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Dans une longue Interview : L'ambassadeur d'Egypte dit tout au Quotidien d'Oran

par Ghania Oukazi

Omar A. Abou Eich est un diplomate qui ne craint pas de répondre à aucune question. Dans cette interview, il fait part d'éléments importants sur des problématiques épineuses. Sauf, peut-être quand il s'agit de citer, nommément des pays qui, pense-t-il, agissent contre l'Egypte ou financent les ?Frères musulmans', d'identifier «la force régionale » qui a armé les Houthis ou «l'extérieur » qui déstabilise le monde arabo-musulman. « Le monde est intelligent pour savoir de qui s'agit-il, » nous répond-il convaincu.

Le Quotidien d'Oran: Comment se portent les relations entre l'Algérie et l'Egypte ?

Omar A. Abou Eich: Al Hamdoulilah. Les relations ont atteint un niveau très haut. Aujourd'hui, on peut dire qu'il y a un partenariat stratégique entre les deux pays. Ce qui a permis cette remise en l'état de nos relations, c'est la visite, en juin 2014, du Président Al Sissi, en Algérie. L'Algérie est le premier pays qu'il a choisi de visiter, dès le commencement de sa mission présidentielle. Cette visite a identifié ce qui est « stratégique » entre les deux pays. C'est un partenariat qui englobe, tout type de relations de coopération, entre nos deux Etats, dans les domaines politique, économique, sécuritaire, culturel, social?, parce que les dimensions des relations internationales ont, toutes, leur importance entre deux pays comme l'Egypte et l'Algérie. Premièrement, ce sont les deux pays dans le monde arabe qui ont pu faire face au terrorisme et qui ont une grande expérience dans la lutte contre ce fléau. Ils ont réussi à faire face à ce qu'on appelle la ?4ème génération des guerres'. C'est un type de guerre nouveau qui confronte des groupuscules à des Etats. L'objectif est que les premiers affaiblissent les fondements des seconds jusqu'à l'écroulement. On voit, aujourd'hui, que beaucoup de pays dans le monde arabe ont échoué dans cette lutte mais l'Egypte et l'Algérie ont pu y faire face.

Q.O.: La visite du Président Al Sissi, à Alger, a duré à peine trois heures. Comment a-t-il pu avoir le temps nécessaire pour donner, au terme «stratégique », toute son ampleur en matière de coopération avec l'Algérie ?

Omar A. Abou Eich: Cela n'a rien à voir avec la durée, bien au contraire, elle peut être une preuve de compréhension entre les deux chefs d'Etat. Cette visite, aussi brève soit-elle, montre que les deux pays sont d'accord sur les thèmes essentiels de coopération. Si on reste beaucoup de temps à discuter sur le type de coopération qui se doit d'être entre nous, c'est qu'on a du mal à s'entendre sur l'essentiel. Le Président Al Sissi était, ce jour- là, en route vers Malabo, en Guinée, où devait se tenir le sommet de l'Union africaine. Il voulait faire état d'une chose très importante, c'est d'affirmer que l'Algérie a fourni beaucoup d'efforts pour faciliter le retour de l'Egypte au sein de l'Union africaine. Nous avions, bien-sûr, des contacts avec les pays africains pour que l'Egypte reprenne son statut, au sein des institutions africaines. Mais elle se devait, pour cela, d'avoir plus de contacts avec les pays frères comme l'Algérie qui est un acteur très fort et un point de ressort, au sein de l'UA. On se doit donc de consulter nos frères algériens. Et c'était normal que le Président Al Sissi remercie le Président Bouteflika, avant d'aller à Malabo. En effectuant sa première visite officielle, en Algérie, le Président Al Sissi a voulu donner un message politique très fort.

Q.O.: Qu'est-ce qui a été décidé entre les deux présidents pour que ce partenariat soit qualifié de «stratégique» ?

O.A. Abou Eich: La consécration de la consultation directe entre les deux pays. On a commencé par relancer la Commission mixte qui s'était réunie, le mois de novembre dernier, après 7 ans d'interruption. Il y a eu 16 documents de coopération (dans plusieurs domaines) qui ont été signés, dans ce cadre. La Commission mixte au niveau des Premiers ministres doit se réunir, tous les deux ans. Et chaque année, une commission de suivi doit le faire au niveau ministériel. Il est possible que la prochaine session se tienne à Alger les 14 et 15 juin prochains. C'est une proposition que nous avons faite et nous attendons la réponse des autorités algériennes. Nous avons besoin de signer beaucoup d'accords pour rétablir la base forte de nos relations.

