Envoyer à un ami | Version à imprimer | Version en PDF

«Quand petits on jouait à tchilla, étais-tu là?» - Hind Obrouhaha in «L'Expression de mes profondes pensées », autobiographie à paraître chez Casbah : L'HISTOIRE OFFICIELLE DE LA CRITIQUE DE CINÉMA EN ALGÉRIE

par T. H.

Tous les jours, un point de vue critique sur les critiques de cinéma accrédités à Cannes.

Résumé des épisodes précédents. L'auteur de cette chronique a annoncé en début de Festival que ce sera son dernier.

Une jeune journaliste, désignée par ses soins, devrait le remplacer dès l'année prochaine. Oui, mais qui ? La question est posée, le débat engagé...

L'histoire de la critique de cinéma en Algérie est très liée à l'histoire du pays lui-même, comment peut-il en être autrement ? Comme il y a le 1er Novembre (déclenchement de la révolution) et le 5 Juillet (jour de l'Indépendance), pour l'histoire de la critique du cinéma en Algérie il y a également deux repères historiques inébranlables: Mouny Berrah, la regrettée révolutionnaire qui a pris son stylo comme une intrépide moudjahida pour installer la critique de cinéma en Algérie, Tewfik Hakem qui lui a succédé à la fin des années 80 en introduisant un ton disons plus «July 5th», ce qui ne veut rien dire, et c'est exactement ça.

Les deux critiques ne sont jamais aimés, la première considérait le second au mieux comme le petit Omar de «L'Incendie» perdu dans les bureaux d'Algérie-Actualité. Mais ils eurent tous les deux leur petit quart d'heure de célébrité durant les années Chadli. Dans toute l'Algérie qui va de la fin de la rue Larbi M'hidi au début de la rue Didouche Mourad, on les appelait les Louella Parsons et Hedda Hopper de l'Afrique. Les témoins de cette époque, s'ils vous disent qu'ils ne se souviennent pas de ce détail, sachez qu'ils étaient déjà sourds à l'époque. Plus tard dans les universités algériennes les parcours et les travaux de deux critiques de cinéma furent étudiés pour des thèses de doctorat. Deux étudiants kabyles (toujours les mêmes qui se font remarquer) furent arrêtés par la bonne police de l'époque pour avoir relevé dans leurs mémoires que les deux critiques de cinéma algériens ne l'étaient pas tout à fait car ils se sont fait connaître surtout pour leurs écrits sur la télé. Mouny Berrah en tenant une chronique plutôt sérieuse, souvent ennuyeuse mais toujours bien chiadée, son petit Omar en se contentant d'insérer tant bien que mal des notules rigolotes dans les programmes télés. C'était l'époque où il n'y avait qu'une seule chaîne de télévision à voir et seulement une poignée de journaux gouvernementaux à feuilleter.

Quelques prestigieux historiens internationaux qui ont étudié de près l'histoire de la critique de cinéma en Algérie (leurs travaux sont disponibles sur les sites des universités de Berkeley, Oxford et Sciences Po Bouzaréah) ont néanmoins noté que le niveau avait baissé entre la période Mouny et Abdou B., et celle d'après. Pour preuves, ils avancent que quand même Mouny avait lancé avec l'appui de Abdou B. une revue analytique consacrée au cinéma et à la télévision, «Les Deux Ecrans» et qu'elle avait en outre signé le scénario d'un film culte «Nahla», de son boyfriend de l'époque Farouk Belloufa. Alors que de son côté le petit Omar de la critique cinéma s'est difficilement hissé au statut de lecteur de scénarios pour le compte du CNC et de script-doctor payé au lance-pierres par une nouvelle génération de cinéastes irrespectueux du travail des autres. Toujours en défaveur de ce dernier, les universitaires notent que lorsque l'évidence d'une impossibilité d'écrire librement en Algérie fut officiellement prouvée, Mouny Berrah s'exila aux Etats-Unis alors que son flippé de dauphin n'eut que Barbès, Paris comme point de chute envisageable.

Bien sûr toute cette riche histoire de la critique de cinéma en Algérie est aujourd'hui oubliée. Plus personne ne se souvient des Louella Parsons et Hedda Hopper de l'Afrique. C'est la raison pour laquelle il faut sans plus tarder remettre les clés à une nouvelle tête d'affiche, quitte à la créer de toutes pièces. Il faut faire revivre la flamme qui entretient la passion de la critique du cinéma et perpétuer ainsi une tradition intimement liée à l'histoire révolutionnaire de notre civilisation post-indépendance. Le cliquetis des clés à remettre attire dans la brume du jour qui se lève à Cannes deux créatures qui avancent à quatre pattes en miaulant d'une manière plus que suggestive. Est-ce toi Hind O? Est-ce toi Sarah Haider? Comment choisir la bonne bête qui fera l'affaire ? Le feuilleton continue...