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Y aura-t-il un réveil possible pour la «Cigale Algérie» ?

par Abdelkader Khelil *

Prise de court, la «cigale Algérie», habituée à «chanter» et à «festoyer» sans faire outre mesure économie de sa dépense publique, semant à tout vent les dividendes de sa rente pétrolière et gazière, se dit vouloir «changer» après avoir usé et abusé de ses réserves tout en donnant aussi et sans contrepartie à un peuple dont on veut faire cette «chose malléable» à défaut d'être remis sérieusement au travail afin de ne rien devoir à l'État providence !

Cette entité malicieuse non préparée au labeur et à s'investir dans l'esprit du «gagnant-gagnant» a depuis bien longtemps pris option pour le «donnant-donnant» qu'elle pratique à merveille par routes barrées et pneus brûlés. C'est vrai que cette mentalité typiquement algérienne ne date pas d'aujourd'hui. Elle a pris d'abord naissance à «l'école» de la révolution agraire du : «haak el maftah ya fellah» chanté par Rabah Driassa, qui, au lieu d'induire une amélioration de la productivité du secteur agricole, a plutôt donné lieu au déversement de cette «houle rurale» à la lisière des agglomérations urbaines, en quête d'un nouvel éden.

L'on a par la suite rajouté une couche, avec le «programme anti-pénuries» du «tout-venant» destiné à gaver un peuple réduit à une «panse» dont il fallait assouvir les envies, nous a-t-on dit ! Mais après ? Me diriez-vous ! Eh bien, c'est encore pire ! Par populisme manifesté à travers une politique laxiste du «laisser-faire», l'on n'a pas cherché à rétablir progressivement l'équilibre rompu entre villes et campagnes, par l'initiation d'une authentique politique opérationnelle d'aménagement du territoire, alors que nous disposions de moyens colossaux pour le faire, même si en partie détournés dans l'impunité la plus totale ! Dans cette ambiance délétère et de perte de confiance en un «État régulateur» qui a montré ses limites, l'exigence du «tout pour rien et tout de suite», a donc éclipsé le travail et s'est installée durablement comme revendication sociale principale !

BIEN-ÊTRE MODE PARESSEUX DANS LE PARADIS DU SOCIAL !

Résultat des courses ! Les terres agricoles en milieu rural sont dans une large proportion livrées à la jachère -plus de 3 millions d'hectares- et celles périurbaines ont servi en grande partie à la construction exponentielle de nouveaux équipements et de logements par centaines de milliers pour résorber les déficits induits par l'exode massif des populations rurales ! Après plus d'un demi-siècle d'indépendance, force est de déplorer la disparition d'une paysannerie authentique en milieu rural, ainsi que l'éclipse de l'esprit de la citadinité dans nos villes devenues de gros bourgs, où la population - toutes origines confondues- a fusionné dans cette mixité voulue aux fins électoralistes, en un «monobloc rurbain», où la civilité n'est qu'occasionnellement perceptible, que dans quelques rares îlots de quartiers. C'est cette population «néo-rurbaine» qui est constamment «tirée par les oreilles» à chaque rendez-vous électoral, comme pour faire respecter strictement le principe du «retour d'ascenseur», à défaut d'être sérieusement remise au travail et associée à la construction d'un projet d'avenir où chacun pourra mériter dignement son statut de citoyen au service d'une cause commune, qui donne un sens à la citoyenneté et une raison d'appartenance à une nation, avec un grand «N», pour être à son service exclusif !

Oui ! En dehors de cela, il n'y a que mensonge et trahison à l'égard de ceux qui se sont sacrifiés pour avoir cru à cet idéal ! Alors ! Repentance exigée des autres n'est en définitive qu'effet d'optique et «bluff» destinés à créer l'illusion de servir au mieux les intérêts nationaux, en même temps que ceux qui le clament se préparent toute honte bue, un exil doré chez l'ennemi d'hier, auquel on fait semblant de faire un procès de conscience, afin de ne pas trop heurter sa susceptibilité par crainte de ne pouvoir bénéficier de renouvellement de cartes de séjour et de double nationalité, eux qui sont en quête d'un statut de «Harragas VIP» lorsque leur échec sera totalement consommé et qu'ils seront chassés !