Q.O.: Vous dites bien « rétablir », on ne revient pas sur le passé récent de ces relations qui a été bien malheureux mais juste rappeler qu'en février 2010, l'Algérie avait arrêté ses livraisons de gaz vers l'Egypte. Pourriez-vous nous en rappeler les raisons ?

O.A. Abou Eich: A l'époque, il y a avait des parties qui voulaient creuser le désaccord entre les deux pays, c'est ce qui les a laissé avancer que l'Egypte donnait ce gaz à Israël ou qu'elle n'avait pas payé ses factures à l'Algérie. Il n'y avait rien de tout cela et j'ai eu à le préciser, à maintes reprises. Ce que l'Egypte importe de l'Algérie, ce n'est pas le gaz naturel mais le gaz butane pour le distribuer aux habitations égyptiennes qui ne sont pas encore accordées au gaz naturel. Ce que l'Egypte fournissait à Israël, c'était son propre gaz naturel qu'elle produisait sur son sol.

Q.O.: Alors pourquoi l'Algérie avait-elle arrêté de vendre du gaz butane à l'Egypte ?

O.A.Abou Eich: Malheureusement, à l'époque, les choses s'étaient un peu tordues à cause du match de football. Les médias avaient joué un rôle très négatif.

Q.O.: Les politiques n'avaient-ils pas fait autant?

O.A.Abou Eich: Non? Il y a eu à l'époque des contacts entre les deux présidents, égyptien et algérien pour calmer les esprits. Le Président Moubarak était venu en Algérie pour présenter ses condoléances au Président Bouteflika. C'est d'ailleurs ce qui a baissé un peu les tensions entre les deux pays. On avait honte de continuer d'entretenir ce type tendu de relations. C'était ma tâche de les rétablir. Quand j'étais venu en poste au mois d'octobre, j'ai vu que ce qui nous a été donné, en Egypte, comme image de l'Algérie, était une image complètement fausse.

Q.O.: Même l'histoire des factures de gaz butane impayées de l'Egypte était fausse ?

O.A. Abou Eich: Totalement ! Sonatrach ne donne jamais rien sans qu'on lui avance l'argent.

Q.O.: Est-ce que les livraisons du gaz butane algérien ont repris ?

O.A.Abou EICH: Oui, la même année de leur arrêt.

Q.O.: Que s'échangent les deux pays en matière de produits ?

O.A.Abou Eich: Nous avons des exportations égyptiennes vers l'Algérie dans le domaine agroalimentaire et électroménager. Nous importons de l'Algérie plusieurs produits pétroliers. Nos échanges commerciaux ont atteint 1,3 milliard de dollars, en 2014. On limite nos exportations vers l'Algérie à cause de la liste négative établie au titre de la zone arabe de libre échange (ZALE). Si on les ramène, on doit payer des frais de douane.

Q.O.: Les positions algérienne et égyptienne convergent-elles au sujet du règlement des lourds conflits qui minent la région du monde arabo-musulman?

O.A.Abou Eich: Les deux pays s'entendent sur le fait que le choix politique soit dominant pour le règlement de ces crises. Il y a une convergence totale à propos de la crise en Libye. Mais il y a le problème du terrorisme qui nous oblige, selon notre point de vue, à avoir une voie parallèle à la voie politique. Nous proposons, nous Egyptiens, que le gouvernement libyen actuel qui est un gouvernement légitime, soit doté d'armement nécessaire pour combattre le terrorisme.

Q.O.: Mais ne pensez-vous pas qu'il y a trop d'armes en Libye depuis l'intervention de l'OTAN ? Faudrait-il encore en augmenter les quantités alors que la Libye est totalement divisée ?

O.A.Abou Eich: C'est ça l'ambiguïté de la Communauté internationale ! La question libyenne est tellement complexe que tout le monde interfère. Et si ça continue, la Libye va s'écrouler totalement.

Q.O.: Mais qui est légitime et qui ne l'est pas dans un pays qui a du mal à sécuriser et à unifier ses territoires ?

O.A.Abou Eich: Le gouvernement qui a été choisi par le peuple, à l'issue d'élections officielles approuvées par le monde entier.

Q.O.: Qui devrait lui donner des armes ?

O.A.Abou Eich: La Communauté internationale. Parce que ce qui se passe dans ce pays est qu'on a laissé, chaque camp, se doter d'armement. En plus, les armes fournies par la Turquie continue à se déverser sur Tripoli. On a entendu dire que le fameux général Haftar a largué ses bombes sur les aéroports. Non, ce n'est pas vrai. Il a largué ses bombes sur les points de flux d'armement qui viennent de la Turquie pour soutenir les groupes terroristes de Daesch ou d'autres camps.

Q.O.: Etes-vous sûr que la Turquie soutient les groupes terroristes en Libye et leur fournit des armes ?

