arrivé. Quelques milliards de dollars plus tard, lorsque le baril a explosé et que le pays s'est retrouvé avec une cagnotte significative, le prédisent Bouteflika a découvert le patriotisme économique.

Il a voulu changer de cap, mais il n'y avait plus d'instruments pour le faire. Il s'est alors mis à distribuer de l'argent à tout va. Aux consommateurs, mais surtout aux nouveaux oligarques, nés dans un vide institutionnel, dont l'affaire Khalifa et celle de l'autoroute donnent une idée: des dizaines de milliards de dollars consommés sans aucune institution de veille, avant un nouveau retournement de situation et de nouvelles décisions prises dans l'urgence, sans aucune garantie de succès.

QUESTIONS INUTILES

Aujourd'hui, la tentation est grande d'essayer de comprendre les nouveaux changements dans la sphère économique à travers les questions traditionnelles: A quel clan appartient le nouveau ministre des Finances ? Qui l'a choisi? Est-ce le chef de l'Etat lui-même, est-ce Saïd Bouteflika, ou est-ce le résultat d'une négociation serrée ? A quelle clientèle appartiennent les nouveaux patrons d'entreprises ?

Le nouveau ministre des Finances Abderrahmane Benkhalfa a-t-il choisi lui-même les nouveaux banquiers, ou bien a-t-il trouvé une liste déjà établie ?

A-t-il eu son mot à dire ? Va-t-il tenter d'infléchir la politique de la Banque d'Algérie, en poussant notamment à l'utilisation abusive de la planche à billets pour faire face au gigantesque déficit budgétaire annoncé, ou bien restera-t-il dans son périmètre ? Et Abdelmalek Sellal, avait-il une quelconque part dans ces nominations ?

Toutes ces questions ne mènent cependant à rien face à ce constat limpide: la crise dans laquelle le pays plonge était prévisible depuis des années. Une multitude d'acteurs ont tenté de prévenir. Ils n'ont pas été écoutés. Le pouvoir, dans ses différentes composantes, a choisi de fermer les yeux. Aujourd'hui, le même pouvoir fait semblant de vouloir agir de manière énergique pour y faire face. Mais il n'a ni les moyens, ni l'appui politique, ni les institutions pour y faire face. Au mieux, il va tenter de vendre des illusions. Au pire, son action va aggraver la crise. Quant à la solution, elle est hors de sa portée.