C'est pourquoi, le vrai procès à faire est à ceux qui ont tué la vivacité paysanne, qui ont fait miroiter aux Algériens un bien-être éphémère sans travail dans ce «royaume» de la paresse instrumentalisée qu'est devenu ce beau pays : l'Algérie ! Oui ! Notre mal est en nous, et point besoin de chercher ailleurs des boucs-émissaires ! Ils sont parmi nous ! Ils ont les pieds ici, les mains plongées dans les caisses du Trésor public et la tête ailleurs, entre autres, dans le Paris du luxe et de l'immobilier, ce signe ostentatoire d'une richesse mal acquise, assumée pourtant comme un effet de mode, sans crainte de poursuites !

C'est à croire que, dès le départ, les fondements d'une nation n'ont pas été sérieusement ancrés dans un socle durable basé sur les valeurs universelles : de travail comme devoir et obligation pour chacun de nous, de justice sociale pour tous et d'égalité des chances en tout lieu de notre vaste territoire ! Dans ce «paradis du social», le peuple gâté à l'extrême n'a pour principale fonction que d'être ce «bulletin électoral» qui se doit d'être offert à ceux qui lui prodiguent un «bien-être» mode paresseux ! C'est que pendant plus d'un demi-siècle il lui a été dit : d'être docile et caressant en contrepartie des privilèges qui lui sont octroyés, sans travail ! Alors ! Il n'y a pas lieu de dire que les uns sont bons et les autres sont mauvais ! En vérité, tout se passe comme s'il y avait une sorte de complicité ou tout au moins, d'accord tacite établi entre les uns et les autres au détriment de l'intérêt général, et surtout de ceux des générations futures ! Nous sommes dans le «Afni an Afek», dans le «manger et dormir» jusqu'à épuisement de toutes nos ressources, et dans «Likhlak ma Idayâa» ! Ainsi va l'Algérie !

Et si nous sommes aujourd'hui dans la situation de ce troupeau égaré, c'est que l'expérience a montré que quelqu'un à qui on a tout donné dès son enfance échoue le plus souvent parce qu'il est convaincu que tout est acquis par la facilité. Il faut juste montrer ses muscles non pas pour travailler mais pour obtenir par la force la chose désirée ! Par contre, celui a qui on a transmis le goût du travail dur, à qui on a expliqué que oui, il faut trimer pour réussir, celui là s'en sortira et bien, tout en restant dans la légalité sans transgresser les règles et les usages de courtoisie, de bienséance et par conséquent de civilité ! Réussir dans la vie, c'est donc être conscient de cette chose importante que chacun de nous se doit de développer, à savoir que toute réussite passe par la croyance en soi, sans avoir besoin d'emprunter la voie de la rapine, du détournement de la chose publique, du passe-droit, de la corruption et de toutes ses tares qui nous valent d'être classés dans le haut du tableau des États nuisibles pour leurs peuples !

CE QUE NOUS ENSEIGNE LA MALAISIE !

La différence entre ceux qui ont perdu leurs marques et leurs repères et sont restés dans la catégorie des mal-classés dans bien des domaines, et ceux qui sont des exemples de réussite, réside non pas dans la compétence, mais dans la foi et la hargne qu'ils développent pour y arriver ! C'est dire qu'il faut travailler sérieusement tout en ayant cette envie de réussir ! C'est là une affaire de volonté et non de discours creux où les mots s'alignent sans écho parce que la volonté n'y est pas, et la tonalité du verbe sonne faux ! Si nous en sommes là, c'est que nous n'avons pas su prendre de la hauteur pour voir loin ! Alors, comme disent ces proverbes chinois qui s'appliquent parfaitement à nous, «celui qui ne sait pas où il va, va forcément à côté, car il n'est de vent favorable qu'à celui qui sait où aller» ! Ils nous disent aussi : «toutes les fleurs de l'avenir sont dans les semences d'aujourd'hui» et «avec le temps et la patience, la feuille du mûrier devient de la soie» ! Mais qu'avons-nous fait pour que cela soit ainsi ? Certainement rien ou tout au moins pas grand-chose !