O.A.Abou Eich: Oui. On en a beaucoup parlé. Le rôle de la Turquie est un rôle très ambigu. La Libye vit une crise dont les conséquences pèsent sur les pays voisins. On peut imaginer que l'Algérie, l'Egypte, la Tunisie, le Tchad, le Niger ou le Soudan aient une vision sur son règlement parce qu'ils en sont, directement concernés. Mais en quoi pourrait être concerné la Turquie dans ce qui se passe en Libye ?

Q.O.: Question de leadership dans le monde arabo-musulman?

O.A.Abou Eich: D'abord, ce n'est pas un pays arabe. C'est un pays musulman, qu'il ait alors un rôle positif ! Or, ce n'est pas le cas. D'ailleurs, il y a beaucoup de questions qui se posent sur le rôle de la Turquie chez Daesch, en Syrie.

Q.O.: Est-ce que vous pensez que l'intervention militaire musclée de l'Egypte en territoire Libyen a réglé le problème du terrorisme en Libye ?

O.A.Abou Eich: Il n'y a pas eu d'intervention militaire égyptienne en Libye. Ce sont des frappes militaires. Nous avons frappé Daesch, en Libye, après l'assassinat des 21 ressortissants égyptiens coptes. Nous nous sommes dit que c'est un assassinat de trop, parce que ce n'était pas le premier. C'était le 5ème assassinat d'Egyptiens.

Q.O.: Pourquoi l'Egypte n'a-t-elle pas réagi dès le premier ?

O.A.Abou Eich: Premièrement, le nombre n'était pas grand. On avait, en outre, essayé, de temps à autre, de régler les choses autrement pour ne pas avoir à intervenir militairement en Libye.

Q.O.: Vous parlez de nombre de morts qui n'était pas grand ?

O.A.Abou Eich: Oui. Il faut noter qu'il y a presque 500.000 Egyptiens qui vivent en Libye.

Le Quotidien d'Oran : Les premiers, c'étaient des assassinats individuels, un ou deux Egyptiens tués mais au 5ème, c'était 21 coptes assassinés. Vous avez donc pensé que c'était trop et qu'il fallait réagir militairement ?

O.A.Abou Eich: Exactement. Il y a eu une grande colère qui s'était propagée, en Egypte, après l'assassinat des 21 Egyptiens coptes. On a donc mené un raid aérien, en Libye et frappé les lieux d'approvisionnements en armement de Daesch et ses camps d'entraînement.

Q.O.: Est-ce que les résultats ont été probants dans ce sens ?

O.A.Abou Eich: 100%. Il y a quelque-chose de plus important, si on n'a pas mené ce raid, la question politique ne pouvait pas avancer.

Q.O.: Pourtant, l'Algérie appelait à un dialogue inclusif de toutes les parties libyennes bien avant cet assassinat et ce raid militaire égyptien ?

O.A.Abou Eich: Ce raid a donné la preuve, à tout le monde, que la question libyenne pouvait se détériorer, de plus en plus, et qu'il fallait bouger le plus vite possible pour la régler.

Q.O.: Trouvez-vous normal qu'un pays vient bombarder un autre pays alors que vous l'avez bien dit, son gouvernement est légitime ?

O.A.Abou Eich: Nous ne l'avons pas fait seuls mais avec l'aval de l'armée libyenne et du gouvernement libyen. J'insiste pour dire que nous l'avons mené avec l'accord du gouvernement libyen et la contribution de l'armée libyenne. Ce raid a eu des conséquences positives puisque les ressortissants égyptiens ne sont plus assassinés en Libye. C'était très important de donner ce message aux groupes terroristes de Daesch.

Q.O.: L'Algérie n'avait eu aucun droit de regard sur ce que l'Egypte avait décidé de faire en Libye ? L'avez-vous consultée puisque vous dites que vous êtes liés par un partenariat stratégique ?

O.A.Abou Eich: L'intervention militaire égyptienne devait se faire sur la partie-est de la Libye, loin des frontières avec l'Algérie. Les frappes militaires égyptiennes étaient menées sur les camps de la ville de Darna, toute proche des frontières égyptiennes. Nous avions, de plus en plus d'Egyptiens qui étaient assassinés dans cette région.

Q.O.: L'Egypte n'a-t-elle pas fait évacuer ses ressortissants de la Libye ?

O.A.Abou Eich: On en a fait évacuer un certain nombre, certains l'ont été par la Tunisie et un petit nombre par l'Algérie, mais il en reste encore.

Q.O.: Ils ne veulent pas quitter la Libye ?

O.A.Abou Eich: Ils vivent là bas depuis une vingtaine ou une trentaine d'années, ça se comprend, ils se sentent Libyens.

Q.O.: Tous les observateurs s'accordent à dire que toute intervention militaire, dans n'importe quelle partie du monde, ne peut être que de trop et ne peut semer que la terreur et le chaos ?

O.A.Abou Eich: Pourquoi alors la Communauté internationale bombarde-t-elle la Syrie ?

Q.O.: Mais l'on voit bien que les bombardements de la Communauté internationale ont semé la terreur et le chaos en Syrie, en Libye, en Afghanistan, en Irak et dans bien d'autres pays. Sinon, pourquoi n'ont-ils pas ramené la paix ?

O.A.Abou Eich: ? Si on est obligé de le refaire encore une fois, on le refera.

Q.O.: Même au détriment de la solution politique ?

O.A.Abou Eich: Mais on voit bien qu'il y a des pays qui ont des intérêts avec Daesch pour recevoir le pétrole à 10 dollars le baril.

Q.O.: Qui sont ces pays?

O.A.Abou Eich: Tout le monde les connaît. Il y a donc des intérêts qui ne poussent pas, tout le monde, à agir de la même façon.

Q.O.: Comment voyez-vous le rôle de Bachar Al Assad dans le règlement de la crise syrienne ?

O.A.Abou Eich: On ne peut dire qu'Al Assad est le problème ou est la solution de la crise syrienne. Mais au moins, il y a déjà des pourparlers, il y a eu une réunion des opposants syriens, en Egypte, il y a des propositions qui ont été faites et qui peuvent aboutir à une solution.

Q.O.: Avec Al Assad ou sans lui ?

O.A.Abou Eich: Al Assad ne peut pas continuer longtemps à diriger la Syrie. Il ne doit pas rester. Néanmoins, il peut être une partie de la solution.

Q.O.: L'Egypte continue-t-elle à croire au règlement de la crise au Yémen en participant dans la coalition militaire arabe au nom de ce qui est appelée «l'attaque ou la tempête décisive » mais qui n'a rien conclu? Dans quel état se trouve le Yémen, aujourd'hui, après les interventions militaires de ses voisins arabes?

O.A.Abou Eich: Le Yémen est, aujourd'hui, dans un état désastreux parce qu'une force régionale a poussé un groupe lié à ce pays à se révolter. Avant l'intervention militaire, il y a eu une initiative des pays du Golfe pour régler ce problème. Une fois que tout a été réglé par le dialogue, les Houthis ont repris les armes avec l'aide de l'ex président Ali Abdallah Salah.

Q.O.: Qui est cette force régionale ?

O.A.Abou Eich: Elle est connue.

Q.O.: Etes-vous d'accord avec les pays du Golfe qui affirment que c'est l'Iran qui a armé les Houthis et les a poussés à se révolter contre l'actuel président yéménite ?

O.A.Abou Eich: Peut-être que l'Iran a un intérêt à le faire, peut-être que les Houthis se sont révoltés grâce à l'aide des Iraniens. C'est possible?

Q.O.: Est-ce que vous pensez que la coalition militaire arabe pourrait venir à bout de ce conflit ?

O.A.Abou Eich: On se devait d'intervenir, militairement, après que le Yémen soit, complètement tombé entre les mains des Houthis. Mais il faut préciser que l'Egypte n'a pas attaqué le Yémen. Il faut savoir que Bab El Mandab qui mène vers la mer Rouge est un point aussi rouge pour notre sécurité nationale. S'il est bloqué, le Canal de Suez ne fonctionnera plus. L'intervention égyptienne était uniquement, à ce niveau. Il fallait permettre à tous les navires de circuler sur le Canal de Suez. Une des conditions est que ces navires n'appartiennent pas à un pays ennemi.

Q.O.: Qui sont les pays ennemis à l'Egypte ?

O.A.Abou Eich: Ennemi veut dire que c'est un pays avec qui on peut entrer en guerre. On n'en a pas? pour le moment. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de pays qui veulent du mal à l'Egypte.

Q.O.: Vous pouvez les citer nommément ?

O.A.Abou Eich: Des pays qui essaient de causer des problèmes internes, qui subventionnent le terrorisme en Egypte, il y en a peut-être deux?

Q.O.: Pourquoi avez-vous cité nommément, la Turquie, en affirmant qu'elle arme les groupes terroristes et vous ne voulez pas dire qui sont ces pays qui veulent, selon vous, du mal à l'Egypte, ceux qui veulent avoir le baril de pétrole à 10 dollars ou cette force régionale qui a armé les Houthis?

O.A. Abou Eich: Tout le monde les connaît?

Q.O.: Je vois que vous ne voulez pas qu'on insiste?Pourquoi la Communauté internationale et les Etats-Unis ne tirent-ils pas de leçons des interventions militaires qu'ils ont menées contre des pays comme l'Afghanistan ou l'Irak et continuent-ils à mener ou à soutenir des guerres inutiles et destructrices ?