Interviewé par «Al-Jazeera» au sujet de la réussite économique de son pays, Mahathir Mohamed, Premier ministre de 1981 à 2003, l'un des dirigeants les plus en vue du monde musulman, une de ses figures marquantes et non moins artisan du développement économique de la Malaisie moderne, a répondu à propos de la situation qui prévaut dans les pays arabo-musulmans : «s'il n'y a pas de réussite, c'est que notre problème réside dans le fait que nous ne suivons pas les enseignements de notre religion. Nous nous combattons les uns les autres, et les gens ont une très curieuse approche de l'Islam, d'où des exégèses diverses ?sunnites, chiites et alaouites-. De ce fait, nous perdons le sens de la tolérance, alors que l'Islam réclame de nous d'être tolérants. Cela crée de l'instabilité, d'où cette perte de moyens à se développer». Et d'ajouter ! «... En Malaisie, au regard de la grande diversité religieuse, ethnique, culturelle et linguistique, la priorité a été de garantir les conditions de stabilité... Nous avons ensuite opté pour la participation au pouvoir et à la fortune, parce que nous considérons que trop de différence mène à l'instabilité, à un non-développement et par conséquent à la réduction de la part de chacun. Par contre, si on accepte de partager avec les autres, les gens sont mis en confiance et du coup, ils sentiront qu'eux aussi auront leurs parts. Il en résulte alors un développement économique».

Moralité ! Quand on accepte la participation, on obtient la stabilité et tout le reste n'est donc qu'une affaire d'administration transparente et d'imagination, autrement dit, de bonne gouvernance ! Oui ! C'est bien cela qui nous manque dès lors que la rente à plus induit une «gloutonnerie» maladive, qu'un développement équitable et durable et une prospérité correctement partagée ! Et dire que nous sommes près de (38) millions d'Algériens, contre (29) millions de Malaisiens ! Que la Malaisie dispose d'un territoire de 330.8O3 km 3, soit un peu moins que la wilaya d'Adrar ? 427.368 km3- et le septième de la superficie de l'Algérie avec moins de richesses ! Avec cela, et pour ce qui concerne les indicateurs, il n'y a pas photo comme on dit ! Que l'on juge la performance de ce pays authentiquement musulman, comparativement au notre !

Mieux encore ! La Malaisie est la 12ème économie la plus compétitive dans le monde pour les affaires, selon l'étude «Faire du business» menée par la Banque mondiale. Elle est mieux classée que l'Allemagne (20ème), le Japon (24ème), la France (34ème), pour ne citer que ces pays dits civilisés et pour lesquels l'Islam semble poser problème ! Ce petit pays, par sa superficie, mais grand de par sa volonté de réussite, est d'une notoriété reconnue dans le monde. L'on peut dire aussi que c'est la seule monarchie fédérale parlementaire multipartite où le Premier ministre est un vrai Chef du gouvernement et où le Roi est élu pour cinq ans parmi les sultans locaux de neufs États sur les treize que compte la Malaisie. Il désigne le Premier ministre à partir des membres de la Chambre des représentants. Ce dernier choisit, lui aussi, les membres de son gouvernement parmi les parlementaires. N'est-ce pas là, un modèle de démocratie des plus élaborés, alors que l'Occident veut nous imposer le sien par interventions musclées, faisant des «printemps arabes» préfabriqués, une entreprise de destruction massive, d'apocalypse et de terre brûlée, au grand bonheur des lobbies financiers du monde unipolaire et cruel d'aujourd'hui ?

Oui ! Quand la sagesse est la règle dans les relations humaines d'habitude si compliquées, avec des mesures simples qui sont en fait la parfaite expression de la civilité et de la citoyenneté, un pays comme la Malaisie caracole au hit-parade économique des nations les plus performantes dans le monde ! C'est dire que la diversité des religions ? Islam 60%, Bouddhisme 20%, Hindouisme 6,3%, Christianisme 9,2%, Taoïsme 2,5%- et des langues qui cohabitent dans la tolérance et la convivialité est plus une richesse qu'une contrainte au bien-être de cette «population mosaïque» !

CONSOMMEZ MADE IN ALGERIA, NOUS A-T-ON DIT !

Pauvre de nous les «unitaires» qui n'arrivons pas à nous supporter dans un pays-continent sept fois plus grand que cet État insulaire, suis-je tenté de dire ! En mauvais élèves frappés d'autisme, nous n'avons rien retenu ni des valeurs d'un Islam vrai, ni de la sagesse de ces proverbes confucéens qui devraient nous guider dans nos comportements sociétaux et encore moins des expériences d'autrui de nature à nous inspirer !