O.A.Abou Eich: Qui a constitué les camps des terroristes en Afghanistan ? Qui a fait entrer 4.000 terroristes d'Afghanistan dans le Sinaï ?

Q.O.: Vous ne répondez pas à ma question. Mais qui a fait entrer des terroristes dans le Sinaï ?

O.A.Abou Eich: A l'époque où Morsi dirigeait l'Egypte, il a fait entrer 4.000 terroristes de l'Afghanistan dans le Sinaï. Les Frères musulmans voulaient dominer cette région, sous l'égide d'un pays qui a des rêves historiques. Ils voulaient constituer une armée pour lutter contre l'armée égyptienne. Morsi a été aidé, dans cela, par la confrérie des ?Frères musulmans' d'autres pays.

Q.O.: Encore une fois, vous ne voulez pas dire qui sont ces pays ou celui qui a des rêves historiques ?

O.A.Abou Eich: Ils sont connus?

Q.O.: Est-ce que la révolte du peuple égyptien, en janvier 2011, contre l'ex président Moubarak a été « spontanée », sans l'aide d'aucun pays étranger ?

O.A.Abou Eich: Le peuple égyptien s'est révolté tout seul contre un régime qui avait provoqué, trois ans avant, un très fort mécontentement non seulement chez les couches défavorisées mais aussi dans la classe moyenne. Le peuple ne voulait pas céder l'Egypte du père au fils.

Q.O.: Pourrait-on croire que les révoltes dans les pays arabes ont toutes été « spontanées » ?

O.A.Abou Eich: Dans les sciences politiques, il y un phénomène qui s'appelle la contagion politique. Ces pays avaient des facteurs communs qui devaient déclencher ces révoltes.

Q.O.: Il y a des spécialistes en sciences politiques qui ont donné des liens électroniques qui pouvaient montrer que des jeunes de ces pays avaient été manipulés par « la main de l'étranger »?

O.A.Abou Eich: Ça peut exister. Tous ceux qui avaient intérêt à ce que ces changements aient lieu, pouvaient aider à les provoquer. Mais c'est peut-être possible pour un pays faible pas un pays fort comme l'Egypte. Sinon, pourquoi « cette main de l'étranger » ne l'a-t-elle pas fait lorsqu'on a eu par le passé, des mécontentements bien plus forts ?

Q.O.: Peut-être pour des besoins de stratégies et de conjonctures?

O.A.Abou Eich: Des pays étrangers ont dû saisir l'opportunité des ces révoltes. Oui, quand on sait que les ?Frères musulmans' ne devaient pas participer à ce mouvement de révolte mais ils avaient changé d'avis et étaient rentrés en plein milieu. On a dû leur demander de l'extérieur de le faire.

Q.O.: Vous ne dites pas qui est « cet extérieur »?

O.A.Abou Eich: Le monde est intelligent pour le deviner.

Q.O.: L'Egypte vit-elle mieux aujourd'hui ?

O.A.Abou Eich: Le pays a eu, au temps de Moubarak, un taux de croissance de 5,5% mais il n'a pas profité aux couches défavorisées. C'était une croissance sans dimension sociale. Aujourd'hui, les choses ont changé. Les institutions économiques et financières internationales affirment, elles mêmes, que l'Egypte se trouve dans une position positive. Je vous donne un petit exemple. Lorsque le président a fait part au peuple de son projet de créer un passage parallèle au Canal de Suez pour permettre aux flux de marchandises d'être plus importants et de circuler dans les deux sens, le coût de ce projet était de près de 9, 2 milliards de dollars, il a eu cette somme en 7 jours, du peuple égyptien.

Q.O.: Il a fait une quête ?

O.A.Abou Eich: Oui.

Q.O.: Les Egyptiens sont aussi riches au point de donner de l'argent à l'Etat ?

O.A.Abou Eich: Il y a des riches en Egypte. Mais les Egyptiens sentent, surtout, qu'aujourd'hui, il y a un leader en qui ils peuvent faire confiance parce qu'il veut travailler pour tout le peuple, des pauvres et des riches, des musulmans et des chrétiens, des vieux et des jeunes. C'est le président de tous les Egyptiens. Auparavant, au temps de Morsi, nous avons eu des consultations avec le FMI pour qu'il nous accorde une dette de 4,2 milliards de dollars, plus de 6 mois après, on n'a rien eu.

Q.O.: Parce que l'Egypte n'était pas solvable ?

O.A.Abou Eich: Non, parce que les ?Frères musulmans' à l'époque n'avaient ni stratégie ni vision ou programme économique en qui les institutions internationales pouvaient faire confiance.

Q.O.: Puisque l'Egypte peut avoir de l'argent de son peuple, pourquoi a-t-elle appelé à une conférence des donateurs ?

O.A.Abou Eich: Ce n'était pas une conférence des donateurs mais d'investissements. Il y a d'importants projets d'investissements en Egypte. Plusieurs organisations peuvent trouver un intérêt à participer à leur financement. Il y a eu des dépôts bancaires dans les banques égyptiennes de la part des pays du Golfe pour faire tourner l'économie. Il y a eu, aussi, des projets bien préparés qui ont été pris en charge par des investisseurs étrangers. Des lettres d'intention ont été signées pour des projets qui ont besoin de plus de maturation. Au titre de tous ces projets réunis, dont la plupart sont privés, et grâce à cette conférence, l'Egypte a pu engranger 130 milliards de dollars pour les 7 années à venir.

Q.O.: Est-ce que l'Algérie s'est engagée à financer des projets ?

O.A.Abou Eich: On a eu des contacts avec le FCE. Son président s'est rendu en Egypte, il est très intéressé d'y avoir des projets parce que le climat des affaires est très encourageant. Ce type d'investissements privés permet d'avoir des relations très fortes entre nos deux pays.

Q.O.: L'Egypte aurait-elle de nouveaux projets en Algérie autres que ceux qui sont connus (comme dans le ciment) ?

O.A.Abou Eich: Il en existe de nouveaux dans l'agroalimentaire, une usine de câbles, des investissements qui consolident la relation économique entre les deux pays.

Q.O.: Les besoins de relance de l'économie égyptienne pourraient-ils apaiser la colère de nombreux pays, institutions, notables et simples citoyens du monde qu'a suscité le nombre élevé de condamnations à mort prononcées ces derniers temps contre les ?Frères musulmans' ?

O.A.Abou Eich: Nous n'acceptons aucune ingérence. Aucune partie n'a le droit de commenter des décisions de justice. Est-ce que moi, en tant qu'Egyptien, je peux commenter une décision de justice prise aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde ? Bien sûr que non ! Il y a des pays qui ont de gros problèmes de droit de l'Homme et ils se permettent de le faire.

Q.O.: Le pouvoir égyptien actuel compte-t-il décourager le mouvement des ?Frères musulmans' par ces condamnations à mort ?

O.A.Abou Eich: Le système juridique et judiciaire égyptien est très fort. Même avec des condamnations, ce n'est pas fini, il y a d'autres niveaux d'appréciation.

Q.O.: Les condamnations à mort prononcées contre l'ex Président Morsi et d'autres frères musulmans ont été soumises au Mufti de la République mais cette institution n'est-elle pas que consultative ? C'est juste pour avoir la conscience tranquille du point de vue religieux ?

O.A.Abou Eich: Exactement. Il faut savoir que ces condamnations ont été prononcées sur la base d'évidences et de faits très fortement établis. Le procès a duré plus de trois ans et le juge n'est pas spécial. Ce n'est pas un procès politique sinon on aurait eu des tribunaux spéciaux ou révolutionnaires. C'est donc publiquement, en toute transparence et en toute indépendance que la justice a prononcé ces condamnations.

Q.O.: L'ex Président Morsi est donné pour être le seul président égyptien à avoir été élu démocratiquement. Le peuple égyptien s'est-il trompé à ce point ?

O.A.Abou Eich: Hitler a été le seul à son époque à avoir été élu démocratiquement mais il a détruit le monde entier.

Q.O.: Le général Al Sissi est arrivé par un coup d'Etat?

O.A.Abou Eich: Non. Est-ce que vous avez entendu parler d'un coup d'Etat commis par 30 millions d'habitants ? Il avait demandé plusieurs jours avant, d'aller à des élections parce qu'il avait senti qu'il allait avoir une confrontation entre les ?Frères musulmans' au pouvoir et le peuple égyptien. L'armée ne pouvait rester les bras croisés en attendant le déclenchement d'une guerre civile.

Q.O.: Une institution militaire peut-elle promouvoir la démocratie et laisser le peuple faire librement ses choix politiques ?

O.A.Abou Eich: En France, il y a eu le général De Gaulle, aux Etats-Unis, le général Eisenhower. Est-ce qu'ils étaient antidémocratiques ?

Q.O.: C'était peut-être des conjonctures historiques assez particulières?

O.A.Abou Eich: Non, ça n'a rien à voir. Le président Chirac était aussi un militaire à la tête de la France?

Q.O.: L'expérience algérienne des années 90 vous sert-elle à quelque chose ou vous aide-t-elle dans votre lutte contre le terrorisme intégriste ?