Tout laisse à croire que l'image de l'Algérien paresseux est une pure construction forgée par des esprits malins, suite à leur incapacité à le faire travailler, sans attendre de lui qu'il leur soit reconnaissant ! On a voulu en faire un être soumis et dépendant de l'État providence, comme est le drogué de son dealer ! Cette farce n'a que trop duré ! Finie l'ère de la gestion des affaires publiques par la malice, par la pénurie des denrées alimentaires, les chaines devant les stations d'essence, la mercuriale des fruits et légumes et par la peur ! Le monde a changé et c'est l'intelligence, la probité, la moralité et la compétence qui priment sur les effets de foule et des meutes qui, sitôt sifflées, accourent de la kasma d'à côté ! C'est dans ces valeurs universelles que s'inscrivent nos compatriotes qui ont montré qu'ils n'ont rien de paresseux lorsque mis dans cet environnement d'outre-mer qui favorise le travail et la créativité ! Ils sont des milliers à le démontrer chaque jour ! Alors qu'appréciés ailleurs, ils sont craints chez-eux ! Quelle dommage que l'Algérie ne puisse compter sur cette ressource humaine qui devrait s'ajouter à celle qui la sert au quotidien, pour la porter vers des horizons du savoir et du progrès !

Alors ! On nous dit de consommer «Made in Algeria» pour maintenir notre pouvoir d'achat et préserver l'emploi ! C'est vrai que nous savions faire cela lorsque notre pays était doté de ce fleuron d'entreprises nationales dirigées par de grands commis de l'État ! Naguère, l'Algérie était partie sur de toutes autres bases ! On savait fabriquer des tracteurs, des moissonneuses-batteuses et même la «R4» dans les ateliers de Belcourt (pour rappel aux jeunes générations, ce véhicule increvable était commercialisé à 7.000 DA !) On pouvait s'habiller correctement et nos ministres aussi, avec l'essor qu'avait pris le textile dans les complexes de Guelma, de Souk-Ahras, de Draa-Ben-Khedda, d'Akbou, de M'Sila, de Tlemcen et de Sebdou ! N'est-ce pas aussi qu'en 1982 à la Coupe du monde, les grandes équipes, allemande et autrichienne habillées par ADIDAS et PUMA, ont été battues par la notre habillée par ENADITEX ? Mais en cette époque, le nif algérien avait une valeur et une signification profonde ! La chaussure, les meubles, les matériaux de construction, le sanitaire n'étaient pas en reste ! On savait aussi réguler les marchés des fruits et légumes et l'on vient à regretter l'époque de la COOFEL et de l'OFLA qui arrivait à exporter des oranges, même si ce n'était qu'en petites quantités ! C'était l'époque où nos ministères, nos établissements publics et nos hôtels était équipés des produits locaux confectionnés par des entreprises nationales ! Consommer algérien ne se décrète pas ! C'est un état d'esprit qui a pour soubassement l'exemplarité du plus haut au plus bas de l'échelle et pour style d'action une lutte implacable contre l'informel et l'évasion fiscale afin de protéger le produit national, à qualité égale.

C'est une somme d'efforts qu'il faudra déployer pour s'y préparer afin de pouvoir disposer de ses propres outils ! Notre fierté n'est pas que d'acheter la «Symbol», même si sa localisation à Oued-Tlélat assure quelque centaines d'emploi ! La satisfaction ne sera totale que si cela peut induire comme au Maroc, la constitution de tout un réseau de sous-traitance pour assurer le meilleur taux d'intégration possible ! Cela devrait être la mission principale à négocier avec les concessionnaires qui ne font qu'importer et revendre leurs véhicules à hauteur d'un volume de 6,3 milliards $ pour l'année 2014, même s'il y a une diminution de 13% par rapport à 2013. C'est l'équivalent de 63% de la facture alimentaire ! Et si les concessionnaires tirent un grand profit d'une telle opération, l'État, quant à lui, peine à réguler les flux de circulation ? parc de 5 millions de véhicules, contre 2 millions au Maroc- quand bien même il ait déboursé des sommes exorbitantes pour l'extension du réseau routier déjà largement saturé et la réalisation d'ouvrages art, de bretelles autoroutières, de voies de contournement et de trémies ! Mais où allons-nous ainsi ?

Tout cela est fait, bien sûr, au détriment des terres agricoles, alors que consommer «Made in Algeria» c'est aussi réduire notre dépendance alimentaire en préservant le potentiel agricole qu'il convient d'exploiter à son optimum et en réalisant des gains de productivité à partir de la formation continue des ouvriers agricoles, du recyclage permanent des cadres de maîtrise et des managers pour la modernisation de ce secteur vital ... Et ce n'est pas tout ! Cette question fondamentale du compter sur soi ne saurait être traitée par un seul article ! Mais ce que nous pouvons dire, c'est qu'au regard de tout ce qu'il y a lieu de faire, la «cigale Algérie» a bien du retard à rattraper et de l'imagination à développer pour se mettre au niveau de ces fourmis voisines qui ont si bien travaillé !

* Professeur