O.A.Abou Eich: Les Salafistes en Algérie avaient l'intention de créer un Etat islamique. C'est pour cela que c'était très facile pour eux de compter sur la société?

Q.O.: Pouvaient-ils, sans aucun projet de société, avec la violence, le crime et l'exclusion, prétendre construire un quelconque Etat ?

O.A.Abou Eich: Ils n'avaient, surtoutn pas compris que l'Algérie est une Nation grande et forte.

Q.O.: Sont-ils aussi idiots que cela ?

O.A.Abou Eich: Les ?Frères musulmans' le sont. Ils ne pensent pas aux frontières, ni à l'Etat. Leur « morchid » a d'ailleurs insulté l'Egypte publiquement parce qu'il ne croit pas en un pays souverain. Ils veulent une nation qui englobe tous les musulmans, sans frontières, soumise peut-être à une autre forme d'Etat. L'ex président Morsi lui-même avait signé des décrets pour céder des terrains au Palestiniens dans le Sinaï et d'autres dans le sud Soudan. Dans les années 80, les Salafistes qui faisaient partie du régime égyptien, avaient fomenté des actes terroristes. Nous étions conscients que l'option militaire seule ne pouvait pas régler ce problème. Il y a eu donc des concertations entre eux et les institutions religieuses et sociales pour le régler. Ce dialogue a permis à ceux qui étaient, dans le passé, des terroristes, d'être aujourd'hui, députés ou patrons de médias. Les lois ont été revues pour permettre leur intégration dans la société. Par contre, les ?Frères musulmans' n'acceptent pas le dialogue. Le président Al Sissi a ouvert la porte à tous ceux qui n'ont pas recouru aux armes. Mais ils ne veulent que tuer et saboter le pays.

Q.O.: Le président Al Sissi prévoit-il de neutraliser le mouvement des ?Frères musulmans' qui datent depuis 1928, par ces condamnations à mort alors que la donne islamiste est une donne sociale, bien ancrée avant qu'elle ne soit politique ?

O.A.Abou Eich: C'est le peuple qui veut le neutraliser parce qu'il le rejette totalement. Le Président Sadate avait fait appel aux ?Frères musulmans parce qu'il voulait, à l'époque, équilibrer entre l'existence des socialistes qui étaient au pouvoir. C'était le début du dérapage politique. S'il n'y avait pas eu cette décision, on aurait été en paix, aujourd'hui.

Q.O.: Pourquoi les pays musulmans, à commencer par ceux du Maghreb dont l'Algérie, craignent-ils tous les Salafistes alors que l'Egypte les considère, pratiquement, comme des alliés politiques ?

O.A.Abou Eich: Les Salafistes en Egypte ont été convaincus, grâce à cette politique de dialogue, que ce qui c'était passé, dans les années 80, n'avaient rien à voir avec la religion, c'était une question sociétale. Nous sommes un peuple religieux, nous ne pouvons pas attendre que quelqu'un vienne nous l'expliquer. Le peuple refuse que d'autres musulmans lui dictent ce qu'il doit faire. Les Salafistes l'ont compris, pas les ?Frères musulmans'.

Q.O.: Qu'est-ce qui a fait que pendant de longues années, les ?Frères musulmans' n'ont pas eu de confrontation ni avec le régime politique, ni avec le reste du peuple égyptien?

O.A.Abou Eich: A sa naissance, en 1928, leur mouvement était une simple « daâwoua islamia » au sein de la société. Ils ont commencé à penser à changer la société par la violence dans les années 40. Ce changement d'attitude et de moyens de persuasion a été subventionné par les Britanniques, à l'époque où Hassan El Bana était enseignant à El Ismaïlia, la ville du Canal de Suez. Al Bana avait reçu des Britanniques un don de 500 livres égyptiennes pour y construire une mosquée. Le coût de réalisation de cette mosquée à l'époque, était de 100 livres égyptiennes. Les 400 restantes lui ont servi à acheter des armes pour confirmer la force militaire des ?Frères musulmans'. Dans les années 40, ils avaient commis des attentats contre le 1er ministre, des leaders politiques, contre des juges qui avaient jugé quelques-uns d'entre eux.

Q.O.: Selon vous, c'est la Grande-Bretagne qui est à l'origine du financement du terrorisme islamiste en Egypte?

O.A.Abou Eich: Les ?Frères musulmans' ont été financés à l'époque par les Britanniques.

Q.O.: Est-ce qu'on pourrait établir un lien quelconque entre ce financement et l'apparition, aujourd'hui de Daesch et de Ben Laden auparavant ?

O.A.Abou Eich: Tous ont été subventionnés par les Occidentaux. Ben Laden l'a été à l'époque où il combattait l'Union Soviétique.

Q.O.: Ben Laden est alors une création des Etats-Unis ?

O.A.Abou Eich: Tout le monde le sait.

Q.O.: Mais quels objectifs visent-ils en mettant des pays entiers, sens dessus- dessous, en cherchant le prétexte de les envahir alors qu'ils sont le pays le plus endetté au monde et les guerres leur coûtent très cher ?

O.A.Abou Eich: La conseillère américaine en sécurité nationale a fait part, à l'époque, du « désordre novateur. » Il y a eu, donc, déjà des idées qui voyaient que les pays qui luttaient contre le terrorisme devaient être recréés.

Q.O.: C'est ce que les Etats-Unis de Bush avaient qualifié de GMO (Le Grand Moyen-Orient) ? Ont-ils alors participé, directement, dans la déstabilisation, notamment, du monde arabo-musulman ?

O.A.Abou Eich: Ce sont des idées. Ils ont, probablement, saisi l'opportunité des révoltes arabes pour les enfoncer dans leurs problèmes et les déstabiliser par le terrorisme.

Q.O.: Partagez-vous l'analyse qui avance qu'un front Syrie-Iran-Russie pourrait venir à bout des groupes terroristes ?

O.A.Abou Eich: Ces trois pays ne le feront pas. Ces questions sont d'un niveau très compliqué pour qu'elles soient résolues de la sorte.

Q.O.: Le froid diplomatique récent entre L'Egypte et le Maroc s'est-il atténué?

O.A.Abou Eich: Tout de suite. L'Egypte donne beaucoup d'importance aux pays arabes parce qu'elle croit qu'ils doivent constituer une force réelle dans la conjoncture internationale actuelle. Nos relations avec tous les pays arabes doivent être bonnes et fortes. Nous sommes conscients que c'est la fraternité arabe qui doit triompher à la fin.

Q.O.: Que pense l'Egypte de la question sahraouie ?

O.A.Abou Eich: Son règlement revient aux Nations unies.

Q.O.: La colonisation des territoires palestiniens date depuis 1948 mais pourquoi aucune coalition arabe ne s'est-elle constituée pour les libérer ?

O.A.Abou Eich: Le monde arabe a plusieurs causes à défendre. Au dernier sommet arabe de Charam Echeikh, il a été, cependant, retenu que la question palestinienne reste sa cause principale. Il faut que les factions palestiniennes se réconcilient entre elles. C'est très important.

Q.O.: Le soutien à la cause palestinienne semble rester au stade du discours ?

O.A.Abou Eich: Non.

Q.O.: Comment la soutenez-vous?

O.A.Abou Eich: Il y a des choses qu'on ne peut pas dire. Il faut savoir qu'il y a des groupes à Ghaza qui veulent saboter toute action de soutien parce qu'ils sont soutenus par d'autres pays.

Q.O.: L'Egypte entretient-elle toujours des relations avec Israël ?

O.A.Abou Eich: Non, pas à un niveau élevé. Nous avons retiré notre ambassadeur même au temps de Moubarak.

Q.O.: L'Algérie plaide toujours pour la réforme de la Ligue arabe en premier, en instaurant une présidence tournante. L'Egypte partage-t-elle cet avis ?

O.A.Abou Eich: La décision de le faire revient aux dirigeants arabes. Le secrétaire général par exemple, ne décide de rien, il exécute. Il est l'administrateur qui met en œuvre des décisions collectives des pays membres.

Q.O.: Les lobbys égyptiens ne bloqueraient-ils cette réforme ?

O.A.Abou Eich: Pas du tout.La Ligue arabe a déjà des problèmes financiers, il y a des pays qui ne paient pas leurs cotisations. Il faut penser à tout ça.

Q.O.: Il y a du monde dans votre ambassade. C'est pour les visas ?

O.A.Abou Eich: Oui. On a allégé la procédure d'octroi des visas classiques. Actuellement, le visa égyptien est délivré aux Algériens en une dizaine de jours. C'est une exception qu'on a accordée à l'Algérie. S'il y a des groupes qui s'organisent avec une agence touristique, on leur donne le visa en une journée. Les hommes d'affaires ont un visa d'une année avec des entrées multiples. Nous avons près de 30.000 demandes par an avec un taux de refus de bien moins de 1%.

Q.O.: Les mariages mixtes sont-ils nombreux ?

O.A.Abou Eich: Oui. Beaucoup de mariages se font par Internet. Dans ce cas, les contrats de mariage établis par nos services ne sont pas reconnus par les autorités algériennes parce qu'elles tiennent absolument à être sûres que le mariage n'est pas faux. Il y a une commission consulaire qui traitera de ce sujet au mois de juin.